-/H-f ■ II, F. kïdXt^ -Ir^ii r{ / /■'' BIBLIOTHEQUE DE l'École DES HAUTES ÉTUDES PUnLlF.K sous LES AUSPICES DU MINISTERE DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE SCIENCES PHILOLOGIQUES ET HISTORIQUES CENT-VINGT-DEUXIEME FASCICULE INTRODUCTION A LA CHRONOLOGIE DU LATIN VULGAIRE ÉTUDE DE PHILOLOGIE HISTORIQUE PAR F. GEOR&E MOHL PARIS LIBRAIRIE EMILE BOUILLON, ÉDITEUR 67, IIUR DE P.ICHELIKLI, AU PREMIER 1899 Tous droits réservés. N0V?.6 19bd Of TîJ oho^ INTRODUCTION CHRONOLOGIE DU LATIN YULGAIRE INTRODUCTION CHRONOLOGIE DU LA11 VULGAIRH] ÉTUDE DE PHILOLOGIE HLSTOKIOIE F. George MOHL LECTEUR A l' UNI VER SITE IMPÉRIALE ET ROYALE DE PRAGUE ÉLÈVE DIPLÔMÉ DE L'ÉCOLE PRATIQUE DES HAUTES ÉTUDES PAULS LIBRAIRIE EMILE BOUILLON, ÉDITEUR 67, RUE I»E RICHELIEU, AU PliEMIEH 1899 ppl A MICHEL BRÉAL Permettez-moi de vous dédier ces pages. C'est vous qui m'avez ouvert, voici bientôt quinze ans, le monde merveilleux des spéculations jdiilologiques et depuis lors vos encouragements et vos conseils ont toujours accom- pagné chacun de mes pas dans les rudes étapes d'une vie difficile. C'est mon orgueil d'inscrire ici votre nom et c'est aussi mon unique mérite d'en avoir le droit. V. (1. M. Sur l'avis de M. Michel Bréal, directeur des études de grammaire comparée et de MM. Louis Duyau et Antoine Thomas, commissaires responsables, le présent mémoire a valu à M. George Mohl le titre iV élève diplômé de la section des scie II ces kistoricjues et philologiques de l' Ecole pifitifjue des Hantes Etifdes. Paris, le :JU octobre 1898. y Le Directeur d'études, Signé: Bréal. Les Commissaires responsables, Signé: L. Duvau, A. Thomas. Le Président de la Section, Signé: G. Monod. PREFACE Au moment de reviser et de coordonner les matériaux que nous amassons depuis dix ans en vue d'une Grammaire hisfor'iqur du Lalin vuhjairc, il nous a paru opportun de recueillir tout d'abord nos propres idées sur la latinité po- pulaire, de formuler, dans un tableau d'ensemble, notre con- ception personnelle à cet égard, de nous tracer enfin à nous-même une méthode pour nos études futures. C'est cette esquisse que nous publions aujourd'hui sous le titre tVJnfro- r/acfio/i à la Chronologie du Latin vulgaire. 11 ne s'agit nullement, tant s'en faut, d'une étude complète et systé- matique des formes du latin vulgaire. Ce sont de simples observations, des considérations d'un caractère très général, présentées le plus souvent sans beaucoup d'ordre et d'après un plan des plus larges, sur l'histoire de la langue latine et de ses dialectes dans les différentes provinces de l'Empire romain. Qu'on ne s'attende dune point à trouver dans notre livre beaucoup do nouveauté quant aux faits eux-mêmes ni un ample matériel de formes inédites: nous avons au contraire écarté avec soin tout ce qui eût nécessité des discussions spéciales, tout ce qui nous eût engagé dans la critique des innombrables questions de détail qui hérissent le problème. Nous nous sommes attaché précisément à n'étudier ici, autant qu'il était possible, que les faits en quelque sorte clas- siques du latin vulgaire, les exemples connus, les formes sûres, dûment attestées, en un mot tout ce qui dès à présent peut être considéré comme définitivement acquis à la science et universellement accepté par tous. La ([uestion i)'iur nous n'était point de discuter la valeur intrinsèque de ces formes, mais bien de les interpréter scientitiquemcnt, d'y chercher des points de repaire quant au développement général et à la chronologie du latin vulgaire, d'en tirer enfin une méthode sûre, applicable aux. recherches à venir et capable de con- duire à de nouvelles et fécondes découvertes : de là le titre (VJn/rnr//(ctio)) que nous avons cru pouvoir donner à notre étude. En même temps que cette esquisse générale d'une méthode, nous présentons au monde savant une monographie destinée à montrer les résultats pratiques auxquels notre théorie nous a conduit. Cette nouvelle étude, qui paraît aujourd'hui même à Prague sous le titre : Lf couple roman Lui : Lei, ses fait exception que pour les mots sabelliques, dont la lecture, pour des raisons où nous n'avons pas à entrer ici, nous paraît parfois plus sùrc chez Zvetaiev, luscriptioucs I/a/lae uiferioris dïalecticae. Son classement des inscriptions nous semble également, par certains côtés, plus judicieux et moins exclusif que celui de Planta. Quant à l'ouvrage de Conwa}*, The ilaUc dialecti^, New- York, 1897, il ne nous a malheureusement plus été possible de le mettre à contribution, la publication de notre livre, prêt pour l'impression depuis plus d'un an, ayant été par suite de diverses circonstances retardée jusqu'à ce jour. Nous n'avons pu davantage utiliser les inscriptions publiées dans les derniers fascicules de VEphemeris epigraphlcu: nous le regrettons d'autant plus vivement que plusieurs d'entre elles confirment d'une manière éclatante et par des exemples sûrs notre manière de voir sur plusieurs points de la grammaire et de la phonétique du latin parlé dans l'Em- pire romain. Il j a enfin trois ouvrages déjà anciens, dont nous n'avons pu avoir communication qu'au moment de la correction des épreuves et qui nous ont bien manqué. C'est d'abord un petit ouvrage, assez peu judicieux d'ailleurs, d'Abeken : Miflel-Ilalien vorden Zelten l'ùmhcher Herrschafl , Stuttgart, 1843, puis l'étude de E. Pais, La Sardegna prima del dominio ronuiuo, Rome, 1881, enfin le livre de Tocilescu, Dacia iuainle de Romuu), dont nous avons pu encore en par- tie faire usage, encore que les conclusions générales du savant roumain soient parfois assez diff"érentes des nôtres. Quant aux autres ouvrages dont nous nous sommes servi, nous croyons inutile d'en donner la bibliographie détaillée. Nous avons pris soin d'indiquer toujours au fur et à mesure les sources auxquelles nous avons puisé et nous l'avons fait avec toute l'exactitude dont nous sommes capable : ainsi le lecteur démêlera aisément ce qui nous appartient en propre et ce que nous avons recueilli dans nos lectures journalières. Un ouvrage toutefois mérite une mention spéciale : c'est le livre de Planta. Nous avouons, en toute humilité que sans lui nous n'eussions pu que très difficilement mener à bien notre étude et, s'il nous a été donné d'esquisser avec quelque rigueur l'histoire des origines du latin vulgaire, c'est surtout parce que Planta, dans l'une des œuvres les plus colossales de la science contemporaine, avait coordonné avec une si admi- rable précision toutes nos connaissances touchant les langues et les dialectes de l'Italie ancienne. F. George Mohl. Pra£?ue, le 15 avril 1899. INTRODUCTION A LA CHRONOLOGIE DU LATIN VULGAIRE LE PROBLÈME DU LATIN VULGAIRE SoMMAiRF. : *^ 1. Aperçu historique sur la ijuestion du latin vulfiaire. — gg 2-5. Les formules chronologiques de Crober ; la prisca latinitas ; le latin des provinces. — g 6. Le vieux latin dialectal d'Italie. — gg 7-8. Le principe de l'unité du latin vulgaire. — ^g 10-12. La méthode des recons- tructions ; distinction entre le roman et le latin vulgaire proprement dit; analyse de quelques exemples. § 1. — La philologie romane compte peu de questions aussi ardues, aussi compliquées, aussi obscures que la chro- nologie du latin vulgaire. Depuis la publication du grand ouvrage de Schuchardt (1866-69), le problème a été repris bien des fois par les romanistes et, à part quelques heureuses interprétations de détails, totijours avec le même insuccès quant aux théories d'ensemble. On avait tout d'abord cher- ché les origines du latin vtdgaire et des langues romanes à une époque infiniment trop récente, tout à la fin de l'Empire, parfois même plus bas encore, après les invasions germa- niques et jusque sous le règne de Charlemagne ; c'est l'erreur où tombèrent Max Millier et Littré (cf. Hist. de la langue franc., I, 96 sq.), qui confondent absolument le latin vulgaire avec le bas-latin des notaires mérovingiens. D'autres, plus généreux, accordaient que les langues romanes dataient de la conquête des provinces par les légions. « L'origine du roman remonte au premier barbarisme que les Gaulois ajou- tèrent à la langue latine », dit Edélestand du Méril, dans son Essai philosophique sur la formation de la langue française. MouL. — Chronologie du latin vulgaire. 1 ^ 1. - -2 - Insensiblement, on en revint à des idées plus saines et le lumineux opuscule de Sittl, Die lokalen Verschiedenheiten der laiein. Sprache (1882), si plein d'aperçus nouveaux et sûrs, mais qui n'était malheureusement qu'une esquisse très superficielle, marque un changement do direction absolu dans cette partie des études romanes, encore que l'auteur ait par la suite cru devoir renier son propre ouvrage '. Cette fois, les origines du latin vulgaire étaient rapportées aux origines mêmes de la colonisation romaine, aux premières colonies en- voyées par Rome dans le Latium et la Sabine. Désormais, latin vulgaire et latin dialectal d'Italie étaient à peu près confondus, ce qui est naturellement excessif, en contradiction d'ailleurs avec l'incontestable unité linguistique révélée par les langues romanes. Aussi la théorie polydialectale sou- tenue et défendue à maintes reprises, puis modifiée, finale- ment abandonnée et dénoncée comme un péché de jeunesse par l'éminent latiniste, trouva-t-oUe généralement peu de faveur. Peu de temps après fut fondée VArchiv fur latci- nisclie Lcxikograpliif (1884) où l'école de Wullïiin devait re- nouveler dans ses principes mémos toute la philologie latine et apporter à l'étude de la langue de Rome des procédés scientifiques d'une rigueur et d'une précision encore in- connues. Une suite de monographies d'une capitale impor- tance nous fit enfin pénétrer au vif d'une langue latine vivante, créatrice, surprise dans sa vie même et bien différente de la langue conventionnelle et morte de nos grammaires et de nos livres de rhétorique. En même temps que le latin littéraire, l'idiome vulgaire s'éclairait aussi d'un jour nouveau, se dé- gageait peu à peu de l'obscurité et du vague où les recherches incomplètes des romanistes l'avaient jusque-là laissé. On pouvait dès lors songer sans trop de témérité à reconstruire la grammaire du latin vulgaire et, en 1888, W. Meyer-Lùbke résuma et coordonna, avec une précision et une exactitude presque mathématiques, tous les résultats acquis depuis Diez, Die laiein. Sprache in den roman. Libidern, au (irundri'^sde Grobcr, I, 351-382. 1. « Aiidere kritisioren uud mit dem l'ekonntni.sso des eiiionon IrTtums anfaiifïen, reimt sich nicht redit zusammen... l'ebrigeiis iiberliessen die Tadler mir seibst, mich zu widerlegen. » Sittl, Jahresb. Uas.'i. Allcrl.. LXN'III (1891). II, p. 226. - :^ - ;^ -2. § 2. — Mallieureusemeni, si les faits on eux-mêmes appa- raissaient amplement documentés et avec une incontestable netteté, leur chronologie aussi bien que leurs lieux d'origine restaient pleins d'incertitude et d'obscurité. L'éminent roma- niste reconnaît lui-même, Grwidr., I, o59, l'impuissance des méthodes scientifiques actuelles devant cette double question ; il se montrait en ceci plus prudent queClrober qui, dans la préface de ses Vidgcirlal. Substrato roman. Worter [Archiv Lat. Lex., I, 204 sq.), avait essayé de dater les phénomènes du latin vulgaire au moyen d'une série de rai- sonnements dont la logique et la rigueur ne sont rien moins qu'incontestables. L'auteur déclare par exemple, p. 213, que « die Uebereinstimmung desa) Sardischen, b)Span. c) Portug. d) Catal. e) Provençal, f) Franz, g) Katorom. h) Ruman. — minus i) Italien., belegt die Existenz einerWortformbis nach lOOn.Ch.; die Uebereinstimmung von ab cd ef g — hi belegt ihren Bestand bis zum Anfang des 1. Jahrh. n. Ch., die von abcdef — ghi bezeugt ihn bis zur Zeit der gallisclien Ero- berung u. s. \v. » Il admet de même que la concordance du sarde et de l'espagnol permet de faire remonter la forme populaire jusqu'en 200 av. J.-C, enfin que la conformité de l'italien et du latin classique exclut l'existence d'une forme vulgaire distincte. On avouera que c'est aller un peu vite en besogne et que ces déductions, sous leur apparence mathématique, sont pour le moins sujettes à caution. A prendre les choses à la lettre, de ce que l'italien dit temeva = timchain, il faudrait con- clure que la forme * teméa en Gaule, en Espagne, etc., est née postérieurement et ne remonte pas au delà de la période romane, cf. ibid., p. 231, III. Or, il n'est pas douteux que les imparfaits en -éa, -ta avaient cours en latin vulgaire dès une époque relativement assez ancienne et que c'est la forme littéraire -t'bam, -éva d'une part, de l'autre -ibam, -l,va, etc., conservée peut-être depuis l'origine en quelques localités italiennes ou simplement réintroduite dans le parler populaire par le seul prestige de la prononciation officielle, qui survit dans l'imparfait italien \ C'est ainsi qu'en général dans l'Italie 1. Le type senlivn en tout cas exclut l'idée d'un emprunt à la flexion classique ; xoitiva est ou une extension analogique d'après -ava, -eva, ce qui est pour le moins sujet à caution, ou un héritage direct de iicntl- du Sud l'imparfait repose sur la forme en -éva, alors que le conditionnel est formé avec le doublet en -ia, cf. d'Ovidio, Saggi crit., p. 526 sq., ce qui prouve d'un côté la coexis- tence ancienne des deux flexions en Italie et exclut de l'autre riiypothèse aujourd'hui courante d'une restauration analo- gique, laquelle se fût sûrement exercée indifféremment, sur tout -éa désinentiel, au conditionnel aussi bien qu'à l'impar- fait. Remarquons de même, d'après une observation de Sittl, que eccum pour ecce, qui est à la base de l'italien ecco, ap- paraît en latin, sous l'Empire, seulement chez les poètes, les écrivains recherchés, nullement chez les auteurs inférieurs ou populaires. Ainsi encore on conjugue en Italie vo ou vado, la première forme seule appartenant au latin vulgaire gé- néral de l'Empire romain : * vao, port, vou, etc. De même dans le provençal aurelJia, il faut reconnaître le vocalisme classique auricla à côté de la forme vulgaire oricla attestée par le portugais orelha, exactement comme le sicilien àrichi prouve auricla et le logudorien orija, vieux sarde oricla (cf. Stat. Sassar., III, 21 : Et seclict se Usa oricla, etc.) prouve oricla. On sait que l'Appendix Probi, Keil 198, 11, dit: Auris, non oricla, tandis que Festus s. v. orata semble insinuer que, déjà de son temps, au moins dans la région où il écrivait, la prononciation oricla cédait ou avait cédé devant la restauration classique auricla : Rustici orum dicebant, ut auriculas oriculas. Cf. aussi oricla dans Trog. in Plin., XI, 286, cité par Ullmann, Ro77ian. Forsch., VII, 196. Comme l'Appendix Probi, d'après la démonstration ingé- nieuse de Gaston Paris, Mélanges Renier, p. .301 sq.. a pro- bablement en vue le latin parlé à Carthage dans le courant du m'' siècle et comme d'autre part l'épigraphie nous montre d'une manière, à notre sens, formelle, dans le latin d'Afrique un dialecte absolument réfractaire à la réduction de au, cf. aussi Sittl, Lok. Verschied., p. 67, il ne peut être question, dans le oricla de l'Appendix, que d'une forme ancienne im- portée d'Italie après la conquête et sans doute avant l'époque impériale. La Gaule, en effet, et les provinces colonisées sous l'Empire, s'accordent généralement dans le vocalisme auricla, non oricla, à Texceplion de la Dacie qui. dans le roumain hara archaùiue comme l'admettait Diez. Cf. sur cette question d'Ovidio. Arrh. (/loll., iX, :i5 sq. urrc/iir, n'offre (iu'un témoignage tout à fait négatif, de même que le toscan oreccliio ; ici l'un ou l'autre vocalisme est éga- lement admissible. Do même, il n'y a rien à tirer du voca- lisme initial du piémontais urija non plus que du vieux lom- bard oregia, cf. ces vers d'une Canzone, publiée par Salvioni, Arch. GluttoL, IX. p. 23, str. 6 : () orer/ic mce que Vf dclccta Dr oiUrc jnfDiflo de cussi (iiiinid fcsin! Le vieux, dalmale i^icle « oreccliie », Arch. C/n/ial., IX, p. 155, est peut-être plus significatif et paraît bien, selon nous, reposer sur o- et non au-., lefjuel se maintient en vé- gliote, cf. laudar, fan la?', etc., et ne i)ourrait que difficilement s'apocoper. On retrouve, d'ailleurs, la forme apocopéo rec/o à Nonsberg en Hliëtie. Néanmoins, toute détermination plus précise de la chronologie et de la répartition géographique de auricla-oricla ne saurait forcément reposer, dans l'état actuel de nos connaissances, que sur des hypothèses plus ou moins fondées. En appliquant à notre exemple la formule de Grciber, on arriverait à cette conclusion que le vocalisme oricla, démontré à la fois par le sarde et l'hispano-portugais, aurait appartenu au latin vulgaire seulement jusqu'en l'an 200 avant J.-C, après quoi l'Ilalie n'aurait plus guère connu que le vocalisme classi(iue auricla. On voit qu'en réalité nous sommes assez loin de compte, car ce n'est évidemment pas sans raison que Festus, et sans doute déjà son modèle Verrius Flaccus, cite précisément la double forme oriru/as : aurknlas; c'est très probablement (ju'il entendait encore autour de lui l'une et l'autre, et il y a, en effet, bien des chances pour que l'Italie septentrionale et centrale tout au moins, ainsi que nous le verrons dans la suite, n'ait jamais complètement abandonné l'ancien vocalisme oricla. A cet égard, orrle des dialectes frioulans tout à coté de aurecjla dans les localités italiennes des environs de Trieste représente peut-être l'an- cienne opposition o ; an maintenue dans deux régions tout à fait limitrophes. Un exemple plus net encore et plus concluant peut-être nous est fourni par le correspondant vulgaire du latin fihcr. Les formes romanes, v. esp. brfre, portug. bibaro, prov. vibre, fr. bièvre, ital. bevcro, roum. breb pour * bcbru présentent toutes b- initial au lieu de f-, ce qui tout de suite doit faire soupçonner § -2. — 6 — une influence étrangère. On ne peut songer à un dialecte ita- lique, puisque toutes les langues de la famille s'accordent, sans exception, à reprt^senter bh- initial indo-européen par/- comme le latin. Seule une influence celtique est admissible et effectivement le nom celtique du « castor » est conservé non seulement sous la forme befer des dialectes comiques, mais vraisemblablement aussi, avec un vocalisme qui nous parait particulier au domaine celtique continental, dans les noms épichoristiques Bibra.r chez les Rémi, César, Bell. Gall., II, 6; Bibracte chez les Eduens, ibid., VII, 55, etc. Le vocalisme en i, comme en latin classique, se cache probablement dans befre du vieil espagnol ; quant à i du portu- gais bibaro et du provençal, nous ne voyons guère qu'une mÛ\\Q,\\Q,e gQTm^m(\\xe,{sh2i. bibar=^* bibru-s ,\.-Qm\* bhebliru-), d'une époque évidemment bien postérieure, qui soit capable de l'expliquer. L'espagnol, qui a abandonné l'ancien befre pour la forme récente bibaro, rend à notre sens cette explication assez plausible ; dans le provençal vibre, on peut supposer que l'ancien *vebre, cf. castorinum: uebrinum, Gloss. Isid., a simplement modifié son vocalisme radical sous l'action de bibar germanique, exactement comme en français orteil doit son au celtique ordiga, cf. \V. Mever-Lûbke, Grartwi. der roman. Spr., I, § 20. Dans tous ces mots, i bref germanique est naturellement traité comme dans le vieux franc, eschipre « matelot » et autres semblables. Des compromis de cette nature ne sont point rares. Schlutter, Arch. Lat. Le.r., X, 200, a montré qu'à côté de stagmnn « étain », forme vul- gaire de stannum due selon nous à Tétymologie populaire, cf. stagjiwn : y.xi'zi-ip-t , Corp. Gl. Lat., II, 187, 54, etc., on dit, en Angleterre, après la conquête germanique, stignurn, tigmim, d'après l'anglo-saxon tin. Revenons à fiber. Du roumain breb, il y .'i peu de chose à tirer ; l'italien bevcro, le franc, bircre, sujjposent un voca- lisme * bcbcr ^05;/^ pus tin, cf. lat. ejclu, proln, etc., veut l'accusatif, osque piistin à côté de post qui paraît également régir l'accusatif : Post exac comono, Tab. Bant., I. 8, etc. C'est donc des contrées du nord que l'usage de l'ablatif après/;o.s/ s'est introduit dans le latin vulgaire d'Italie : de là sur les inscriptions post-morte ou bienDEPOST-cvivs-MORTE, CIL. VIII, 9162, d'Auzia en Mau- ritanie, etc., où on ne peut guère, à cause de la fréquence des exemples, lire à l'accusatif mortem, etc. De là aussi " postels ou * postils, au lieu de posteâ dans la langue vul- gaire, à l'époque républicaine * postits ou * postïs, d'où le sarde actuel post is « dopo », à l'époque impériale de nouveau *pos- teis, *postiis, d'où le français puis, cf. ostium=^huis, etc. En Italie, la syntaxe proprement latine reprend ensuite le dessus ; on revient à posteâ * post?^a, ital. poscia\ 3. Behrens, dans son édition de Schwan, Allfran:-. Gramm., § olo, ii 3. ~ 10 — On a peine à comprendre la répugnance qu'éprouvent cer- tains romanistes à admettre, à la base du latin vulgaire, ce premier fond incontestable et si souvent signalé de prisca latinitas. 11 faut reconnaître cependant que, depuis une di- zaine d'années environ, il y a, dans la philologie romane, de nouveau une tendance marquée à rapprocher les origines du latin vulgaire et à mettre par suite sur le compte des langues romanes elles-mêmes une foule de faits que d'amples preuves cependant permettent, semble-t-il, d'attribuer déjà au vieux latin d'Italie. C'est, on le voit, toute la chronologie et par suite l'histoire même du latin vulgaire qui se trouvent remises en question et l'on ne peut guère prévoir, à l'heure actuelle, ce qui sortira d'une crise qui met en péril les résultats acquis si laborieusement depuis trente ans. Déjcà l'existence propre du latin vulgaire est mise en doute et, dans un livre con- sidérable sur le Latin de Grégoire de Tours, Max Bonnet, dès 1890, combattait résolument l'idée que le latin vul- gaire et le latin classique eussent réellement été deux idiomes distincts. Sans examiner ici dans le détail la théorie de l'émi- nent latiniste français, dont Vising, Om vulgilrlatinet, cf. Anzriger fur indofjeriwm. Spr.-und Altertmnskujide^YW ,%'d, et Fr. Stolz. Histor. Gramm. der lalein. Spr., I, p. 23, ont d'ailleurs montré les côtés faibles, on ne saurait nier que, à condition qu'il ne dépasse pas les limites et la mesure que l'auteur lui a assignées, le principe établi par Max Bonnet est parfaitement juste en soi, et même nous pensons qu'aucun philologue sérieux n'a jamais réellement voulu voir dans le latin vulgaire et le latin littéraire deux langues distinctes, comme l'osque, par exemple, diffère de l'ombrien. Ce sont simplement deux formes particulières d'une même langue, à peu près comme le français de l'Académie diffère du français parlé à Lyon, Bordeaux, (Genève ou Bruxelles. Le danger est, en semblable matière, de dépasser le but et d'exa- gérer les conclusions d'un axiome qui peut être légitime en soi et faux dans ses applications. C'est malheureusement un peu ce qui est arrivé pour la théorie de Max Bonnet qui, déjà ramène le franc, puis à *p()sf[a, au(iuel Roques, Homan., XXVII, 324, préfère le proto1y])e * poslius en comparant oui:- --- *a)itii(S. Ce sont là de pures fantaisies ; ni * pvstius ni *aiilius n'ont jamais eu de réalité historique. — I I — 5; i. excessive par endroits chez le philologue français, aboutit presque à la négation absolue du latin vulgaire dans le livre plus récent de Gorra, Lingue neolatine, Milan, 1894. On est loin, comme on voit, de la théorie de Gabelentz, Sprarh- wissensch., p. 192, qui compare le latin vulgaire au jargon des créoles. § 4. — Sans doute Grciber, en formulant sa théorie chro- nologique, s'était laissé abuser lui-même par son désir de précision mathématique ; il avait cru pouvoir enfermer toute l'histoire du latin vulgaire dans un système très serré, très rigoureux, mais malheureusement trop idéal, trop théorique et qui trop souvent ne répond pas à la réalité des faits. Aussi les romanistes n'avaient-ils pas eu de peine à en démontrer les contradictions et les insuffisances, et il faut reconnaître notamment que les critiques assez vives soulevées contre la théorie dès 1886 par Kawczyi'iski au premier volume de ses Romanische Studien, p. 23 sq., ne sauraient être aisément réfutées. On oublie trop cependant que la théorie de Grober est en somme la seule qui rende scientifiquement compte, dans leur ensemble, des incontestables rapports d'âge que chacun remarque infailliblement entre les divers dialectes romans. Pour peu que l'on apporte dans ces questions quelque impartialité, il n'est assurément personne qui ne reconnaisse dans le latin vulgaire d'Espagne une phase plus archaïque de la langue que dans celui de la Gaule ou de la Rhétie et dans les dialectes de la Sardaigne centrale un stade encore plus ancien. Sittl a beau nier que la Sardaigne, qui n'était, dit-il, pas encore complètement soumise en l'an 19 de notre ère, représente un état plus ancien que les autres langues de la famille : c'est tout simplement nier l'évidence et un dialecte qui conserve des termes tels que domu ou mannu en regard de caaa et grande de tous les autres dialectes doit forcément passer pour moins altéré, c'est-à-dire plus ancien que les autres. Si le sarde semble ignorer d'autre part les pluriels en -or a maintenus en Italie et en Dacie, c'est précisément une preuve d'ancienneté, un témoignage évident que la langue a vécu assez longtemps d'une vie propre pour achever de bonne heure le procès analogique où les autres idiomes romans ne sont arrivés que plus tard ; la meilleure preuve en est dans les textes du xiii" siècle qui gardent encore çà et là des vestiges 5; 5. - 12 - dénaturés des anciens pluriels, par exemple le féminin singulier sa fructora, cf. Delius, Der sardin. Liai., p. 8, note 1. Et comme Tancien italien présente encore de son côté le pluriel fruttora au lieu de frutti ou frutta, frutte, on peut hardiment en conclure, croyons-nous, à l'existence, dans le latin le plus ancien, d'un neutre "frûctus, * frûctoris dont il ne serait peut- être pas impossible d'atteindre encore quelques traces dans le latin littéraire' et qu'on pourrait en tous cas joindre sans inconvénient à la liste des neutres en -ks, -oris dressée par W. Meyer-Liibke, Grunclriss, I, p. 370. S'agit-il au contraire d'une formation manifestement plus récente, par exemple des datifs pronominaux en -m, -el tels que illiû, ilkl, elle manque régulièrement au sarde et souvent même, comme dans notre exemple, à l'hispano-portugais, alors que tout le reste du domaine roman lui a donné une extension parfois considérable. Pourtant les datifs du type illin ilfci apparaissent sur les inscriptions d'Italie dès les pre- miers siècles de l'Empire et, comme nous avons eu déjà l'occasion de le démontrer-, cette formation commençait à se répandre en Italie dès l'époque d'Auguste. Néanmoins, elle n'a jamais, malgré l'incontestable avantage que présente la double forme générique illul masculin, illel féminin sur le datif épicène illl, pu se faire jour dans les provinces ancien- nement colonisées; notamment l'épigraphie de l'Afrique et de l'Espagne, que nous avons spécialement revisée à ce point de vue, n'en offre pas un seul exemple. i:^ 5. — Il faut donc bien admettre avec Grober que c'est en dehors de l'Italie, dans les provinces le plus anciennement colonisées, que se sont maintenues — nous verrons tout à l'heure dans quelle mesure et de quelle manière -- les formes les plus voisines du latin de la République, que le latin s'y était implanté d'assez bonne heure et assez fortement pour 1. Nous avons souvenir notauinient d'une g-lose frucluralis : fnic- luosus qu'il nous a malheureusement été impossible jusqu'à présent de retrouver. On remarquei'a d'ailleurs que les hésitations de la langue ancienne entre frifclus, friicUis : p-aclus, frucll Ter. .Irf., V, 4, 16; fructiis. fnicluis Varron chez Nonius, Vlll, 72, cf. aussi sur ces formes Kitschl, lilieiii. Mus., >ÎF. Vlll, p. 'i9i sq., favorisaient l'introduction d'un quatrième paradigme : f'rucJm, * frucloris. 2. Le Couple roiiiaii lui: Ici, Prague, 18*M» (en tchètiue avec résumé en franc.). — i:^ — ^ 5. résister par la suite à beaucoup (rinnovatiuns introduites de- puis dans le langage forcément plus instable et plus variable de la métropole et de l'Italie on général. En effet les popu- lations latines, et on somme la plupart des peuples italiotes, trouvaient dans le latin une langue ou identique ou tout à fait analogue à leurs dialectes locaux, un instrument linguis- tique absolument conforme au génie propre de leur race et qu'ils façonnaient et dénaturaient bientôt suivant les habitudes de leurs dialectes particuliers. Tel n'était point le cas en dehors de la péninsule, où le latin dut rester longtemps, si complètement assimilé qu'il fût, une langue importée, un idiome étranger plus on moins artificiellement appris. Plus la race indigène était éloignée par la langue des dialectes ita- liques, plus le latin dut s'y conserver pur et homogène. C'est ainsi qu'un Tchèque ou un Russe parle généralement mieux l'allemand qu'un Anglais ou un Danois. Fiemarquons que le plus pur des dialectes italiens, le toscan, correspond à une région primitivement habitée par une race qui, ainsi que le manuscrit d'Agram en fait foi, d'une façon formelle et dé- finitive', n'était pas môme indo-européenne. Les habitants primitifs de la Sardaigne, ainsi qu'en témoignent déjà des noms tels que Hampsicora, T. Liv., XXIII, 32, 40, etc., n'é- taient guère plus apparentés aux Italiotes. Une tradition que tout porte à croire fondée en fait des Ibères comme en Espa- gne ; la remarquable conservation du sarde et de l'espagnol s'expliquerait ainsi pour une large part par des raisons ethno- graphiques préférables sans doute aux causes morales, aux mo- tifs tirés du caractère et des mœurs, par lesquels Sittl, Lokale Verî^chied., p. 64, s'efforce assez malheureusement selon nous de justifier le peu d'altérations subies par l'espagnol. Au contraire, pour rendre compte des modifications consi- dérables inaugurées d'assez bonne heure, semble-t-il, par les populations de la Haute-Italie et de la Transalpine et qui démontrent nécessairement une assimilation plus rapide qu'en Espagne ou en Dacie, il conviendra de se souvenir que les dialectes celtiques étaient extrêmement voisins, dans les tournures aussi bien que dans la morphologie et le vocabu- 1. Bréal, Jnnrn. Sav.. avril 1893, p. 218 sq., a fait justice de cette hérésie, trop longtemps défendue par quelques philologues, qui con- sistait à voir dans l'étrusque un rameau de la famille italique. § 5. — 1 i — laire, des \ioiix dialectes italiques, ainsi que Va déjà remarqué Windisch, Grundriss, I, p. 304. Pour notre part, s'il est permis de tirer une conclusion quelconque du très maigre matériel épigraphique que nous possédons à cet égard, nous sommes convaincu que le dialecte celtique de l'Ager gallicus de Pisaurum par exemple ne différait pas énormément des dialectes de l'Ombrie ou du Picénum — j'entends des dia- lectes parlés, non de l'ombrien littéraire que nous ont conservé par exemple les Tables Engubines — et par conséquent du latin provincial de ces régions. Donc, ici encore, nous acceptons, dans son ensemble et ré- serve faite des questions de détail, la thèse de Grober, en l'appuyant toutefois d'arguments ethnographiques plus encore peut-être que d'arguments chronologiques. C'est, on le voit, une théorie diamétralement opposée sur ce point à celle de Sittl qui, poursuivant jusque dans ses dernières conséquences son idée quelque peu préconçue du polydialectisme du latin vulgaire, pose en principe que, plus le latin s'étend loin de son berceau primitif, plus il doit forcément s'altérer. Aussi déclare-t-il sans hésiter, f.okale Versch., p. 43, que le latin s'est altéré plus profondément dans les provinces qu'en Italie. Malheureusement les arguments présentés par Sittl sont fort peu convaincants, et il n'en pouvait du reste guère être autre- ment, puisque c'est un peu aller contre l'évidence des faits de prétendre que le latin d'Italie était plus pur que celui de la Bétique ou de la Provence. Nous venons d'indiquer briève- ment les raisons qui nous portent à croire, avec la plupart des romanistes, que le latin a précisément subi en Italie le plus grand nombre d'altérations. On conçoit combien les di- vergences de vues qui séparent sur ce point les philologues sont préjudicial)les aux progrès de la science et combien il serait souhaitable que des recherches plus approfondies fussent entreprises en vue de résoudre définitivement ce problème essentiel de la philologie romane. En effet, suivant le point de vue où l'on se place, les origines du latin vulgaire apparais- sent sous des aspects tellement différents ; la chronologie primitive des langues romanes varie tellement de système à système et de théorie à théorie ; quelques-uns même traitent ces questions, pourtant capitales, avec une désinvolture et une insouciance si complète et si manifeste de la réalité his- torique ; le vague et la confusion qui semblent régner de plus — 1,') — ^ (). en plus à cet égard dans les esprits les plus éclairés et les plus méthodiques à d'autres, points de vue, prennent des pro- portions telles, qu'il n'y a vraiment pas à s'étonner si, à la façon du diable, le latin vulgaire est parvenu à se faire nier. Lamennais disait que c'était la grande force du Démon : j'ai bien peur que ce ne soit la grande faiblesse de la philologie romane. Quoi qu'il en soit, la question vaut du moins la peine d'être examinée et, avant d'étudier en détails sur quelques exemples l'évolution historique et la propagation des phéno- mènes du latin vulgaire, il nous parait indispensable d'es- quisser tout d'abord quelques vues générales sur l'ensemble du problème. § 6. — Le véritable mérite de Sittl est d'avoir reconnu, Lo- kale Verschied., V° partie, à la base du latin vulgaire et comme élément constitutif essentiel, le latin provincial de l'Italie. 11 y voit, non plus avec Auguste Fuchs et Seelmann, Aussprache der lai. Sprache, Einleit., p. 11, le « Volksla- tein » du Latium proprement dit, le langage parlé de Rome et des environs, et qui n'est en somme pas autre chose que la 7msticitas, étendu peu à peu, comme idiome parlé général, à l'Italie d'abord, aux provinces ensuite ; Sittl s'attache au contraire à montrer que la plupart des particularités du latin vulgaire sont parties, non de Rome ou du Latium, mais des provinces le plus anciennement conquises et latinisées, parti- culièrement des régions du nord, de l'Ager faliscus, de l'Om- brie, du Pisaurum, cf. principalement op. cit., p. 38. C'est ainsi que, refaisant avec un rare bonheur l'histoire de la diphtongue ae et suivant pas à pas, sur toutes les inscriptions disséminées à travers la péninsule, la propagation de la mo- nophtongue i. Recherchant ensuite les causes de cette uniformité de l'ortho- graphe épigraphique, il croit en trouver l'explication dans l'instabilité des populations de l'Empire romain et en parti- culier dans ce fait que probablement les graveurs voyageaient beaucoup : « Die Schreiber und Steinmetzen mochten viel in der Welt herumkommen ». Voilà certes une raison ingé- nieuse : mais comment l'accepter sans sourire ? Ce qui est infiniment plus significatif, ce sont les langues romanes. Elles montrent en effet entre elles et par-dessous les altérations apportées à chacune d'elles par de longs siècles d'indépendance et de développement libre, une incontestable unité de formes et de structure grammaticale ou syntactique. Quant à la phonétique, elle présente en somme pres(|ue par- tout, particulièrement le vocalisme, une histoire primitive en général uniforme et homogène. Il semble donc que l'on en doive forcément conclure, à part des cas particuliers et des exceptions de détail plus ou moins nombreuses, que le mor- cellement dialectal ne s'est sérieusement dessiné qu'à partir de la période romane, c'est-à-dire après l'extinction du latin vulgaire proprement dit pour nous en tenir à l'excellente défi- nition de ivoisig, Vorlrsungen, p. 4: <* Mit dem romischon — '21 — § 8. Volke, das unter den Stûrmcn der Volkorwanderung und deren Folgen uiiterging, nalun natiirlicli auch dessen Sprache als lebende Volkssprache ihr Ende ». Telle est effectivement la conclusion k laquelle on est tout d'abord amené par l'exa- men purement documentaire de la question. Les faits sont, il faut bien l'avouer, d'une telle évidence qu'il est impossible do les méconnaître, au moins dans leur géné- ralité et à condition de ne pas faire une loi absolue do ce qui n'est qu'une règle ordinaire. Il y a donc lieu de s'étonner des dénégations persistantes et positivement excessives formulées à maintes reprises par Sittl contre la théorie de l'unité, et sa phrase fameuse : « Das Vulgarlatein, mit welchem die Lati- nisten operieren, ist ein Phantasiegebilde », cf. Jahresb. Fortsch. klass. Allert., t. LXVIII, p. 226-240, a en somme jeté un peu gratuitement le trouble et le doute dans les esprits. Que le latin vulgaire nous est directement à peu près inac- cessible, nous ne le savons malheureusement que trop, et quant à l'importance exceptionnelle de Y Appendix Probi et du Co7iuiuiwn Tinmalchioiiis au point de vue des vulgarismes, personne depuis Ullmann, Roman. Forsc/i., Vil, 146 sq., W. Forster, Wiener Stud., XIV, 278 sq., et Friedlander, Petron. Einl., n'a jamais eu l'idée de mettre en doute la haute valeur de ces textes. Mais est-ce à dire que toute autre spéculation sur le latin vulgaire doive nous être interdite, que toute investigation indirecte sur ce domaine immense doive forcément rester infructueuse et qu'elle ne puisse en aucune façon sortir du champ des hypothèses fantaisistes? Surtout est-il admissible que les conclusions déduites avec tant de rigueur et de précision de l'étude scientifique des langues romanes soit en réalité sans valeur et que leur témoi- gnage quant au latin vulgaire doive à priori être récusé à la manière d'un testamentwn fictum? Ce serait nier la philologie tout entière, rejeter ses méthodes les plus sûres, professer un scepticisme digne du jésuite Hardouin qui prétendait que les textes de nos classiques étaient l'œuvre des moines du moyen âge. § 8. — Il y a néanmoins un point sur lequel les critiques de Sittl ont, croyons-nous, porté juste et nous avons eu le regret de constater que, dans sa réfutation, si sobre et si claire quant au reste, des théories de l'éniinent latiniste, Miodoriski, i< ancienne puisque ci latin iiarile sa valeur gutturale en albanais. Le mot roumain peut être emprunté à l'albanais. — '2'A — ij y. mériques et de se donner à soi-même l'illusion de la précision mathématique, il est plus séduisant encore d'apporter en apparence l'ordre et la clarté dans les phénomènes les plus embrouillés et les plus confus et d'imaginer une formule gé- rale qui concilie les faits les plus contradictoires. S'agit-il par exemple d'expliquer l'opposition de l'italien orzo et de l'espagnol orzuelo eu regard du provençal ordi d'un côté et du français orge de l'autre, on déclare bien vite qu'en latin vulgaire -rt?/- en hialus après consonne n'était pas encore ré- duit à -dl- et qu'on prononçait, dfuis tout l'Empire, * ordëu ou * ordîu. Dès lors tout est dit ; on rejette l'origine des formes modernes dans la périod(3 romane sans plus s'en préoccuper et chacun admire l'unité vraiment merveilleuse qui régnait sous l'Kmpire romain dans le latin vulgaire de toutes les pro- vinces. Ce n'est pas malheureusement, comme nous aurons sans doute par la suite l'occasion de le faire voir, avec autant de simplicité que les choses se sont passées. § 9. — Sans doute le principe de l'unité du latin vulgaire, tel que le formulait voici déjà bientôt douze ans un des maîtres de la philologie romane, est on soi-même un principe juste et excellent et qui, crojons-nous, doit rester l'axiome fonda- mental de toute étude sérieuse sur les origines des langues néo-latines. « Einheit ist, écrivait à cette époque W. Meyer- Lidjke, Zfiitsc/i. lioman. Phil.^ IX, 2.')5, so meine ich mit An- dern, eines der ersten Erfordernisse fiir's Vulgârlateinische ; nur wo zwingende Grïuide vorliegen, ist davon abzugehen ». Il est impossible de s'inscrire en faux contre la justesse de cette manière de voir, car de l'unité du latin vulgaire en gé- néral, nous le répétons^ on ne saurait raisonnablement dou- ter. Mais //// ou le - il — 5; 1o combien cette influence devait être considérable sur l'idiome vulgaire, sur le langage plus ou moins inculte des paysans, des plébéiens et des esclaves, combien surtout avait dû être profonde la pénétration du latin par les dialectes italiques dans les régions où un contact intime et constant déformait depuis des siècles l'idiome primitif apporté par les colons de Rome. Dès l'époqne préhistorique de la langue latine, nous voyons des kulturworter d'une signification absolument élémentaire, des mots d'un emploi courant et journalier, tels que hôs par exemple, W. Meyer-Liibke, Zeitsch. vergl. Sprachf., XXVIII, 169, cf. aussi bitûmen, Bugge, ibicL, XXIX, 128, etc., em- pruntés au langage de la Sabine ou de la Campanie. Si de tels mots ont pu se glisser dans la langue littéraire dès les premières origines, on comprend combien à plus forte raison les patois populaires du Latium ont dû, à toutes les époques, subir profondément l'empreinte des dialectes voisins. C'est pourquoi nons acceptons entièrement et sans réserve la thèse de Sittl, d'après laquelle le premier noyau du latin vulgaire est constitué par l'ancienne ntsticùr/s apportée aux Italiotes par les premiers émigrants du Lafium et à laquelle les indi- gènes des colonies et des régions conquises mêlent la pe?'r- r/7'imtas de leurs nationalités respectives. Seulement en quoi Sittl nous paraît avoir fait fausse route, c'est lorsqu'il étend sa théorie à toutes les populations de l'Empire, en dehors même de la péninsule, et qu'il attribue à la, prregrin/tas afri- caine, ibérique, celtique un rôle non seulement égal mais plus considérable même que celui de la perpgrmitas italique. § 22. — C'est là, à nos yeux, une erreur capitale. Nous avons déjà dit pourquoi (cf. plus haut § 5 et i^ 19.), en principe, la pénétration profonde du latin par des langues non directement apparentées ou d'un génie différent nous parait inadmissible et antinaturelle. Que du latin et du falisque, du sabin ou de l'ombrien aboutissent à la longue à des dialectes mixtes, rien de plus naturel, et des exemples sûrs autant que nombreux confirment effectivement d'une façon tout à fait incontestable, ainsi que nous nous proposons de le démontrer tout à l'heure, l'existence ancienne de pareils dialectes sur le sol de l'Italie. Mais que du punique et du latin, ou du latin et du messapien ou de l'euganéen aient jamais pu se combiner d'une manière intime et arriver à former des langues mixtes, — y.i — ^ 2 -2. c'est ce que nous nous refusons absolument à admettre. En turc, le génitif construit avec i- à la persane et qui est si usité, même dans le langage courant et vulgaire, ne s'em- ploie néanmoins qu'entre des mots d'origine étrangère, per- sans ou arabes ; jamais on ne l'emploie avec les mots purement turcs. Il n'y a pas, à proprement parler, de véritables langues mixtes; il ne peut y avoir de langues mixtes. Ce serait quelque chose de si contraire à toute logique et à toute vrai- semblance, de si manifestement opposé à toutes nos notions sur l'histoire et la nature du langage en général qu'il nous est totalement impossible de nous faire même une idée de ce qu'eussent pu être dételles langues. Actuellement, nous voyons bien les métis anglais de la Colombie britannique par exemple parler un langage farci de mots et d'expressions chouchouaps, mais la grammaire, comme le fond de la langue, reste réso- lument anglaise et si par hasard il s'y mêle çà et là, dans le parler individuel de chacun, quelque particule grammati- cale d'origine indienne, ces formes ne s'implantent jamais très profondément dans la langue, un contact tant soit peu con- stant avec des Anglais de race pure rectifie le plus souvent au bout d'un temps très court le langage hésitant des métis. Il est vrai que les anciens nous parlent de populations Celti- bériennes ou Celtoligiires et Windisch se demande avec raison comment on pourrait se représenter une langue formée à la fois d'éléments ibériques et d'éléments celtiques ou un dia- lecte moitié insubre et moitié ligure. La vérité est que ces dénominations ont une signification non point linguistique (ce n'était guère la partie forte de la science antique) mais historique ; elles font vraisemblablement allusion à une sim- ple cohabitation de deux races différentes dans une même région', absolument comme si l'on disait que la Bohême a 1. A l'égard de l'Espagne, la présence de populations celtiques mêlées aux Ibères n'est, semble-t-il, qu'imparfaitement prouvée, excepté peut- être pour le nord-ouest de la péninsule. L'existence de populations cel- tiques en Espagne ne repose guère en somme que sur la vieille tradition grecque, cf. Strabon, III, 2, 11 ; 4,. 12 sq. Quant à l'onomatologie géo- graphique, elle n'a donné que des résultats fort incertains, puisque les prétendus noms celtiques relevés par la géographie ancienne se trouvent aussi bien dans des régions données comme foncièrement ibériques que dans les parties signalées comme celtibériennesou purementceltiques. Les progrès de l'épigraphie et de la numismatique celtibériennes ap- porteront peut-être un jour quelque lumière dans cette question difli- cile. i; 2-2. — J* — une population slavo-germanique, sans supposer par là qu'on y parle une langue mixte, moitié tchèque et moitié allemande. Schuchardt, qui a particulièrement étudié cette intéressante question des dialectes mixtes, a sans doute relevé dans les régions frontières slavo-germaniques ou slavo-italiennes des emprunts réciproques de mots, de tournures, de constructions syntactiques ; la prononcialion également pourra, il va sans dire, être profondément contaminée ; mais la morphologie, qui est comme l'àme et le cœur de la langue, à part çà et là qtielques remaniements, quelques retouches légères et sans importance, reste toujours sauve et intacte dans ses grandes lignes. Un dialecte slave ne deviendra pas plus un dialecte allemand que l'anglais ou l'albanais ne passeront jamais au nombre dos langues romanes. Ajoutons que, dans l'antiquité, les conditions ethnogra- phiques et linguistiques étaient sensiblement différentes de ce qu'elles sont aujourd'hui chez des peuples en général d'un degré de civilisation égal, possédant de part et d'autre des littératures plus ou moins anciennes, des écoles, des livres et capables de soutenir à l'envi durant des siècles une lutte toute pacifique et intellectuelle. Dans les provinces de l'Em- pire romain, en Afrique, en Espagne, en Gaule, la conquête n'a nullement été immédiatement suivie d'une romanisation générale et systématique, comme on le rapporte quelquefois. Les colonies, situées à l'origine soit le long des côtes, soit sur le cours des grands fleuves, soit sur les grandes voies commerciales, n'avaient tout d'abord d'auiro objet que d'as- surer à l'Etat romain la suprématie politique dans le pays, la possession des mines, la perception des impôts et de pro- curer en même temps aux colons romains et italiotes des terres à cultiver, des établissements à exploiter, des débou- chés commerciaux à utiliser'. Le système était, à peu de chose près, exactement le môme que dans les capitaineries portugaises de la côte d'Afrique oii les Européens et les indi- gènes vivent depuis plusieurs siècles en bon voisinage, sans que jusqu'ici un contact plus étroit, particulièrement avec les populations de l'intérieur, soit venu créer des relations récUe- 1. Cicéroii, Pro Fonleio, V. Il, dit toxluellemeiit (|iio tout le coiu- inerce do la Gaulo était entre les mains des Koiuaiiis; les routes étaient couvertes de marchands romains ou italiotes : on ne remuait pas un as dans la Gaule entière sans qu'il passât par des mains romaines. - 05 — ?5 -•^• ment intimes. De même jusqu'au temps de César et de Pom- pée les populations indigènes des provinces n'entretenaient avec les émigrés romains que des rapports assez irréguiiers, excepté bien entendu dans les environs immédiats des éta- blissements latins et dans l'entourage des chefs militaires ou des fonctionnaires civils. Des exemples comme celui de Ser- torius en Espagne sont isolés dans l'histoire de la colonisa- tion romaine. Aussi, comme l'a dénu)ntré Gréibor, SpracJi- qiiellenund W'ortq., dans Arc/i. Lat. Lex., I, 43, le nombre des bilingues était extrêmement restreint dans les provinces. L^idée d'une romanisation systématique de l'Empire appar- tient à Auguste et elle resta depuis la politique de ses successeurs. Une nouvelle organisation administrative de l'Empire, l'ouverture d'écoles romaines dans toutes les pro- vinces, des translocations et des déportations en masse, l'abolition ou du moins l'inobservance des lois restreignant le /;/.s' connubii, cf. Mérimée, Essai sur la Guerre Soc, p. 10, enfin l'attribution progressive du droit de cité à toutes les provinces, tels furent les moyens employés. Dans ces condi- tions, la romanisation des provinces ne pouvait manquer de porter un caractère, sinon violent, du moins artificiel et mé- thodique qu'elle ne présentait point en Italie où la propaga- tion du latin s'était effectuée lentement, presque pas à pas et d'une façon pour ainsi dire naturelle. De là, entre la roma- nisation de l'Italie et celle des provinces une différence ori- ginelle et essentielle dont jusqu'ici les philologues n'ont pas assez tenu compte et que la plupart même semblent absolu- ment méconnaître, Sittl aussi bien que Grober ou W. Meyer- Liibke. Or, nous croyons que ce caractère absolument spécial qui marque la romanisation systématique inaugurée sous l'Empire et la distingue si parfaitement de ce qu'elle avait été en Italie à l'époque républicaine, trouve précisément son expression dans la langue et qu'il faut distinguer avec soin le latin vulgaire répandu dans tout l'Empire après Auguste, et le vieux latin rustique transformé en Italie par la pcregrinitas italica. La chose en tout cas vaut qu'on y insiste, car il est clair que les langues romanes à leur tour doivent conserver au moins le souvenir de cette différence d'origine. § 23. — En Italie, il s'agit à proprement parler, comme nous l'avons dit maintes fois, d'une assimilation du latin aux ^ -23. — -"^fi — anciens dialectes indigènes, puis d'une fusion et finalement d'une absorption totale de ces dialectes dans ce parler spécial latino-italique que l'on peut appeler latin d'Italie et dont nous chercherons tout à L'heure à définir avec précision les carac- tères et les limites. Dans les provinces au contraire, il s'agit d'une destruction méthodique et préméditée des langues indi- oènes, de leur expulsion pure et simple dans toute l'étendue de l'Empire, excepté en Orient où le latin ne pouvait guère songer à combattre avantageusement la langue grecque. En Afrique, en Espagne, en Gaule, en Rhétie, en lUyrie, en Dacie, en Pannonie,en Mésie, partout c'est le latin que l'on s'efforce de substituer par des moyens officiels et administratifs aux idiomes barbares. Cette substitution, grâce à l'habileté des procédés employés, dut s'opérera peu près partout, au moins dans les grandes masses de la population et dans les centres importants, avec une rapidité que justifient à la fois les con- ditions de la vie antique, la densité relativement faible de la population, la nature de l'administration impériale, l'infério- rité de dialectes pour la plupart peu cultivés en face du pres- tige de la langue latine. Commencée au i'''" siècle, cette con- quête par la langue, la plus sûre et la plus durable de toutes, était à peu près achevée dans la plupart des provinces dès la fin du iV' : car, au début du v", les invasions et la chute de l'Empire, en affranchissant les peuples, ne leur permirent plus de songer à une restauration de leurs langues natio- nales. Il faut donc bien admettre qu'à cette époque le fond de la population en Sardaigne, en Espagne et en Gaule ne parlait plus guère que le latin. Celui-ci, après avoir joué à côté du dialecte indigène le rôle d'une langue étrangère apprise bon gré mal gré par les Ijarbares et pour obéir aux nécessités des relations avec Rome et le reste de l'Empire, avait fini par supplanter la langue maternelle. On avait oublié le turdétain, l'aquitain, le gaulois pour le latin qui répondait à tous les besoins pratiques ei dont la connaissance, récom- pensée généralement par le droit de cit(' ', (lattait et stimulait I. L'islrie et la Vonétie sont réunies ;i l'Italie en 42 avant .!.-('.: on en conclut, toutefois sans raisons suffisantes, semble-t-il. ([ue (lès ce moment ces ré^n'ons étaient latinisées. Ce qui est probable, c'est qu'elTectivfMnent l'obtention du ixis vinUalh était liée à un contin.ii'ent important de populalion immi.urée ou indiiïène parlant le latin : mais il nous est difficile de i)enser (lue les lîoinains (exigeassent préalable- --)-;— ii -2:]. les peuples barbares. Ce n'est pas que les langues nationales des vaincus aient succombé immédiatement et absolu- ment devant cette concurrence redoutable. Nous savons que les Vénètes conservaient encore leur nationalité et leur langue à l'époque de Polybe, au ii" siècle ; ti'ois siècles plus tard, le Digeste d'Ulpien nous apprend que l'on considérait comme valables non seulement les testaments écrits en latin ou en grec, mais aussi en punique, en gauloiset dans d'autres langues encore, uel alterius cuiusque gentis, cf. Windisch, Grundr., 1, p. 298 ; au iv*" siècle, saint Augustin nous dit que l'on parlait encore punique à Carthage, et quant au gaulois, Budinszky, Aushreif. (1er latein. Spr., p. 115 sq., a démontré qu'il ne disparut complètement, particulièrement dans la Gaule du nord, qu'après la chute de l'Empire, vers le vi" siècle, peut-être même encore plus tard. Cf. aussi Diefenbach Orig. Europ., p. 158 sq. Mais de toute façon ces restes des vieux idiomes nationaux, cantonnés probablement à l'état d'ilôts isolés dans les régions reculées et moins entamées par la colonisation romaine, en Lusitanie, chez les Rhètes, chez les Vettons, les Morins ou les Nerviens, étaient désor- mais irrévocablement perdus et ne pouvaient plus guère entraver la victoire définitive du latin. A l'égard de la Dacie, le latin s'y implanta plus facilement et plus radicalement encore que dans les autres provinces, puis- que, ainsi qu'il ressort d'un passage d'Eutrope, Hist. VIII, 3, déjà souvent cité et commenté par les historiens, la population indigène avait été complètement décimée ou dispersée au moment de la conquête : Dacia enim diutiirno bello Decebali idris fuerat erhausta. Cf. aussi Julien, in Caesarib.: Getarwn quidem getitem penitus euerti et deleui, en tenant compte toutefois des restrictions faites par Ubicini, De la Colonisât. romaine en Dacie, dans \a.Bibl. imiv. de Geiiève, 20 mars 1860. Il semble qu'en Pannonie également les Romains aient eu affaire à une population extrêmement raréfiée et sans cohésion qui succomba presque sur-le-champ à la romanisation ; du moins Velléius Paterculus, Hist. II, 110, déclare que, moins de quarante ans après la conquête, on n'y parlait déjà plus que ment, la latinisation radicale des grandes masses indigènes. Le vénète par exemple, nous le savons positivement, a dû se maintenir dans les campagnes tout au moins bien au delà du V' siècle avant notre èi'e. ^ oi. — 58 - le latin. On peut donc, croyons-nous, considérer dans ces récrions l'influence indigène comme totalement ou presque totalement négligeable. Telle est aussi Topinion de Gaster qui, le premier, a démontré l'invraisemblance de la soi-disant influence dace à laquelle on rapportait jusqu'ici plusieurs des particularités du roumain moderne et que le savant roma- niste attribue avec infiniment plus de raison aux Bulgares touraniens qui, au vu* siècle, envahirent la péninsule des Balkans et la troublèrent si profondément, cf. Grundr., I, 410. Il s'agit donc en définitive pour le roumain, comme pour les autres langues de la péninsule, de faits relativement modernes dont nous n'avons point à nous occuper ici. § 24. — Ainsi donc, en faisant abstraction des conditions toutes particulières dans lesquelles s'est efi'ectuée la romani- sation de la Dacie, on placera à peu près dans le courant du iv" siècle le triomphe définitif et presque complet de la langue latine dans toute l'étendue de l'Empire. Que la victoire du latin ait été réalisée plus tôt et plus profondément dans les régions le plus anciennement conquises, la chose est évidente, bien que cette différence chronologique ne doive pas être étendue au delà d'une prudente moyenne, d'un siècle à un siècle et demi tout au plus. Nous venons de voir que les pro- grès du latin dans les classes populaires des provinces con- quises ont dû être, avant César et surtout avant Auguste, relativement peu considérables et limités généralement aux populations des côtes ou aux centres directement en contact avec l'élément romain. En outre, il ne faut pas oublier qu'en Afrique par exemple, le punique, protégé par une civilisation séculaire et des traditions illustres, dut opposer à la langue de Rome une très longue et très tenace résistance, C'estainsi aussi qu'en Sicile et dans les villes de la Grande Grèce, d'a- près Budinszky, Atishreit. der lat. Spr., p. 44 sq., le grec ne succomba guère qu'au moyen âge devant l'arabe et l'italien ; Naples notamment fournit des inscriptions grecques jusqu'au vu'' siècle de notre ère. L'intérieur do l'Espagne, dont l'éluignement entravait les conimunicalions avec le reste de l'Empire, a dû conserver ses dialectes nationaux au moins aussi longtemps que les dialectes celtiques de la Transpadane par exemple, cf. Strabon, 216 C. Nous savons en toiii cas qu'an i"'' siècle do notre ère on par- — 50 - î; l'i. lait encore un dialecte ibérique ou peut-être celtique à Ter- mes près de Salmantica' (Salamanque) chez les Votions : du moins voyons-nous un homme de cette nation, après avoir assassiné le préteur L. Pison, apostropher les Romains dans son dialecte, sermone patrio, Tacite, Ann., IV, 45, ce qui doit faire supposer que le latin était encore généralement inconnu dans la région ; l'Espagne était donc à cette époque encore fort loin d'une romanisation complète. Un fragment de Pum- ponius Mêla dit, il est vrai, en parlant des Artabres ou Arotrebae qui habitaient sur l'Océan, dans la Galice actuelle, l'extrémité la plus reculée et la plus inaccessible de l'Es- pagne : etiam nunc celticae gentis. On pourrait croire qu'il s'agit d'un dernier reste de la population primitive de l'Es- pagne non encore latinisé et resté fidèle auK usages et au par- ler celtiques. Il n'en est rien et, d'après notre interprétation personnelle, le géographe espagnol veut dire simplement que les Artabres étaient, dans la seconde moitié du i" siècle de notre ère, encore absolument fermés à toute influence romaine, qu'ils formaient une des dernières nations celtiques encore indépendantes. La chose en tout cas est extrêmement vrai- semblable en raison de l'éloignement où vivait ce peuple. Rappelons que l'empereur Vespasien, pour hâter la romanisa- tion de l'Espagne, accorda en l'an 74 le lus ciuitatis oplhiio iure à toutes les villes de l'Espagne, municipales ou fédérées, ce qui entraîne ipso facto l'usage du latin comme seule langue officielle. C'est effectivement vers cette époque que cesse, à ce qu'il semble, la frappe des monnaies ibériques en carac- tères nationaux, cf. Hiibncr, Monuni. linrj. ibericac, Berl., 1894, ouvrage capital pour tout ce qui touche à la question encore si obscure de l'épigraphie et de la numismatique ibé- riques. Le peu que nous en savons nous permet néanmoins, à notre sens, d'affirmer que vers la fin du i'^'" siècle de notre ère le latin était déjà répandu sur beaucoup de points delà pénin- sule ibérique mais qu'il n'était pas partout, tant s'en faut, d'un usage courant parmi les populations indigènes \ La 1. Justin, //«s/., XLIV, 5, dans un passage important qui n'a point encore été utilisé pour la question qui nous occupe, déclare formelle- ment que la latinisation de l'Espagne ne fut entreprise d"une manière effective que par Auguste : Caesar Auguslus perdoinilo orbe uictricia ad cas (i. e. Ilispanus) arma Iranslulit populumque barbarum ac ferum legibus ad cuUiorem uilae usum traduchim in formam provin- l'iae redei/ii. ^ o'i. ^ no _ situation est à peu près la même en Calabre où le aiessapion persista de même jusque sous l'Empire, cf. Budinszky, Aits- brcit. der lut. Spr., p. 40. On sait d'ailleurs que, dans toute la Calabre, les inscriptions latines sont extrêmement rares, excepté dans les colonies romaines, à Brindes par exemple, qui, en revanclie, n'a produit qu'une seule inscription messa- pienne, Mommsen, Unlerital Dial., Tab. V. L'exemple le plus frappant de la résistance des vieilles langues nationales aux empiétements du latin nous est fourni par l'étrusque. Les colonies romaines les plus anciennes en Etrurie étaient Sutrium, de Tan 38o av. J.-C, et Nepet de 373, toutes deux près de Faléries, donc dans une région où vrai- semblablement la langue étrusque n'avait qu'accidentellement accès, dans les relations administratives avec les lucumons et peut-être çà et là dans quelques îlots isolés de population rasène;même, malgré l'opinion de Deecko, Falisk.,]). 20 sq., (|ui tient A'éies pijur foncièrement étrusque, il nous parait probable que les longues guerres de Rome avec les Véiens au V'' et au iv" siècle n'avaient en réalité mis les Romains en con- tact qu'avec des tribus italio-tes d'origine et proches parentes des Falisques. Capène était une colonie de Yéies ; Morrius, roi des Véiens, prétendait descendre d'Halésus, ancêtre my- thique des Falisques, Virg., Acn., X, 411, et une diversité de race expliquerait au mieux, croyons-nous, l'hostilité sou- vent manifestée par les autres Etats de l'Etrurie à l'égard des Yéiens, cf. Liv., V, l.Ce n'est donc guère qu'à partir du m'-' siècle, lorsque furent fondées les colonies d'Alsiuni et deFré- gènes et surtout plus au nord, en face de Voici, celle de Cossa, que les Romains pénétrèrent réellement sur le terri- toire étrusque proprement dit. Encore ces colonies se trou- vant toutes sur la mer, on ne peut admettre un contact véri- table entre le latin et l'étrusque que le long de la route qui établissait, par Tarcpiinies et Caere, la communication avec Rome et qui futdénomniéc plus tard uid Aiii'clia. Il faut attendre le II'' siècle pour trouver- enfin, outre (iraviscae sur la mer, une colonie romaine au centre même de l'Elrurie: Saturnin, sur le territoire de Calétra, entre Vétulonia, Chisium et l'an- cienne Vulsinies. Ce fut, d'après Tite-Live, XXXV, 55, une colonie de citoyens romains qui comptait 'W Scmpronius Grac- chus pai'mi les triumvirs et dans huincUo dix arpents furent atLril)ués à chaquo cobtn. - Cl - -^ -il. On peut hésiter d'ailleurs sur la situation qui fut faite aux Etrusques par Rome victorieuse. Il est douteux qu'ils aient, comme les autres populations de l'Italie, fourni des contingents militaires aux armées de la république, car nulle part, pas même à l'époque des guerres puni(|ues, il n'est fait mention de troupes étrusques combattant à côté des Romains et des Italiotes ; Mérimée, Essai sur la Guprre Sociale, p. 8, en a conclu, par un raisonnement ingénieux, que les Etrusques n'étaient point admis dans les légions, pas même, comme les Italiotes, dans des cohortes spécia- les. On comprend l'importance extrême de cette remarque quant à l'histoire du latin en Etrurie : ainsi s'expliqueraient à la fois la persistante indifférence de ces anciens civilisateurs de l'Italie à l'égard des affaires romaines et l'isolement fa- rouche où ils s'obstinaient à vivre, aux portes mêmes de Rome, loin d'une civilisation qu'ils sentaient étrangère à leur race et à leur langue. Lorsque, sous les Gracques, une fer- mentation immense fait bouillonner l'Italie entière et présage déjà le soulèvement colossal qui va mettre en question les destinées du monde, l'Etrurie reste impassible et calme, plongée, semble-t-il, avec ses haruspices, dans les rêves et les incantations. Quand M. Livius Drusus médite l'envoi de nouvelles colonies dans leur pays, les Etrusques se contentent de murmurer contre la rogationqui les menace dans leur iso- lement et leur demi-indépendance: T'jpp-^v:- ~t... tou vc;xi'j oavEpw; -/.aT£3=wv, App., HclL Ciii., I, 36. Plus tard, au plus fort de la Guerre Sociale, lorsque tous les peuples d'Italie, dans l'en- thousiasme des premières victoires, appellent le monde entier à la révolte, lechefmarse Vettius Scaton essaie en vain d'en- rôler les tribus tyrrhéniennes, d'éveiller chez elles une flamme d'énergie, un désir même fugitif de liberté, cf. App., Bell. Ciu., I, 50, et il suffit de la présence d'un préteur romain, L. Porcius Caton, pour les maintenir dans leur apathie, Liv., Epit., 14. Ce n'est que, quand ils eurent reçu, avec le reste de l'Italie, en 89, en vertu des lois Julia et Plautia, le droit de cité romaine, que les Etrusques sortirent pour un moment de leur indifférence séculaire et prirent les armes à la voix de Marins et de Carbon : non point pour secourir Rome qui les avait affranchis du joug des lucumons, mais pour combattre cette cité qui, en les faisant citoyens romains, prétendait les enrôler dans ses légions, réquisitionnait des vivres et j; -iru - <>^ - des chevaux, envoyait des préteurs les administrer en latin. Ils durent se soumettre cependant, et, après la prise de Clusium, obéir, comme le monde entier, à la volonté de Sylla, recevoir des garnisons romaines et des colonies de vétérans qui. multipliées encore par César, inondèrent le pays d'un élément considérable de langue latine. En même temps, les propriétés des lucumons étaient divisées entre les colons, les anciens propriétaires dispersés et, avec leur puissance anéantie, disparaissaient peu à peu dans les ténèbres du passé les traditions séculaires et les institutions nationales du plus ancien et jadis du plus puissant de tous les peuples de l'Ita- lie. C'est à partir de cette époque, peu avant la mort de César, qu'apparaissent les premières inscriptions bilingues étrusco-latines, attestant les progrès de la langue et de la civilisation de Rome dans une région qui leur fut si long- temps fermée. Peu à peu l'antique idiome des lucumons perd du terrain ; bientôt tout le sud del'Etrurie cesse de rien four- nir à l'épigraphie nationale. Telle était cependant la vitalité de cette langue que, du temps de Cicéron, elle comptait en- core une littérature dramatique florissante, dont un représen- tant du moins nous est connu de nom, Volnius, par un pas- sage souvent cité de Varron, Lmg. Lai., Y , 55, Millier. Au II" siècle de notre ère, l'étrusque était encore généralement parlé dans le pays, au témoignage formel d'Aulu-Gelle, XI, VII, 4, et les inscriptions les plus récentes paraissent bien, si obscure que soit encore pour nous, en dépit des beaux tra- vaux de Fabretti, la chronologie de l'épigraphie étrusque, dater du m'' et peut-être même du iv"" siècle. § 25. — Si donc r(''trusque est parvenu à se maintenir aussi longtemps, et au camr même de l'Italie, on admettra sans peine assurément que des régions infiniment plus vastes et bien autrement éloignées de Rome et de son intluence im- médiate. l'Espagne et la Gaule particulièrement, soient res- tées au moins aussi longtemps fidèles à leurs dialectes natio- naux. On nous dit bien que certains peuples ibériques ou celtiques d'origine s'étaient complètement latinisés dès l'é- poque d'Auguste. Dans un passage dont on invoque ordinaire- ment le témoignage pour d('nion(rer la rapidité de la romani- salion des provinces, Strabon, III, o, dit positivement que les Turdétains s'étaient à ce point familiaris('s avec la langue des — <).'? — ;< 25. Romains qu'ils en avaient oublié la leur propre, cj$l tyj; ^•.xkiv-zj tï;; crssTÉpx; hi [j.ziJ.rr,'^Àys',. Nous croyons qu'il y a là une de ces exagérations dont les écrivains anciens ne se font en général pas scrupule. Que les Turdétains, qui habitaient en Bétique, autour d'Italica et de plusieurs autres colonies florissantes, une région particulièrement abondante en éta- blissements romains, aient de bonne heure appris la langue latine dans ce contact journalier avec les immigrés romains et italiotes, la chose est, en elle-même, fort vraisemblable et n'a rien que de naturel : mais ils peuvent d'autant moins avoir renoncé si vite à leur langue nationale que celle-ci était précisément, au témoignage de Strabon lui-même (et l'épigra- phie confirme pleinement cette assertion) le plus cultivé de tous les dialectes ibériques. C'est pourquoi nous ne croyons pas que, dès le i""" siècle de notre ère, ils fussent autre chose que des bilingues à la manière des Bruttiens qui, du temps d'Ennius, comprenaient le dorien tout en continuant à parier osqueV C'est de la même manière qu'il convient probablement d'interpréter un témoignage identique du même Strabon, IV, I, 12, à l'égard des Volques, des Cavares et des Salyes qui, habitant dans le voisinage immédiat de Marseille, de Nar- bonne et des autres établissements romains de la Provence, ont dû effectivement se familiariser d'assez bonne heure avec le latin. Mommsen, Rôtn. Gesch., W, 406, déclare expressé- ment que, dès 118 av. J.-C, Narbonne fut fondée dans le but spécial de mettre directement les Barbares en contact avec un centre de civilisation exclusivement romain ". Quoi qu'il en 1. Les Bruttiens étaient probablement bilingues comme le sont les Belges des Flandres ou du Brabant, c'est-à-dire que dans les villes on comprenait généralement le dorien de même qu'aujourd'hui à Bruxelles, à Anvers ou à Gand beaucoup de gens du peuple comprennent le français. Dion Ciiry.sostome, II. 112, éd. IJeislve, signale également les Lucaniens comme des clients de la langue dorienne. Cela signifie sim- plement que le dorien était couramment employé dans les villes luca- niennes, particulièrement dans les ports de la côte ; les transactions commerciales se faisaient sans doute en grec. Mais on ne peut pas plus prétendre que les Lucaniens ou les Bruttiens étaient hellénisés ou les Turdétains latinisés dès le i^"" siècle qu'on ne dira jamais que les Fla- mands sont francisés. 2. De ce que les Salyes se soulèvent au moment de la guerre sociale, Liv., Epit., 73, il n'y a point à conclure qu'ils se sentissent déjà latins ou italiotes; ils profitèrent simplement des circonstances difficiles où se trouvait Rome pour essayer de reconquérir leur indépendance, comme firent en 1870 les Arabes d'Algérie. ^ -ir). ~~ (ii — soit, ce sont là des cas de toute façon exceptionnels et le soin même que prend Strabon de signaler ces quelques tribus barbares qui, de son temps, parlaient déjà latin, prouve bien qu'en général la romanisation des provinces n'était guère avancée. On voudra bien remarquer d'ailleurs que Strabon, dont l'optimisme considérait qufdques années avant la catas- trophe de Pompéi le Vésuve comme un volcan éteint, a l'af- firmation particulièrement facile ; avec l'habileté propre aux. Grecs, il iiatte volontiers la vanité romaine, fort sensible à l'égard du prestige du nom latin, et il se souvient toujours à propos qu'il écrit sous un prince qui a rêvé de faire un seul peuple de toutes les nations de l'Empire. C'est ainsi qu'il dé- clare VI, I, 2, que les Samnites, les Lucaniens et les Brut- tiens avaient non-seulement abandonné leurs institutions et leurs coutumes nationales, mais qu'ils avaient entièrement renoncé à leurs anciens dialectes, ce qu'il insinue également, V, III, 6, des populations de la Campanie. Or, nous savons par le témoignage irréfutable de l'épigraphie que l'osque et ses dialectes resta en usage dans de grandes villes telles que Pompéi jusqu'à l'Empire tout au moins et que, par consé- quent, il a dû se maintenir encore infiniment plus longtemps dans l'usage courant des campagnes, cf. ci-dessous §§ 41 sq. Strabon lui-même est forcé d'avouer dans un autre endroit, V, I, 6, que l'on parlait encore tyrrhénien, vénète, ligure et insubre dans la Cisalpine' et VI, ii, 4, qu'à l'intérieur de la Sicile les débris des tribus ibériques des Sicanes conservaient encore leur nationalité distincte. Si donc un siècle plus tard, dans un passage qui ne nous paraît pas avoir été utilisé jus- qu'ici dans cet ordre de questions, Plutarque, Qi/aest. p/alo/i., X, III, '.], parle de ce 'Pwy.aîwv Aoycr, m vjv 5y.oj -xnt: xv^pio-z: yzwr.x'., c'est encore là une de ces phrases qu'il faut se garder de prendre à la lettre et qui ne signifie autre chose, sinon qu'au II*" siècle presque tout le monde savait le lai in, et par ce « presque tout le monde » il faut naturellement entendre I. Au contraire, dès le ii'^ siècle avant noire ère, Polybe. II. 35. aftinne que dans la Cisalpine les populations celtiques ne se rencon- traient déjà plus qu'au voisinage iinaiédiat des Alpes. 11 faut entendre sans doute qu'il n"y avait plus de tribus gauloises indépendantes que dans les montagnes et que partout ailleurs le latin s'était implanté comme lan.iiiie administrative et officielle. — (').') — S; -jn. avant tout les gens instruits, — encore que beaucoup fussent encore peu familiers avec l'idiome romain : témoin Plutarque lui-même qui, au dire de ses biographes, ne parla jamais le latin qu'avec difficulté et incorrectement. Vers la même époque, à Leptis, en Afrique, la propre sœur de Septime Sévère parlait encore le punique et savait à peine un peu de latin, cf. Hist. Aug., Sept. Seu., XV. § 26. — Comment s'étonner d'ailleurs de cette lenteur de la romanisation, si Ton songe qu'aujourd'hui encore, après une lutte de vingt siècles, les dialectes ibériques ou euscariens n'ont pas encore complètement cédé devant l'envahissement toujours croissant des langues romanes? En Afrique, où les Romains ont dominé durant plus de six cents ans et où la colonisation a été particulièrement active, les dialectes numi- do-lib}ens, comme l'a déjà très justement remarqué Fuchs, Roman. Sprachen, p. 58, ont dû constamment rester en usage au moins dans les campagnes, puisqu'ils se retrou- vent encore aujourd'hui dans le berbère. La domination ro- maine en Grande-Bretagne a duré quatre siècles et n'a point réussi à y implanter le latin comme idiome populaire à côté du celtique ; l'action de la langue latine s'est bornée à quel- ques emprunts de mots de la part des dialectes comiques et gallois, cf. Loth, Les mots latins dans les langues brittoniques, dans les Annales de Bretagne, VI, 561 sq. Or, en Gaule, tout au moins dans la Gaule du nord, la si- tuation était sensiblement la même qu'en Bretagne, même en admettant que l'élément romain y fût représenté par des masses plus compactes que parmi les Celtes insulaires ; car il faudra en revanche tenir compte de la cohésion numérique des Celtes continentaux infiniment plus nombreux. Si ce rai- sonnement est exact, le latin n'a guère commencé de se natu- raliser réellement au nord de la Loire que vers la fin du iv° siècle et effectivement nous savons qu'on y parlait encore le celtique çà et là dans les campagnes jusqu'au vf et même au vif siècle. En avançant cette date de cent ans en- viron pour la Gaule du sud et pour certaines parties de l'Es- pagne, on voit que, comme nous le disions tout à l'heure, on ne peut guère parler d'une romanisation eflfective des pro- vinces avant environ le iii'^ et le courant du iv*" siècle de notre ère. MoHL. — Chronolofjie dit Inlin vulgaire. 3 ^ -27. — Of) — §27. — Dans ces conditions, la formation d'une rusticitas provinciale, de dialectes vulgaires du latin nés dans la bouche des Ibères, des Celtes, des Numides, des Etrusques, de même que le latin s'était altéré en se naturalisant chez les Sabins ou chez les Marses, est-elle admissible ou même simple- ment possible? Sittl a beau dire que le latin, en franchissant le Rubicon, est allé d'altérations en altérations, nous ne le pensons pas. Sans doute, les auteurs anciens parlent fréquem- ment de ce latin rude et barbare, squamosiis, pingue sonans, agrestis, inquinatus atque barbants que l'on parle et que l'on écrit dans les provinces, et les rhéteurs mettent en garde ceux qui voyagent en Espagne et en Gaule contre les iierba non trita Romae, Cic, Brut. XLVI, 171. Mais il s'agit toujours ici du latin parlé par les colons romains, par la population romaine et italiote établie dans les villes et dans les centres provinciaux, jamais du langage des campagnards indigènes. Il faut en effet distinguer très nettement entre le latin apporté d'Italie par les colons envoyés par Rome et qui, dans les colonies et les villes romaines, ne cesse de se développer et de se transformer comme toute espèce de langue vivante, — et le latin que parleront ;i leur tour, dans toute l'étendue du pays, les populations indigènes une fois qu'elles auront été complètement romanisées. Réser- vant pour le moment la question du latin parlé dans les éta- blissements romains, nous ne nous occupons présentement que des progrès plus ou moins rapides que le latin a pu réa- liser parmi les éléments étrangers et de la concurrence qu'il a dû faire aux idiomes nationaux, spécialement dans les cam- pagnes. 11 est évident en effet qu'il ne peut être question de dialectes vulgaires provinciaux, ancêtres des langues romanes, que du jour où le latin parlé dans les colonies et les villes aura réellement pénétré dans les masses profondes de la po- pulation indigène et s'y sera naturalisé au point de faire oublier les vieux parlers nationaux. Il y a ainsi trois périodes distinctes dans l'histoire de la romanisation provinciale. La première est toute passive : les indigènes entrent peu à peu en contact avec les colons italo- romains ; ils restent tout d'abord en dehors de toute partici- pation à la propagation du latin, s'accoutumant seulement à l'entendre parler et communiquant encore généralement avec les autorités romaines au moyen d'interprètes. Les — <■)* — ?; -27. populations côtières et celles qui habitent dans le voisi- nasse immédiat des établissements romains se familiariseront naturellement les premières avec l'idiome étranger parlé au- tour d'elles et peu à peu elles se l'assimileront suffisam- ment pour contribuer bientôt à leur tour à sa propagation vers l'intérieur de la province. Telle fut, croyons-nous, d'une manière évidemment très générale, la situation des provinces extra-italiennes jusque dans le courant à peu près du i" siècle. C'est vers la fin du i'^'" siècle et le début du ii*^ environ que s'ouvre insensiblement une seconde période dont la durée fut naturellement subordonnée partout à la densité et au chiffre numérique de la population primitive et pendant laquelle le latin s'insinue peu à peu jusqu'au cœur du pays à côté des anciens dialectes nationaux qui subsistent. C'est une période essentiellement transitoire, dans laquelle le latin, compris sur une vaste étendue du pays et parlé déjà plus ou moins correctement par un certain nombre de bilingues, est néanmoins toujours senti comme un idiome étranger non encore assimilé. Il ne saurait en effet être déjà question d'une assimilation du latin par les populations provinciales. En Italie, le latin avait pu presque spontanément, surtout à l'époque prélittéraire, entrer en compromis avec les dia- lectes si voisins de lui des Falisques, des Volsques, des Sabins, des Péiigniens, etc., etaboutir presque sans transition à une assimilation véritable. Un Falisque ou un Sabin avait pu tout de suite balbutier le latin, même sans l'avoir appris, absolument comme tout Slovène peut parler croate et récipro- quement; au contraire, un Cantabre ou un Batave dut ap- prendre le latin avant de pouvoir le parler. Dans les pays ita- liques, un simple contact avec les Romains avait suffi pour roraaniser peu à peu la péninsule ; dans les provinces, il fallut faire l'éducation des Barbares, il fallut littéralement leur ap- prendre le latin. Les écoles furent en effet, croyons-nous, le grand moyen employé par les conquérants. Déjà Sertorius avait fondé à Osca, au cœur de la Tarraconaise, une école destinée aux jeunes Ibères, très fiers, dit Plutarque, Sertor., 14, lorsque le général suspendait à leur cou la bulle d'or des petits patriciens de Rome. On se souciait aussi de l'éducation des plébéiens : Tite-Live XLIII, 3, nous apprend que Car- téia, sur le fretum Gaditanum, fut fondée dès 171 avant notre < oi. — <>8 — ère, pour j recevoir plus de quatre mille bâtards nés de sol- dats romains et de femmes espagnoles. On connaît cette fameuse école de Crémone où Virgile allait étudier avec les jeunes garçons de Mantoue. Dans une autre bourgade de la Cisalpine, à Comum, Pline le jeune, Epist. lY, 13, s'efforça de faire nommer un maître de grammaire appointé sur les de- niers publics. B\idu\s7.ky, AiisbreiL der lat. Spr.^ p. 104 sq., a insisté avec raison sur l'influence considérable que les écoles durent exercer sur la propagation du latin dans les Gaules et il cite à l'appui un certain nombre de textes qui ne sauraient laisser aucun doute à ce sujet. C'est ainsi que Tacite, Ann., \\\, 43 signale la fameuse école d'Augustodunum, l'ancienne Bi- bracte, où toute la jeunesse gauloise venait étudier et qui dut en effet être considérable, car, sous le nom de scholae mae- nianae, elle était célèbre dans tout le monde romain à la ma- nière de nos grandes universités modernes. Ajoutons de notre côté que cette vogue persista jusqu'aux invasions et que l'école d'x\utun fut certainement un des centres les plus importants de la romanisation des Gaules ; au m'' siècle, sous Constance Chlore, le rhéteur Eumène, Orntio pro instniir. scJioL, 3, la qualifie encore de studiorum frequentia célèbres et illustres. Les écoles populaires d'ailleurs n'étaient point négligées, et nous restons positivement stupéfaits devant le nombre de f/rammatici que l'administration impériale, ainsi qu'il résulte du Code Théo dosien, Xlll, tit. m, 11, entretenait jusque dans les moindres villes et bourgades de la Gaule. Nous aurons d'ailleurs plus tard, §§ 66 sq., l'occasion de revenir en détail sur la question des écoles dans l'empire romain. Les résultats, comme ou sait, ne se firent point attendre et les plus grands noms de la littérature, après Auguste, sont espagnols, gaulois, africains. Les provinces bientôt ne se contenteront plus d'apprendre à l)albutier tant bien que mal la langue de Rome sous d'humbles ludi rnagistri doués sou- vent de plus de bonne volonté que de science ; elles auront, elles aussi, désormais leurs maîtres de rhétorique ot d'élo- quence: AV/m inprouincias quo. une interprétation identique à la notre de ce même passage de Dion Cassius. 11 y a là une rencontre dont nous ne pouvons qu'être flatté au plus haut point. 2. Plusieurs inscriptions d'Italie ou de Provence, jadis considérées comme celti(iues, sont aujourd'hui répudiées comme telles par les cel- tisants; telle est ro})inion de d'.Vrbois (h; Jubainville à l'égard des ins- criptions B,oaTojo£, MaTOcCo, etc., cf. Bull. Soc. Limj.. XLIV. Comjjtes rendus, p. xxi\ . — / / — ^ -■'• essedum appartiennent au même ordre d'idées ; de même le curieux combennônès « compagnons de voiture, de voyage » Festus, Epit. s. v. benna ; l'usage de la voiture d'osier appe- lée henna par les Gaulois paraît s'être répandu de plus en plus dans les derniers siècles, cf. Scheffer, De re vehic, II, 21. On en trouve un modèle gravé sur la colonne de Marc- Aurèle*. C'est pourquoi, au iv" siècle, combennônès a fort bien pu, avec commllifônês, servir de modèle à compâniônès, lors- qu'il s'est agi de traduire le gothique gahlaifs. Le mot celtis « burin, ciseau », qui se trouve dans les Gloses de Philoxène et qui a fini par pénétrer dans la latinité générale puisqu'il apparaît dans la Vulgate, est peut-être le résultat d'un de ces compromis italo-celtiques que nous signalions tout à l'heure. La phonétique montre que ce///^ n'est pas latin d'origine, puis- que el- devant consonne passe à ol-, ni- ; Sliutsch, Bezzemb. Beitr., XXII, 126, considère en effet ce mot comme celtique d'origine. II est possible — telle est du moins notre opinion — que celtis et cultei' <.<■ couteau w, pour *celter, primit. *cer- tros, cf. grec y.s(pw, ont agi d'autre part réciproquement l'un sur l'autre. La fusion a pu s'opérera une époque très ancienne, par l'intermédiaire des dialectes italiques du nord. Une ques- tion intéressante serait de savoir si la forme vulgaire *cur- tello ou *corteUo pour cultellus, repose sur une dissimilation récente de /-/ ou bien si /• représente directement /■ primitif de *co)'- cer- /.s^pw, cf. rhét. curtisch, engadin cwté =z cor- tello, à côté de cimteilus App, Prob., cf. aussi sarde gor- tellu déjà dans les vieilles chartes, aujourd'hui gortecldu en campidanien, curtiedclu en calabrais, curlielb en napolitain. On peut hésiter quant à l'interprétation de la légende rix sur les monnaies des Ostrogoths d'Italie, cf. Friedlander, Die Mûnzen der Ostgotli., p. 31. Comme le ë gothique, si fré- quemment confondu avec ei chez Ulfilas, avait sûrement un son très fermé et assez voisin de l, on pourra mettre rtx pour réx sur le compte de la prononciation gothique. Encore faut-il que cette graphie constante ait réellement trouvé sa justification dans quelque analogie de la prononciation indi- gène. C'est pourquoi il n'est pas impossible, à notre sens, que 1. Le mot bennarius, dans les glossaires gréco-latins, montre l'ex- tension prise par benna dans la basse latinité. Sur les mots celtiques en latin, cf. Drâger, Ilist. Sijnt. Einleit., p. xxi sq. ?; '2'.). ~ 7.S — le rîx des monnaies gothiques dénonce en réalité *riz' pour rëx dans le latin de l'Italie du nord conformément à la pho- nétique celtique qui exige régulièrement / pour é ; cf. Vercin- getorlx, Dumnorïx, v. irl. ri, dans le latin de la Transalpine RiGES « régis » CIL. XII, 2654, rigna, ibid., 975, cf. filicis- siMAE, ibid., 5402, sincir(^/)m, ibid., 2361, etc. On remarquera que le mot « roi » est une de ces expressions d'un caractère traditionnel et en quelque sorte vénérable, peu accessibles aux changements phonétiques et dont la tradition historique justifie toujours les anomalies. C'est ainsi que dans le serbe de Lusace kral « roi », Jcralejstwo « royaume » en regard du polonais ktol, krolestivo, a subi l'intluence du bohémien krdl, krdlov.stvï en raison de l'ancienne suprématie des rois de Bohême sur la Lusace au moyen Age. Rappelons aussi la très curieuse formule portugaise El Rei quand il s'agit du roi de Portugal. On peut donc croire qu'au vf siècle le latin de la Cisalpine conservait encore en quelques régions le vocalisme celtique * 7'tx à ccjté de rëx rège, proprement * reje re, qui n'aurait effacé que plus tard les derniers vestiges de la forme celtique. Signalons enfin une ancienne flexion celtique qui pourrait bien se dissimuler dans le très curieux senatovs d'une vieille inscription de la Cisalpine, CIL. Suppl. Ital., I, 125. Cette forme, à notre connaissance, n'a pas encore été étudiée par les philologues : nous y voyons la flexion du génitif des thèmes en -u conformément à la phonétique celtique. Il faut sans doute poser -eus plutôt que -ous comme primitif; pu devient ou sur une vaste étendue du domaine celtique ; cf. toottiots sur une inscription du musée d'Avignon, tovtati CIL. VII, 84, sur un titre d'Angleterre, Toutiorix à côté de Teu- tates, Teulomalus. La Cisalpine paraît avoir hésité entre eu et 0?/, cf. Ponsinet, Mém. Soc. Ling., VI, 73 ; remarquons de notre côté que la Rhétie et l'Helvétie ne connaissent que ou et qu'elles restèrent, même à la plus basse époque, constam- ment fidèles à la diphtongue, cf. trovcf:teivs Momm., Insc. Conf. llclu., 80; lovsonnenses, ibid., 133; novsantia, ibid., 163; TOVTio, ibid., 284, etc. En Narbonnaise également ou celtique persiste très longtemps. Quoi qu'il en soit, ces faits appartiennent, par leur origine, bien plutôt à l'ancien latin dialectal de l'Italie du nord, aux vieux patois locaux parlés au début de la colonisation romaine le — 71) - ;< -21). long des frontières de la Cisalpine. Ce que le provençal et le français doivent aux langues primitives de la Transalpine semble être en fin do compte, c'est-à-dire si l'on veut bien faire abstraction de toute hypothèse qui ne saurait être scientifi- quement démontrée, infiniment moins encore. Bornons-nous pour notre part à proposer une explication du franc, tiinon : c'est, croyons-nous, la forme gauloise du latin ténio. On sait que è primitif est prononcé î en celtique, ainsi qu'on vient de le voir pour rïx = réx. Remarquons que timon rentre dans le même ordre d'idées que caballus, henna, petotritwn, paraue- rédus et autres semblables*. C'est, il faut bien le reconnaître, la syntaxe française surtout, comme l'ont déjà constaté Ebel et Windisch, cf. Grundr., I, 310 sq., qui paraît porter encore aujourd'hui une incontestable empreinte gauloise, et rien en effet n'est plus légitime ; car, surtout dans des idiomes appa- rentés, c'est la construction, la syntaxe, l'allure générale de la phrase qui persiste toujours le plus longtemps ; ce scTiit de lon- gues habitudes psychologiques, indirectement liées à la lin- guistique, et dont les peuples se débarrassent avec une extrême difficulté. C'est ainsi que des écrivains allemands ou anglais, et surtout italiens ou espagnols, qui écrivent en français, trahis- sent toujours leur nationalité, souvent malgré l'accoutumance de toute une vie, non par des incorrections proprement dites ou par l'emploi de tc^rmes impropres, mais par des tournures, des constructions, de simples associations de mots dénonçant la syntaxe de la langue maternelle, la manière de penser origi- nairement particulière à l'auteur et à sa race. Les traces de la numération celtique relevées dans les numératifs composés du français appartiennent naturellement au même ordre de faits. Thurneysen, Arch. Lai. Lex., VII, 523 sq., a démontré de même que l'expression de la réprocité en français, s'rn- tretiier, s' entr' aider , etc., est calquée sur une tournure celti- que de signification identique. La morphologie peut, elle aussi, être influencée dans une certaine mesure lorsque les flexions présentent, dans les deux langues, des analogies évidentes. Aussi serions-nous disposés 1. D'après la prétendue loi des trois consonnes exposée par Nieder- mann, E und I im Lat. Darm. 1897, * tëksmô devait donner *tïksmô, puis * lîmo au lieu de tëmù: faut-il croire que le latin gallo-hispanique conserve directement ce vocalisme soi-disant régulier? ;:i -IW. — KO — à rapporter partiellement à l'influence celtique le maintien en Gaule du nominatif pluriel domiû à côté de l'accusatif domnôs ; cf. gaulois nomin. * epi, accus. * epôs, d'après le v. irl. eich: eochu, voir Windisch, Grnndr., I, :305, Whitley Stokes, Celtic declensiou, dans les Bt'zzemh. Beitr., XI, 152 sq. En Italie le maintien du type domiil a, comme nous nous pro- posons de le faire voir, cf. §§ 84 sq., une origine quelque peu différente ; néanmoins il pouvait exister dans les régions celti- ques de l'Italie un souvenir dos vieux nominatifs en -l qui a fort bien pu aider de même à la propagation du système en -l dans la Cisalpine et les contrées du nord à une époque où, par suite de la chute de s final, la forme domnôs était devenue insuffi- sante. Comme nons le verrons plus loin, les dialectes italiques, excepté le latin, n'ont jamais connu dans les noms la flexion -i et de fait les vieilles inscriptions dialectales latino-italiques avaient déjà inauguré des nominatifs tels que filios, vireis, scALAS, ^tc. Déjà en sarde il n'y a plus trace des nominatifs en -t. En Apulie, où le latin rencontra en face de lui un adversaire particulièrement difficile à déloger, le grec, on constate des phénomènes du même genre ; en particulier les inscriptions de Barium nous montrent la pénétration évidente du latin par de nombreux éléments grecs, cf. Mommsen, Unterital. DiaL, p. 87. Ajoutons pour notre part que l'invasion de la flexion -u, d'après les génitifs grecs en -:j, a dû s'opérer dans ces régions par l'intermédiaire du type manus, génit. manû[s) avec -s caduc devant consonne, ou encore domiis, génit. domï et domû{s) puis, sous la pression du grec, extension du génitif en -û{s) : * flliû, * dcil, etc., si toutefois cette flexion s'étendait effectivement aux noms communs dans le parler vulgaire de la Grande-Grèce, ce qui n'est rien moins que certain. Un génitif tel que senatv, CIL. I, 1166, du titulus aletrinas, ne doit natu- rellement point être cité ici. Un emprunt direct de la flexion grecque nous paraît tout au plus admissible dans les noms propres d'origine hellénique, socratv, CIL, IX, 85, ammavkv, ihid., 289, NicosTRATV-FiLio, CIL. III, 2193, Sucurac près Salones, Mmtitidrâ, ApuUodôrti dans les didascalies des Adelphes et du Pliormio. On se souvient du reproche qu'Ho- race adressait aux Canusiens, Sat.^ I, x, 30, de mêler leur latin de locutions grecques. On serait tenté de rapporter des constructions toiles que loqui alicui d'après XaXîTv t-.v., hoie- — SI — ij :>0. dicere aliqueni d'après z'ji.z-;il-i -.vu au langage spécial des écrivains ecclésiastiques. Il n'en est rien: maledicere aliquem se trouve pour la première fois chez Pétrone, 96, dans la bouche d'un esclave barbare. On peut conclure de tout ceci que, dans les doux Gaules, il y eut au moins un commencement d'assimilation entre les dialectes celtiques et le latin, à peu près comme en Italie entre le latin et les idiomes italiques, mais évidemment dans une mesure infiniment moindre, étant donnée la distance déjà sensible qui sépare le celtique du latin. De plus, ce procès d'assimilation fut très promptement entravé par le caractère essentiellement artificiel de la romanisation impériale, par la manière toute systématique et presque savante dont le latin fut imposé aux populations de ces régions, particulièrement à celles de la Transalpine. Le résultat final se borna à une naturalisation du latin infiniment plus rapide et plus intime parmi les peuples de la Gaule que dans les autres provinces de l'Empire. ,Taime à croire qu'un Gaulois se sentit très promptement maître de la langue romaine, où il retrouvait le système flexionnel, les procédés de composition et de dériva- tion, l'allure générale de sa langue maternelle. Chez les Ibères, les Etrusques ou les Numides, il fallut de longs siècles, toute une suite de générations avant que le cerveau des indigènes fût définitivement familiarisé avec l'esprit d'une langue indo- européenne. C'est pourquoi la syntaxe des écrivains africains porte des traces aussi nombreuses qu'incontestables de l'in- tiuence sémitique ; c'est même ce que nous connaissons actuel- lement le mieux de ce fameux latin d'Afrique sur lequel on a déjà tant écrit et sur lequel il reste tant à dire. Il faut seule- ment se garder de pousser trop loin ce genre d'identifications. Ziemer, Vergl. Srjnt. der indo-germ. Comp., p. 103, par exem- ple, rapporte à la grammaire punique le régime du comparatif avec â. Il est certain que cette construction est particulière- ment abondante en Afrique et peut effectivement correspondre au O sémitique ; mais elle n'est pas, tant s'en faut, spéciale à l'Afrique. Dès l'époque d'Auguste, Pomponius Mêla, qui était Espagnol, écrit, I, 57 : Cultores regioniim multo alitera ceteris agunt. Quant à regnare super et autres semblables, ce sont des imitations postérieures du style hébraïque dues aux écrivains ecclésiastiques, cf. Sittl, Jahresb. Klass. Alt., 68, II, 240. MoHL. — Chronolor/ie du lalin vuhjaire. G 5; 30. — S:> — Les rapports linguistiques du latin avec les langues indigènes de la Romania sont, croyons-nous, indiqués presque mathé- matiquement par les proportions du morcellement dialectal dans chaque province: c'est en Italie, sur le territoire des anciennes langues italiques, qu'il est le plus considérable; puis vient la Cisalpine, puis la France actuelle; en Gascogne, en Guyenne et dans tout le sud-ouest du domaine provençal à partir du Rhône, il est déjà beaucoup moins considérable et se réduit encore en Espagne. On voudra bien ne pas oublier que l'italien le plus pur et le plus homogène se parle sur l'ancien territoire des Etrusques, lesquels n'étaient pas indo-euro- péens. § 30. — Quant à retrouver dans la phonétique des langues romanes les traces de la prononciation gauloise, ibérique, ligure ou étrusque, nous considérons ces recherches, chères de tout temps aux romanistes, comme absolument chimériques et forcément stériles. Dans la prononciation actuelle de l'an- glais d'Irlande, les traces incontestables du celtique sont rares et la plupart des traits caractéristiques de la phonétique ont été contractés postérieurement. C'est exactement ce que nous avons remarqué pour les langues romanes dont la pho- nétique nous paraît également s'être développée postérieure- ment au celtique. Sittl, Lokale Vfrsc/iied., p. 15. s'élève contre l'opinion courante qui rapporte la prononciation du c aspiré en florentin à l'influence étrusque, alors qu'il met sur le compte de celle-ci, p. 13 sq., le groupe hf, tf pour et en roman. W, Meyer-Lûbke, Latein. Sprache, § 26, cf. aussi Gramm. dcr roman. Spr., I, § 650, voit au contraire dans la prononciation ht une innovation provinciale, d'accord en ceci avec Diez, Schuchardt, Ascoli et autres savants qui déclarent carrément ht d'origine celtique. Thurneysen lui-même, qui se montre en général assez sceptique à l'égard des influences celtiques, cf. Kelto-roman., 7-15, s'est rattaché sur ce point à l'opinion courante. Quant à l'ombrien rehte « recte », uhtur « auctor », osque Ûhtavis « Octauius « etc., on ne cite jamais ces formes que pour les écarter tout aussitôt avec une sorte de dédain, cf. W. Meyer-Liibke, Gramm. der roman. Sprachen, I, § 649, qui déclare textuellement qu' « il ne faut attacher aucune importance au traitement ombrien des pala- tales ». C'est pourtant là, croyons-nous, dans les vieux parlers — s:i — i; :u). de l'Italie, qu'il faut chercher la première origine des succes- seurs romans des gutturales latines et de la plupart des phénomènes réellement anciens de la phonétique romane. Nous nous proposons précisément, dans les pages qui vont suivre, de montrer que le latin vulgaire est en réalité beau- coup plus ancien qu'on ne le croit généralement et que ses véritables auteurs ne sont autres que ces légionnaires et ces colons italiotes qui, de toutes les parties de l'Italie, l'ont répandu à travers le monde. Que certains phénomènes d'un caractère plus récent et moins général, le û français par exemple, soient effectivement dus à telle ou telle population provinciale', la chose est, en elle-même, fort possible, encore que toutes les manifestations phonétiques qui distinguent une langue ou un dialecte ne supposent pas forcément une influence étrangère. Les dialectes vulgaires de l'Inde montrent des traitements phonétiques tellement identiques à ceux des langues romanes que, si le prâcrit ou le pâli étaient originaires du bassin méditerranéen, on serait obligé de croire à une intluence européenne. Personne cependant n'a jamais rap- porté au celtique ou à l'ibérique la réduction de kt, pt à tt en prâcrit ni le passage de p t intervocaliques kv d ni la chute de f/ dv en syllabe médiale. Pourquoi de même les Gallo-Romains — et cela à une époque qui peut être très récente — n'au- 1. Le son û paraît s'être produit indépendamment sur un grand nombre de points du domaine roman, non seulement en Ciaule, dans la Cisalpine, en Rhétie, mais encore dans certaines localités de l'Italie du sud, de l'Albanie et du Portugal. De plus, li rhétique n'est pas con- temporain de il français et dans la France elle-même, û de l'Ile-de- France ne correspond point exactement à il normand ou à û picard, cf. W. Meyer-Lûbke, Gramm.. I. ?;?; 48 sq., § 6'i6. Remarquons que la question de il en français est un problème toujours ouvert et qui mé- riterait d'être étudié à nouveau. Pour notre part, nous sommes assez sceptique à l'égard de l'antiquité de il en Gaule, et cela pour des motifs que nous avons exposés jadis dans les séances de la Société de Linguis- tique de Paris. Il y a en France un petit village des bords de la Seine nommé aujourd'hui Morsan. C'est une ancienne ferme des Carolin- giens désignée sous le nom de Murcimtus dans le Polyptyque lVIi-- minon, publié par Guérard, Paris, 1834, cf. aussi Littré. Eludes sur les Barbares, p. 220. Ainsi, au ix" siècle, après la syncope vocalique, mfiro cinctit passe à mur ceint et, le premier élément devenant atone, nous voyons l'ancien u tonique libre de mûro passer en- core à ti ou 0. analogiquement ;>, mur-ceiiit, d'où Morcenl. Morsan. Donc, au ix*-" siècle, ii libre devenant accidentellement ii entravé, peut encore passer à » comme ii entravé ancien. Une prononciation il semble donc exclue avant le ix« siècle et tout au moins pour cette région. ^31. — 8i — raient-ils pu spontanément articuler û au lieu de û, comme la chose est arrivée aux Grecs, aux lUyriens, aux Slaves, aux Italiotes, cf. ombr. pir = grec -riXip, osqiie tiurri = lat. turriin, aux Latins eux-mêmes, cf. maxwnus-maximus ; Virlule ubi / scribitur et paene u enuntiatur, Vel. Long. 2219 P ; Vir non mjr, uirgn non uyryn, nirga non wjrga, App. Prob. 198, 20; BYRis {uiris) CIL. VI, 3722 a? D'autre part, on oublie trop que les Barbares n'étaient nullement livrés à eux-mêmes lors- qu'ils apprirent le latin, mais qu'ils s'y exercèrent sous plu- sieurs générations dans le contact et sous la surveillance constante de Romains d'origine. Il ne saurait donc être dou- teux que leurs organes phoniques finirent par se plier assez bien aux exigences de la prononciation latine, — ce qui, nous l'avons dit, n'avait pas été le cas pour les Italiotes, dont l'édu- cation latine s'était faite dans de tout autres conditions, d'une manière naturelle et libre, et surtout sans le contrôle d'une langue officielle fixée par la littérature. Pour notre part, nous sommes persuadé que si le français ou l'espagnol reflétaient réellement la prononciation celtique ou ibérique, l'élément latin y serait bien autrement déformé et méconnaissable. § 131. — Nous sommes donc ramenés à l'opinion de Littré, Hist. de la laiig. franc., Introduct., qui, conduit par des raisonnements abstraits, nous paraît avoir touché juste, lors- qu'il déniait aux idiomes barbares une part vraiment active dans la formation des langues romanes. Nous arrivons ainsi à cette conclusion qu'une rusticitas proprement dite, telle que l'admet Sittl, est inadmissible pour les provinces de l'Empire romain. Le morcellement dialectal ne commence ici que lorsque l'usage du latin a pénétré les couches profondes de la popu- lation indigène et s'y est complètement acclimaté, ce qui nous reporte dans le courant du iv° siècle environ. Jusque-là, en vertu même du caractère tout spécial affecté par la romanisa- tion impériale, il n'y a pas réellement de dialectes rustiques dans les provinces et le latin vulgaire en usage dans les diffé- rentes contrées de l'Empire ne varie qu'en tant que les colo- nies romaines du pays — source principale d'où le latin se répand peu à peu à travers la province entière — ont elles- mêmes contracté des particularités linguistiques caractéris- tiques pour hi région. Ces particularités, dont il nous restera à rechercher la nature el l'étendue, sont d'ailleurs perpétuel- — s.") — ^31. lement combattues et entravées par les traiislocations, les levées de troupes, les renouvellements de la population coloniale, les permutations de fonctionnaires, les relations commerciales et administratives. On doit en effet, nous ne saurions trop le répéter, tenir soigneusement compte des conditions tout à fait spéciales dans lesquelles s'est propagé le latin sous l'administration impériale. On chercherait vainement dans l'histoire de l'hu- manité quelque chose de comparable à ce qui s'est passé en Europe pour la langue latine. Tout au plus pourrait-on trouver quelque semblant d'analogie dans la prodigieuse for- tune de 'l'arabe à travers le monde musulman, en Egypte, en Syrie, dans le Moghreb : là aussi nous voyons tout à coup s'é- lever du fond du désert un idiome d'humbles origines qui, dans un essor immense, vole d'un bout à l'autre du monde, prend pied dans tout l'Orient, s'y propage, s'y développe avec une rapidité presque foudroyante, et s'y conserve même sous sa forme vulgaire avec une étonnante homogénéité, une unité que n'entament ni les siècles qui passent ni l'étendue d'un empire colossal \ C'est que l'arabe portait avec lui le prestige de la religion, plus puissant encore que celui de la victoire. Or, il y a toujours quelque chose de factice, un but déter- miné et voulu, c'est-à-dire une certaine part de convention, dans l'adoption d'une même langue par des peuples de diffé- rentes races et jusque-là séparés par l'histoire. C'est, autant que la contrainte politique et les nécessités administratives, le besoin de posséder en commun un même instrument de communication qui élève ainsi un dialecte au rang de langue universelle. Il ne s'agit plus dès lors d'une langue spontané- ment développée, vivant librement et sans entraves de sa vie propre, avec tous les caractères d'une individualité mar- quée ; l'unité s'impose à elle, par la force des choses, comme la condition même de son existence et, favorisée par un gou- vernement centralisateur, c'est cette indispensable unité qui ,1. Sans doute, il y à une différence entre la prononciation arabe de l'Egypte ou du Moghreb et celle de la Syrie ou du Levant; les uns articulent j ce qui pour les autres sonne //. Il y a une quantité de mots de l'arabe d'Algérie qu'on ne connait pas au Soudan ou en Egypte et réciproquement. Les Turcs, les Persans, les Levantins, les Syriens ne parlent pas l'arabe de la même manière ; mais du moins le fond de la langue, les flexions, la syntaxe, la grammaire, les racines, les pro- noms sont sensiblement les mêmes partout. § :}|. — 80 — partout réglemente la langue, qui la dirige, la maintient, l'arrête dans son évolution dialectale, l'immobilise en quelque sorte, exactement comme nos langues littéraires modernes régies par nos Académies et nos ordonnances officielles . Il s'est passé pour le latin de l'Empire romain quelque chose d'analogue en somme à ce que nous avons pu observer de nos jours au Canada avec le chinook de l'ancienne compa- gnie d'Hudson, qui était une sorte d'anglo-français artificiel- lement déformé à l'usage des Indiens et destiné à être compris par toutes les tribus. Seulement, les Romains ne mutilèrent point leur langue avant de l'imposer aux Barbares : bon gré, mal gré, les peuples apprirent le latin tel qu'il éttiit et en firent la lani^ue de l'univers. III CONSTITUTION DU LATIN DTTALIE Sommaire : ;^;^^ 32-3'»-. L'uiiilicalion de la langue vulgaire el la dispariLion des anciens patois latino-italiques ; les patois combattus par la langue oflicielle. — g 35. La Guerre Sociale, date critique dans l'iiistoire d'Italie. — S 36. Les anciens dialectes du Latiuni. — ;^ 37. État des Italiotes avant la Guerre Sociale ; la latinisation de l'Italie. — g 38. Le latin chez les peuples sabelliques. — S2 39-40. L'ombrien ; les Tables eugubines et leur chronologie. — gg 41-42. Persistance des dialectes osques : survivances modernes. — §g 43-44. Caractères du latin dialectal de l'Italie avant la Guerre Sociale ; l'Ombrie, le l'icénuiii, le latin de l'Italie du Nord. — gg 45-49. Les anciens patois locaux chez les Péligniens, les Marses, les Vestins, dans l'Italie du Sud ; premières contaminations de l'osque par le latin. — gg 50-52. La Guerre Sociale el ses résultats en Campanie, dans le Samnium et la Lucanie ; chronologie de la Table de Bantia. — gg 53-54. Repeuplement de l'Italie du Sud et ses conséquences linguistiques. — gg 55-56. Constitution de la nationalité italique et unification du latin vulgaire d'Italie. § 32. — C'est donc bien en dernière analyse, et bien en- tendu d'une façon ti'ès générale et qu'il faut se garder de considérer comme absolue, le latin vulgaire plus ou moins uniforme, le latin des inscriptions impériales, que nous trou- vons à la base du latin provincial' et des langues romanes. C'est celui qu'a décrit Jordan sous le nom de latin municipal et que Max Bonnet considère comme identique avec le latin littéraire lui-même. Nous avons examiné dans quelle mesure et avec quelles restrictions la thèse du savant français peut être acceptée comme répondant effectivement à la véritable nature du latin vulgaire impérial. Nous arrivons à présent à une question infiniment plus compliquée et qui, semble- t-il, n'a été jusqu'ici élucidée (jue d'une manière très imparfaite. Il s'agit des relations tant linguistiques qu'historiques qui doivent 1. Nous distinguons le te//njo?'Oî'zno/V<7, c'est-à-dire la langue géné- ralement en usage dans les provinces, particulièrement en dehors de l'Italie, et le latin dltalie, qui est plus spécialement la latinité en usage dans la Péninsule, particulièrement à l'époque républicaine. .^ 33. — 88 — avoir forcément existé entre l'ancien latin poljclialectal de ritalie, tel que Sittl l'a esquissé dans ses Lokale Verschieden- heiten, et ce latin vulgaire de l'Empire, à peu près le même dans toutes les provinces. Comment la langue latine, après s'être divisée en dialectes et en patois locaux, a-t-elle par la suite recouvré son unité? Comment l'idiome vulgaire, à l'ori- gine nettement distinct et profondément séparé dans ses dia- lectes de l'idiome littéraire et officiel, s'est-il débarrassé insen- siblement des particularités dialectales qui le distinguaient pour rejoindre de plus en plus la langue littéraire \ Vers quelle époque enfin les anciens dialectes du latin d'Italie com- mencent-ils à s'effacer devant le latin littéraire et cette forme générale de la langue parlée qu'on peut dénommer la /.iiv/^ impériale ? Comment celle-ci est-elle née et quelle est à cet égard la situation respective de l'Italie, des colonies et des provinces ? Ce sont là autant de points distincts qu'il importe d'examiner en détail. i; 33. — Constatons tout d'abord qu'entre le latin polydia- lectal de l'ancienne Italie, lequel est trop formellement attesté par l'étude rationnelle tant des inscriptions latines ar- chaïques que des inscriptions italiques elles-mêmes, pour pouvoir être en aucune façon mis en doute, — et le latin gé- néral en usage sous l'Empire, il ne saurait être question d'une solution de continuité à quelque degré que ce fût. I-es dialectes italo-latins, développés après la conquête de l'Italie, et qui sont nés naturellement de la fusion plus ou moins in- time du latin prélittéraire avec les idiomes italiques, sont des produits linguistiques naturels, éclos spontanément, et dont la vitalité, s'affirmant de siècle en siècle davantage, fait perdre graduellement du terrain aux langues italiques primi- tives. Déjà au moment où éclate la (luerre Sociale, une quan- tité de ces anciens dialectes ont définitivement succombé ou pour mieux dire se sont complètement fondus dans les dia- lectes locaux du latin; Varron, qui était Sabin d'origine, ne parait pas comprendre sous la dénomination de sabina lûujufi autre chose que le latin dialectal de la Sabine. Or, cet ancien latin polvdialectal de l'Italie n'est jamais mort d'inanition, comme plus tard le celtique ou l'étrusque ; le latin impérial ne lui a point été substitué sans intermédiaire, comme il a remplacé un beau jour le celtique et l'étrusque: d'où il résulte — SI) — ;i 3:5. que le latin impérial est sorti d'une transformation lente, graduellement poursuivie, des anciens dialectes eux-mêmes. Le latin littéraire n'a point été imposé tout-à-coup par l'administration romaine aux populations italiotes ; ce n'est point une forme nouvelle de la latinité, d'un caractère purement officiel, substituée violemment aux vieux dialectes. Car, s'il en avait été ainsi, ces dialectes se fussent maintenus beaucoup plus longtemps à côté de la langue officielle, ainsi qu'il arrive régulièrement lorsque la ligne de démarcation qui sépare deux idiomes distincts continue d'être sentie et observée. Les anciens dialectes latino-italiques eussent infailliblement transmis leurs principales particularités aux patois italiens parlés aujourd'hui dans les mêmes régions ; or, s'il est vrai que l'italien conserve un grand nombre de ces particularités et des vestiges particulièrement impor- tants de l'influence italique primitive, on n'observe toutefois qu'assez exceptionnellement une survivance patoise directe affirmée par un grand nombre de traits à la fois. Le fond des dialectes italiens est sensiblement le même que celui des autres langues romanes : c'est, avec une unité un peu moins accusée peut-être, le latin impérial, le latin municipal de Jor- dan que nous trouvons, ici encore, à la base delà langue mo- derne. Il faut donc que peu à peu une fusion intime soit in- tervenue entre les deux formes de latinité ou mieux encore, il faut que les patois latins de l'époque archaïque se soient in- sensiblement rapprochés de la langue littéraire et officielle, à mesure que le prestige de celle-ci grandissait et que l'ad- ministration romaine, plus forte et plus étendue de jour en jour, faisait plus profondément sentir son influence et son empire. De même que les langues primitives du Latium et bientôt celles de l'Italie avaient fini par se fondre dans la rusticitas archaïque des premières colonies, de même ces dia- lectes mixtes latino-italiques s'altérèrent insensiblement au contact intime et incessant du latin officiel et flnalement fu- sionnèrent avec lui en une sorte de compromis naturel oïi la langue littéraire eut, comme il était juste, la part du lion ; une dissolution radicale des vieux dialectes s'ensuivit bientôt et, d'année en année, avec les progrès croissants de la puis- sance romaine, ce langage hybride, moitié dialectal et moitié littéraire, s'épura, se perfectionna, s'unifia jusqu'à se rap- procher de très près du latin purement littéraire. .^ .Ti. — *.«> — De nos jours, les patois de nos campagnes cèdent peu à peu le pas à la langue littéraire, sous l'action des écoles, du service militaire obligatoire, des administrations publiques, de la prédication dans la langue commune, des relations com- merciales, des chemins de fer, etc. Le patois commence par s'altérer par une invasion de plus en plus considérable de mots, de locutions, de tournures provenant de l'idiome litté- raire; puis il se désagrège par l'emploi simultané de formes littéraires et de formes patoises, si intimement unies parfois qu'il est malaisé à première vue de décider ce qui appartient en propre au patois primitif et ce qui est emprunté. Un savant fran(:ais, Gilliéron, Patois de Viomiaz, cf. aussi Delà Vitalité des Patois, dans les Et. rom. G. Paris, p. 459 sq., a étudié d'une manière extrêmement intéressante cette pénétration des patois par la langue littéraire. Il nous apprend par exemple que, sur une route directe reliant deux villes de .langue française, les patois des villages intermédiaires sont arrêtés à différentes étapes de leur développement linguis- tique : le français littéraire des villes entrave ainsi la forma- tion patoise et tue peu à peu la vitalité des parlers rustiques, cf. Vital, des Patois, p. 460. L'isolement absolu d'un patois est d'autre part la condition essentielle de son développement libre, ibid., p. 461. sq. Les contacts et les échanges entre patois voisins interviennent aussi au procès en qualité d'agents destructeurs ; bientôt le nivellement est accompli sur une vaste région où circule un parler essentiellement composite, constitué par un fond de langue littéraire dans lequel nagent les débris des anciens patois ; enfin, dans une dernière phase, il ne reste plus de ceux-ci, outre un certain nombre de mots et d'expressions dont il est le plus souvent impossible d'indiquer la provenance première, qu'une prononciation spéciale dénon- çant l'origine provinciale, ce que nous appelons Vaccent du terroir, ce qui trahissait les Italiotes à l'oreille de Quintilien, XI, III, 31. § 34. — Telle est, dans notre conception, l'origine du latin vulgaire impérial'. Qu'on n'objecte point ({ue les conditions 1. L"expression lalin Imprrial est assez impropre, puis(iue le i)rocès inauguré par la langue littéraire commence en réalité sous la Répu- blique et fait, sur certains points, sentir ses effets antérieurement à ri']mpire. — 01 — ,i; 'M. de la vie moderne ne sauraient être prises comme terme de comparaison à l'égard de la vie antique et que ce qui se passe aujourd'hui grâce aux chemins de fer et à l'instruction obli- gatoire est inadmissible pour le temps de César ou d'Auguste. Ce serait se tromper étrangement que de méconnaître ce ré- seau de liens étroitement serrés qui, par-dessus le moyen âge, relie la société moderne non seulement aux institutions mais aux principes sociaux eux-mêmes sur lesquels Rome a fondé la conception de l'Etat. Il n'est peut-être pas un seul des mille rouages compliqués qui constituent notre adminis- tration moderne qui n'ait dans quelque recoin de l'édifice ro- main son modèle ou son analogie. Des deux côtés, le principe est le même et le but est identique : la concentration de plus en plus accentuée de toutes les forces actives de la nation entre les mains du gonverneraent central, le sacrifice de toutes les libertés particulières à la liberté commune, et l'abandon de celle-ci à la discrétion de l'État. Il y a ainsi une opposition absolue entre la conception unificatrice et centraliste de l'E- tat chez les Romains ou chez les nations modernes et le sys- tème du moyen âge, où le particularisme 'le plus développé et le plus divisé qu'il y eut jamais laissait à cette multitude de petites unités autonomes son évolution libre, tout en main- tenant l'unité centrale, la hiérarchie féodale soumise elle- même à l'autorité toute spirituelle de l'Eglise. C'est naturel- lement la langue, expression infaillible de l'état social et moral des peuples, qui reproduit le plus nettement, avec une précision mathématique, l'antagonisme des deux systèmes. Au moyen âge, c'est la division politique poussée jusqu'à l'extrême, l'autonomie de chaque château avec la bourgade couchée à ses pieds : c'est aussi la division dialectale sans cesse croissante, le morcellement à l'infini en dialectes, en sous-dialectes, en patois et en parlers locaux. C'est la di- vision des ordres et des classes, la séparation des populations urbaines et rurales, la stabilité des hommes comme des choses, la destination de chacun marquée d'avance et im- muable, sans la possibilité même d'un changement. Dans l'Em- pire romain, ce sont des levées d'hommes jusqu'aux derniers confins de l'univers, depuis les déserts de Syrie jusqu'aux lacs de la Calédonie, depuis les rivages africains jusqu'aux forêts germaines ; ce sont des armées, toujours des armées nouvelles que réclame le gouvernement de Rome ; ce sont des popula- ?i .T). - '.)-2 - tions entières arrachées au sol natal et emmenées en troupes d'esclaves dans des marches de dix mille lieues, des dépor- tations en masse, des mélanges de races combinés avec une science systématique de maîtres de haras, des peuples en- tiers transportés au loin afin qu'ils oublient jusqu'au nom même de leur patrie ; car il n'y a qu'une seule patrie, comme il n'y a qu'un seul maître : Senatus Popidusque Romanus. Ce sont là, il faut l'avouer, des procédés énergiques capables d'effacer en peu d'années chez les vaincus toute trace d'une nationalité distincte, admirablement faits en tout cas pour favoriser la centralisation et l'unilication de l'Empire. On conçoit que, dans ces conditions, la dissolution et la ruine to- tale des langues et des dialectes locaux devaient survenir à brève échéance, en Italie surtout où ces incessants mouve- ments de populations, ces échanges, ces envois et ces rappels de colonies étaient pratiqués dans des proportions encore in- finiment plus vastes que dans les provinces. Rome en effet avait beaucoup plus à craindre des Italiotes, ses voisins immé- diats et bientôt ses égaux par la civilisation comme ils l'é- taient déjà par la race, que des Ibères ou des Illyriens. Les guerres séculaires contre les Latins, les Eques, les Samnites justifiaient ces craintes par de dures expériences et la Guerre Sociale montra bientôt que la destruction impitoyable des anciennes nationalités italiques pouvait seule assurer le salut de Rome. § 35. — Déjà sous les Gracques, le Sénat avait pressenti le danger et cherché à le conjurer, tantôt en écoutant la roga- tion du consul Fulvius Flaccus qui, par une politique habile ou peut-être personnellement intéressée, voulait ouvrir paci- fiquement aux Italiotes les droits et les privilèges des Romains, Valère Maxime, IX, y, 1 ; tantôt, ce qui était plus habile encore, en les dispersant dans les colonies sous couleur de leur accorder des privilèges jusque-là réservés aux Latins. C'est ainsi que C. Gracchus conduisit en qualité de triumvir une colonie nouvelle de six mille Italiotes par delà la mer, sur les ruines de Carthage, Appien, Bell. Ciit., I, 24. Un peu plus tard, ce sont douze colonies à la fois, uniquement com- posées d'Italiotes, que M. Livius Drusus proposa de fonder, dans le double but de gagner la confiance des populations italiques et d'affaiblir leurs masses menaçanlos. Pluîarque, — \):\ — ^ .T). C. Gracch., IX. Bientôt c'est Saturninus qui, suivant la même politique, fait voter la loi Apulcia, par laquelle .sont envoyées en Gaule plusieurs colonies d'italiotes assimilées aux colonies latines, Appien, liell. Ciu., I, 29. Ces mesures tar- dives furent inefficaces et les horreurs de la Guerre Sociale ramenèrent pour la Ville éternelle les angoissés de l'invasion gauloise, les jours néfastes de Brennus et d'Annibal. Elle comprit qu'elle ne devait son salut qu'à la désunion de ses adversaires et à leur inexpérience politique. Ce fut un aver- tissement dont elle sut profiter ; ses représailles furent ter- ribles. La lex Iulia municipalis, il est vrai, dictée au milieu du péril de la guerre, et la loi Plautia, plus favorable encore à ceux des Italiotes qui déposeraient les armes, pouvaient pas- ser pour des actes de clémence et de pardon ; des esprits peu clairvoyants pouvaient croire qu'en effet le peuple romain sa- vait, comme dit Virgile, abattre l'orgueil des rebelles et épar- gner les vaincus. En réalité, la loi Julia, en accordant aux Italiotes le droit de cité, les anéantissait comme nation en substituant des tribuns ronïains aux préfets indigènes qui les avaient jusque-là administrés. Les Samnites ne s'y trompèrent point; ils refusèrent avec indignation le bénéfice dérisoire de la loi et il semble bien que les Lucaniens suivirent leur exem- ple; en tout cas, nous ne les avons trouvés nulle part, ni chez Appien, ni chez les autres historiens de la guerre, parmi les peuples de la confédération italique qui, comme les Marses, les Péligniens, les Vestins, sont expressément cités parmi les bénéficiaires de la nouvelle loi. Alors commença pour les insoumis le plus douloureux calvaire qu'un peuple ait jamais enduré dans la longue histoire des cruautés humaines. Ce fut Sylla qui se chargea de châtier le Samnium ; il était à la hau- teur de sa tâche. Le Samnium disparut littéralement sous les ruines et les Samnites dans le sang; Strabon lui-même, V, p. 249 C, ne peut dissimuler son effroi en parlant des ravages inouïs qui ruinèrent ce malheureux pays, décimèrent ce peu- ple héroïque qui, meurtri et vaincu, inquiétait encore les maîtres du monde. « Rome, disait Sylla, ne sera tranquille que le jour où il n'y aura plus de Samnites ». Ils disparurent effectivement : ce furent les soldats du dictateur, avec des milliers de ses créatures, qui vinrent occuper les terres des victimes et s'emparer de leurs biens. Tel est l'oubli où tomba i; X). — 01 — cette terre glorieuse que pas un des historiens anciens n'a songé à relater l'époque où les Romains daignèrent enfin l'as- similer au reste de la péninsule et accorder à ses habitants le ius ciidtatis oplimo iure. Ainsi. l'Italie sortit des mains de Sjlla déflnitiveinent soumise, domptée à jamais, docile à tous les ordres de Rome, mais affaiblie et ruinée, épuisée d'hommes et d'argent. Une des belles communications de Dureau de la Malle à l'Aca- démie des Inscriptions et Belles-Lettres, Comptes rendus, t. XII, Sur la dépopulation de l'Italie sous Sylla, a montré, à l'aide de calculs exacts et de déductions rigoureuses, que la population de la péninsule se trouvait, à la mort du dictateur, amoindrie dans d'effraj-antes proportions; des régions entières avaient été transformées en déserts, des villes jadis floris- santes n'étaient plus que des ruines. L'Italie du Sud, foyer principal do la guerre, souffrit naturellement le plus ; le Sénat lui-même finit par s'inquiéter et s'efforça de repeupler ces ruines et ces solitudes. Le pis était que Rome elle-même avait perdu beaucoup de ses habitants ; car, au.x horreurs de cette Guerre Sociale, où des légions entières avaient été dé- cimées, s'étaient jointes les proscriptions de Marins, puis celles plus terribles encore de Sylla, et cette fureur du meurtre, cette folie du sang avait encore réduit, et dans des proportions alarmantes, le chiffre de la population. C'était le mal séculaire de Rome qui reparaissait, plus menaçant et plus noir, cette pénurie d'hommes libres dont elle avait si souvent souffert et qui resta toujours sa grande faiblesse. Il est étrange que Littré, dans ses Etudes sur les Barbares, n'ait pas compris ce défaut capital de l'organisation romaine; il vante au contraire cette pépinière inépuisable d'hommes et de soldats d'où, à l'entendre, le Sénat tirait sans compter ses légions ; l'illustre savant français ajoute textuellement, p. Il, que Rome « ne souffrit jamais de cette pénurie d'hommes, de cette oliganthropie, comme on disait, qui réduisit à rien les cités de Sparte et d'Athènes. » Venant d'une autorité telle que Littré, l'assertion mérite certes d'être contrôlée avec un soin d'autant plus sévère qu'au point de vue linguis- tique la question a, comme nous le verrons, une importance de premier ordre. Il n'est pas besoin d'ailleurs d'aller chercher bien loin la réfutation et, tous ceux qui ont quelque peu étudié l'histoire des institutions romaines savent bien que le recru- tement des armées fut une des difficultés constantes contre lesquelles le Sénat eut à lutter pendant toute la durée de l'Etat romain. C'est un fait patent que les guerres perpétuelles, en décimant les légions, en affaiblissant les citoyens, en usant promptement leurs forces physiques, en exigeant sans cesse le renouvellement des cadres militaires, réduisait d'année en année le contingent d'hommes libres disponibles, tandis que le nombre des esclaves, grossissant après chaque campagne, augmentait dans des proportions inquiétantes, inondait l'Italie d'étrangers de toutes races dont le flot montant menaça tant de fois d'engloutir Rome sous une invasion servile. Déjà en 387, dans les premiers temps de la République, Licinius Sto- lon avait voulu parer au danger et, dans sa loi agraire, il avait ordonné qu'à l'avenir toute exploitation agricole comp- terait au moins un tiers d'hommes libres, cf. Appien, Bell. Ciii., I, 8. Du temps des Gracques, la misère des plébéiens était devenue telle et les rigueurs du service militaire pesaient sur eux si durement que bientôt, dit Plutarque, Gracch., VIII, ils ne désirèrent plus d'élever des enfants, de sorte, ajoute l'historien grec, « que l'Italie allait être complètement dépeuplée d'hommes libres et remplie seulement d'esclaves barbares ». La pensée que, si les Gaulois repassaient les monts ou si les esclaves brisaient leurs fers, Rome n'aurait personne à leur opposer, inquiéta, dit-on, Tibérius Gracchus et lui inspira de remettre en vigueur la loi de Licinius Stolon. C'était une mesure trop insignifiante pour pouvoir effica- cement conjurer le mai qui, après la Guerre Sociale, avait pris les proportions d'un péril redoutable. Des réformes radi- cales s'imposaient : on eut recours enfin à la seule politique raisonnable dans un empire aussi vaste ; Rome ouvrit ses portes aux Italiotes, en fit des citoyens romains, favorisa les affranchissements d'esclaves (le grand moyen employé plus tard par les Empereurs pour se procurer dos soldats) ne songea plus qu'à s'assimiler ses vaincus, à unifier l'Italie, à en faire réellement un seul et même pays, à y susciter enfin une nation unique, homogène et forte qui, dans la péninsule entière, s'appelPit le peuple romain. Telle sera la politique de César et d'Auguste et, si le vainqueur de Pharsale envoya encore quatre-vingt mille Italiotes en une fois coloniser les nouvelles provinces, il eut soin de décréter que nul citoyen romain de vingt jusqu'à quarante ans n'aurait le droit de .^ 'M\. — 0() — demeurer hors de ritalie plus de trois années consécutives, hormis le cas de service militaire. § 36. — On conçoit que des révolutions politiques et so- ciales aussi profondes ne laissèrent pas d'avoir un retentis- sement égal sur le latin et les autres langues parlées en Italie. Jusqu'à l'époque des Gracques, c'est-à-dire jusqu'au milieu du II" siècle environ, Rome s'était renfermée vis-à-vis de l'Italie dans une sorte d'isolement superbe et dédaigneux, jalouse de ses privilèges et de sa puissance, s'efForcant de tenir rigoureusement à l'écart tout ce qui n'était pas romain d'origine. Les Latins et les peuples qui leur avaient politi- quement été de bonne heure assimilés, ce que les Romains appelaient le Latiam adiectum, les Herniques, les Sabins [ias ciuitalis dès l'année 267 av. .!.-('., avant la première guerre punique), les Volsques [^ius ciuitatis pour Fundi, For- miae, Arpinum en 187, cf. Liv., XXXVIII, 36; Cic. Off., I, XI, 35) formaient à cette époque entre Rome et les autres Ita- liotes une zone intermédiaire favorisée qui, grâce aux privi- lèges accordés, devait perdre assez promptement le souvenir de l'autonomie ancienne de chaque cité et de ses vieilles tra- ditions nationales. Leurs rapports avec Rome, en raison du voisinage même, étaient intimes et constants; on sait par Tîte- Live, XXV, 3, qu'ils participaient avec les Romains aux votes dans les comices judiciaires. Il est donc hors de doute que la langue de Rome, qui dès le vi" siècle avant notre ère, était déjà la métropole de l'ancienne ligue latine, s'était solidement établie dans toute cette région et circulait sûrement à côté des vieux idiomes indigènes déjà mourants et des différents patois locaux nés du mélange de la population primitive avec les colons romains du vi' et du v° siècles, par exemple à Ve- litrae' colonisée dès 493, cf. Liv., II, 31 et 34. Les relations de plus en plus fréquentes avec la métropole, i'affluence tou- jours plus grande des colons, les échanges, le trafic journalier des agr'icuheurs latins sur les marchés romains, la politique et la guerre devaient réduire chaque jour le rôle des patois locaux au profit du latin de Rome. (;'est ainsi que de nos jours, comme nous l'avons dit, le parler des grandes villes s'étend 1. Mommsen pense que la colonie de Velitrao fut rappelée par la suite; la persistance du volsque dans cette ville s'expliquerait ainsi au mieux. — 07 — ii :iC). constamment au delà de leurs murs et gagne peu à peu la ban- lieue entière, sur des distances do plusieurs lieues. Que ce latin général des paysans du Latium fût fort éloi- gné, au moment de la Guerre Sociale, du latin officiel de Rome, c'est ce qu'il serait puéril de contester; les inscripti<^ns sont là, qui nous montrent les dialectes locaux de Lanuvium, de Prénesto, de Tusculum, de la Sabine, du pays des Herni- ques encore pleins de vitalité et, lorsque nous chercherons à déduire des faits épigraphiques une chronologie plus rigou- reuse, nous verrons qu'ils ont dû se maintenir au moins jus- qu'à la mort de César, sans jamais d'ailleurs disparaître complètement; il y a telle ou telle locution, telle ou telle dénomination spéciale, telle ou telle particularité phonéti- que que l'on peut encore atteindre çà et là dans les patois modernes de ces régions, comme le dernier fil d'une trame usée sous une étoffe rajeunie. D'autre part les conditions mêmes de la vie antique ne permettent point de penser que ces petits dialectes locaux fussent encore à cette époque bien nettement séparés entre eux et qu'ils n'aient exercé déjà les uns sur les autres une série d'actions et de réactions essen- tiellement préjudiciables à leur intégrité. Nous voyons à tout instant les grammairiens signaler comme propre à tel district ou à telle ville des formes qui apparaissent ensuite sur les inscriptions d'une région infiniment plus étendue. Ces mé- langes de dialectes sont en rapport direct avec l'importance et la fréquence de leurs contacts ; certains îlots de l'Archipel grec, certains villages des Pyrénées ou des Alpes peuvent conserver durant des siècles leurs patois exempts de toute influence de la part des patois voisins, mais la chose est inadmissible pour une région aussi fréquentée, aussi pleine de mouvement, aussi perpétuellement agitée que l'étaient l'ancien Latium et la banlieue romaine. De ces croisements incessants des parlers locaux a dû sortir de bonne heure un dialecte mixte et instable, aux formes indécises et troublées, en tous points analogue à ce que nous observons en France par exemple dans certains petits ports de la Manche fréquentés à la fois par des pécheurs normands et picards, où l'on pro- nonce indifféremment ce ou clie, chalut ou calnt, etc. '. 1. Nous avons pu nous-même étudier le langage mixte des pêcheurs du port de Dieppe en 1891. Moiii.. — Chronologie du l/itln vulgaire. 7 Lorsqu'un dialecte se laisse pénétrer par des éléments hé- térogènes, il est condamné à une dissolution rapide, et c'est toujours la langue officielle qui profite de cette sorte d'atro- phie linguistique. Ajoutons que les relations constantes des Latins avec Rome imposaient à ceux-ci la connaissance de la langue officielle. On oublie trop d'ordinaire que la langue a avant tout un but pratique d'où dépend son existence : du jour où elle ne répond plus aux nécessités pratiques de l'é- poque, du jour où elle se trouve trop imparfaite ou trop restreinte dans son domaine géographique pour satisfaire aux exigences des relations sociales, commerciales ou adminis- tratives, elle est perdue sans retour, comme tout ce qui est inutile ou sans emploi efficace ; on l'abandonne peu à peu pour une forme de langage plus usuelle et d'un emploi plus vaste, comme on quitte une cabane devenue trop étroite pour une maison plus spacieuse et plus commode. C'est ce qui arrive en ce moment pour nos patois modernes, c'est ce qui est arrivé au moyen âge pour les dialectes slaves de la Bal- tique, ce qui arrivera bientôt pour le live et d'autres langues de la famille finnoise, cf. Thomsen, Bcrorinqcr mellem de Jinskc og de baltiske Sprog, p. 20 sq. Les habitants de l'Ager romanus et les Latins autonomes qui se rendaient à Rome pour trafiquer, voter aux comices judiciaires, assister aux jeux, écouter quelque discours de Sulpicius Galba ou de Lé- lius, applaudir Plante ou Turpiliiis, revenaient chez eux tout imprégnés de latinité littéraire et sans doute déjà pleins de dédain pour les rudes archaïsmes de leur rusticitas. Du temps de Cicéron, celle-ci, on n'en peut douter, conserve encore beaucoup de ses particularités anciennes, sa prononciation dure et caractéristique, ses mots surannés ou bizarres, cette foule de termes sabins que Varron rapportait aux origines mêmes de la langue latine. Mais déjà Verrius Flaccus, Quin- tilien, Aulu-Gelle et les écrivains de l'époque impériale ne citent plus guère en général les formes rustiques que de se- conde main, d'après Varron, Cicéron ou les anciens auteurs; fréquemment les expressions ritstici dicebant, ruslico srrmone significobat et autres semblables reviennent sous leur plume, attestant que l'ancienne rusiicitas du Latium avait défini- tivement disparu, (ju'elle n'existait déjà plus que comme un souvenir effacé d'un temps oîi les populations rurales parlaient encore des dialectes particuliers, distincts du latin de la-capi- — W — ^37. taie. On peut donc, croyons-nous, penser avec quelque vrai- semblance que sous Auguste, après les perturbations apportées par la Guerre Sociale et la dictature de Sylla, après les grandes expéditions entreprises par César et qui exigèrent dans tout l'Empire un immense déplacement d'hommes, après que Rome eut enfin inauguré la politique féconde de l'assi- milation, les vieux dialectes du Latium et des pays limitrophes avaient définitivement partout fait place à un langage uni- forme, à une langue commune de toutes les populations de cette région qui, malgré une forte empreinte sabine ou volsque, était déjà tout à fait voisine du latin littéraire. C'est ainsi, croyons-nous, que se constitua peu à peu, d'abord dans le voisinage immédiat de Rome, le premier noyau du latin vul- gaire proprement dit. § 37. — Dans les autres régions de l'Italie, les choses se passèrent d'ailleurs à peu près comme dans le Latium, avec cette difi"érence que l'unification linguistique s'y opéra beau- coup plus lentement et d'une façon de beaucoup plus impar- faite. Le moment critique de l'histoire du latin en Italie fut la Guerre Sociale ; car non seulement les nationalités italiques jouèrent leurs destinées sur les champs de bataille du Liris, d'Asculum et de Téanum, mais les dialectes provinciaux de l'Italie devaient rapporter de la guerre le coup mortel. Jus- que-là Rome, loin de favoriser la fusion des diff"érents peuples de la péninsule et leur assimilation à la nationalité romaine, s'était appliquée tout au contraire à entretenir soigneusement leurs divisions, dans la crainte, qui n'était que trop fondée, de trouver un jour en face d'elle une Italie unie et menaçante. Les lois sur le connubium, interdisant les mariages entre les diverses tribus italiques, la réglementation sévère du commercium italique, qui soumettait les échanges entre Ita- liotes à la surveillance des magistrats romains et les frappait dans beaucoup de cas d'une interdiction absolue, furent dic- tées par cette politique de domination intransigeante. Une tac- tique qui consistait uniquement à entretenir entre les peuples vaincus les divisions et les barrières naturelles que la race, les institutions, les traditions anciennes avaient établies entre eux, devait respecter scrupuleusement l'obstacle principal placé par la nature à l'unité italique : le morcellement dia- lectal. L'expression de Nissen, Ifal. Landesk., I, p. 555, que .:< ;}7. — 100 — Rome a imposé sa langue « durch die brutale Gewalt von Schwert und Stock », ne nous paraît pas exacte. Nous croyons avec Bréal, Mém. Soc. Ling., IV, 382 sq., que les Romains, du moins avant la Guerre Sociale, ne firent jamais la guerre aux langues des alliés, pas plus qu'ils ne persécutèrent jamais les institutions religieuses et les cultes nationaux. « Il faut ici écarter les idées des nations modernes, dit l'illustre phi- lologue français : tandis qu'aujourd'hui nous vojons des peuples lutter pour la conservation de leur idiome, la per- mission d'employer le latin dans les actes publics était alors considérée comme un privilège et une récompense. Tite-Live, XL, 42, nous dit à quelle date Cumes obtint cette autorisation, qui lui fut donnée assez tard, au temps de la guerre contre Persée ' )>. Avec la situation en somme fort avantageuse, au point de vue national, qui leur était faite avant la Guerre Sociale, les Italiotes avaient d'ailleurs toute faculté de cultiver et de con- server leurs dialectes. Ils gardaient en effet une autonomie enviable surtout pour les alliés de race étrangère, les peuples de la Cisalpine par exemple, qui étaient infiniment plus mal traités. Excepté les villes qui avaient obtenu la cittitas ou qui jouissaient des privilèges des municipes optimo iure (il est vrai qu'elles étaient dès cette époque fort nombreuses) ou enfin celles qui étaient liées avec Rome par un traité parti- culier, les cités italiques conservaient tous leurs anciens droits, leurs institutions nationales, leur législation particu- lière et par conséquent l'usage de leurs langues respectives comme langues administratives intérieures. Sur ce point, les témoignages des historiens sont formels et l'épigraphie les confirme: à part des cas particuliers, comme celui de Cumes l.Nous ne voyons point que le w siècle avant notre ère soit, pour Cumes surtout, qui était colonie grecque, une date bien tardive ; l'in- troduction du latin comme idiome officiel dans une ville grecque nous parait au contraire, pour cette époque, un fait rare et exceptionnel ; c'est précisément pourquoi Tite-l^ive en fait mention. Quoi qu'il en soit, il est curieux de voir cette ville de Cumes, qui fut, au wv siècle de Rome, l'intermédiaire principal entre les Hellènes de la Sicile et de la Grande-Grèce et les haliotes du nord (272 alliance de liièron avec Cumes contre les Etrusques ; alliance de ("umes et de Rome ; 334 prise de Cumes par les Etrusques), qui fut rimportatriceet la pre- mière patrie de Talpiiabet latin, .Mùller, Elrusk., Il, 312; Munïmsen, Unleril. Dial., p. 39, ouvrir, une des premières parmi les villes grec- ques, ses portes à cette même littérature latine. — 101 — ;< :i7. dont il vient d'être question, l'idiome national restait la langue officielle du pays. D'autre part, les Italiotes étaient placés sous la tutelle de magistrats romains, préfets, préteurs ou légats, qui contrôlaient leur administration intérieure, ser- vaient d'intermédiaires entre eux et le gouvernement de Rome, veillaient enfin à ce que la levée et l'équipement des contin- gents militaires fournis par chaque cité s'effectuassent dans les conditions réglementaires. Or, il était défendu, à ce qu'il nous parait, à un magistrat romain de se servir dans l'exer- cice de ses fonctions d'une autre langue que du latin ; la langue employée dans les relations extérieures, particulière- ment dans les négociations avec Rome, était sûrement le latin, dont la connaissance était par conséquent exigée des magis- trats italiotes et indispensable à tous ceux que le rang ou l'ambition portait aux affaires publiques. Ainsi, dès une époque ancienne, les Italiotes de bonne famille apprenaient le latin en même temps que leur langue maternelle. Les dispositions concernant la frappe des monnaies ré- pondent à des préoccupations identiques. Peu après la sou- mission définitive des Samnites par Curius Dentatus et les victoires remportées sur Pyrrhus, en 268, Rome se sentit assez forte pour interdire dans toute la péninsule la frappe des monnaies d'argent qu'elle prétendit se réserver exclusi- vement et qui dès lors circulèrent dans toute l'Italie avec l'exergue uniquement latine ; le cuivre au contraire resta monnaie locale avec inscriptions en dialectes nationaux, et cela jusqu'à la fin de la Guerre Sociale. Les cités municipales étaient du reste, à ce que nous croyons, soumises à ce régime dès l'origine : c'est du moins ce que nous voyons à Capoue qui reçut en l'an 337, peu après l'expulsion des Samnites de la Carapanie, la ciititas sine suffragio, et frappa dès ce mo- ment des monnaies d'argent avec ROMA tout en continuant son cuivre avec DTTIn)! Kapv. en osque, cf. Friedlandor, Die osk. Mûnzeii, Capua. Les villes jouissant du droit de cité ou les colonies tant romaines que latines ne frappent naturel- lement que des monnaies avec inscription latine, par exemple Cales, en Campanie, colonie latine fondée en 333, porte dès ce moment l'exergue latine CAPENO. Mommsen, Unterital. Dial., p. 108, remarque que l'inscription latine apparaît, après la seconde Guerre Punique, sur les monnaies de villes simple- ment fédérées, telles que Téanum desSidicins (TIANO), Aqui- ^ 38. — l<»-> — num (AQVINO et aussi ACVINO que nous avons relevé nous- môme sur un type d'une collection privée, cf. aussi CIL., 1,21 e) chez les Volsques et Caiatia desCaudinsfCAiATINO). Au con- traire une ville toute voisine de la précédente, Télésia chez les Hirpins, a des monnaies identiques avec exactement la même effigie (Minerve et le coq), mais avec l'exergue en langue osque. Mommsen voudrait conclure de ces faits que les premières de ces villes étaient déjà romanisées au déclin du 111° siècle avant J.-C. , alors que la dernière, comme la plupart des cités samnites, restait encore fidèle à la langue nationale. Que l'ancien territoire occupé parles Aurunques ou Ausones et les Sidicins, et en particulier toufe la partie de la Campanie comprise entre le Liris et le Volturne, et dans laquelle l'osque ne paraît pas avoir jamais très profondément pris pied', ait de bonne heure fait accueil à la langue latine, c'est ce qui ressort d'une quantité de faits tant historiques qu'épigraphiques dans le détail desquels nous n'avons pas à entrer ici. Néanmoins il nous paraît tout à fait improbable que, dès le m'' siècle, la région entière fût déjà complètement latinisée. Nous croyons donc que l'usage exclusif du latin sur des monnaies telles que celles de Téanum et de Caiatia ré- sulte simplement des termes de leurs traités avec Rome et qu'il n'en faut tirer absolument aucune conséquence quant à la romanisation effective du pays : l'exemple de Télésia frap- pant exactement les mêmes monnaies mais conservant l'ins- cription osque nous parait à cet égard tout à fait signifi- catif. s:; ;^8. — Quant aux peuples de la confédération niarse, la plupart des historiens modernes supposent qu'ils adoptèrent très tôt la langue latine et qu'ils étaient complètement roma- nisés déjà antérieurement à la Guerre Sociale. Mommsen, Unterit. Dial., p. 344, s'appuyant sur les nombreuses iiis- 1. Il est difficile de caractériser la langue des Auruntiues ; latessèrc publiée par Zvetaiev, In&c. liai. inf. dial., ol, et les autres rnouu- nieiits de cet idiome montrent de grandes analogies avec l'osque; d'autre part, le rhotacisme. cf. Auniiika(L sur les monnaies, rattache résolument l'aurunque aux dialectes itali(iues du nord. Quant aux Sidicins, les Samnites tirent la conquête du pays au iv" siècle, l'itc- Live, VIII, 19, 23: X, 1. cf. IVissen, liai. Landes/;.. I, 529. 11 est pro- bable que les conquérants samnites a})portèrcnt avec eux un dialecte osque ([ui s'implanta peu à peu dans le pays. criptions latines archaïques recueillies chez les Marses, les Péligniens et les Marrucin.s, déclare textuellement que ces inscriptions « liefern den Beweis, dass in diesen Gegenden die lateinische Sprache friiher herrschend ward, als die Ci- vitàt, vielleicht schon vor 500 d. St. » Ceci n'est exact qu'à l'égard de la langue officielle, car il ne faut pas oublier que les inscriptions latines dont il est question ici sont presque toutes des textes officiels, encore que le marrucin et le péli- gnien tout au moins ne fussent nullement exclus des actes publics, comme le prouvent la table de Rapino et peut-être l'inscription Herenlas\ Dans les titres privés au contraire, l'usage de ces langues, ainsi que du marse, est tout à fait cou- rant; le marse notamment a, jusqu'à présent, fourni six ins- criptions, Zvetaiev, n" 39 à 44, abstraction faite du n° 45 qui nous parait en dialecte mixte latino-marse; cf. Bronisch, I)ie osk. i- und e- Vok., p. 44: « Auch 41 und 42zeigen lateinis- chen Einfluss" ». Le pélignien de son côté a jusqu'à ce jour fourni trente-quatre inscriptions, chiffre comparativement assez respectable. Or, les particularités épigraphiques de ces inscriptions ne permettent pas de leur assigner une date bien ancienne ; l'ins- cription Herentas par exemple, de l'aveu de Biiclieler, Rhein. Mus., XXXIII, 272, et deBugge, Altit. Sliid., 80, est au moins contemporaine de la Guerre Sociale et Bréal, Mém. Soc.Liiig., VI, 85, la place encore plus près de nous, aux débuts de l'époque impériale. Les formes modernes des lettres, spécialement L droit, P et même P fermé. A, O, etc., ne permettent point en tout cas d'en faire un titre archaïque. Ainsi l'hypothèse que le latin aurait été ,1a langue ordinaire des populations sabelliques dès avant le milieu du iii*^ siècle nous parait absolument insoutenable, particulièrement pour les Marses 1. L'inscription Herentas, sur laquelle on a déjà tant écrit et tant discuté, a été interprétée comme inscription funéraire par Thurneysen, Rhein. Mus., XLllI. 347 sq. Avouons, pour notre part, que le savant commentaire de l'illustre philologue ne nous a point convaincu. L'in- terprétation détaillée laisse encore trop de place à l'hypothèse et, quant à la thèse d'ensemble, nous persistons à croire que les inscrip- tions funéraires, le fl^wv.i de Sorrente mis à part, n'étaient point dans les mœurs des populations opiques ou sabelliques. La date récente de l'inscription justilierait seule cette exception. 2. D'après Planta également, le bronze du lac Fucin serait en latin dialectal. Les n"* 41 et 42 de Zvetaiev sont cotés 308 et 312 chez Planta. i; ;}s. — loi — dont le patriotisme farouche suscita tant de difficultés aux. Romains et dont les luttes héroïques sous Pompédius Silon et Vettius Scaton attestaient encore au i" siècle la vitalité natio- nale. Nous sommes donc porté à croire que le latin fut imposé aux populations sabelliques en qualité de langue otticifdle, non point comme ailleurs à titre de privilège ou de témoignage de satisfaction, mais tout au contraire pour combattre et con- tenir les effusions de ce patriotisme trop remuant et toujours prêt à la révolte. Le régime politique des Marscs, des Péli- gniens, peut-être aussi des Marrucins pourtant plus paisibles, était sans doute assez semblable à celui des populations non italiotes, lesquelles étaient directement soumises à Tadmi- nistration romaine. En l'an 14 de notre ère, Germanicus con- duit encore ses légions piller et dévaster le pays des Marses : s'ils eussent été réellement latinisés dès cette époque, on aurait peine à croire que les Romains, si respectueux du nomen latinum, se fussent livrés à de pareilles violences sur un peuple désormais considéré comme de leur sang. Notre hypothèse aurait l'avantage d'expliquer ce fait que les peuples sabelliques n'ont point de monnaies nationales ; la frappe leur était probablement interdite et ils étaient forcés de se servir, comme la plupart des populations provinciales, des monnaies romaines. Seuls les Vestins frappent du cuivre avec le sigle VE^ : c'est à nos yeux un privilège que justifient le caractère modéré de ce peuple et le peu d'empressement qu'il mit plus tard à seconder les efforts des Marses dans le soulèvement de l'Italie. On se rappelle que la capitale même des Vestins, Pinna, s'opposa au mouvement insurrectionnel et fut saccagée sans pitié par les Italiotes eux-mêmes, cf. Diod. Sicul., XXXVII, 612. Quant à ce fait que les monnaies de la confédération marse pendanl la Guerre Sociale i)ortent en caractères latins ITAHA tandis ({ue celles des Samnites ont VNBTD <'n osque, n(jus n'y saurions attacher aucune espèce d'importance; Italia est un nom propre (jui peut fort bien avoir été adopté par les Marses comme par les Romains sans qu'il en faille conclure tout aussitôt, comme font les histo- riens modernes, que les monnaies marses de Pompédius Silon sont en latin et que, par conséquent, les Marses étaient com- plètement latinisés au moment de la guerre. Ajoutons pour mémoire que les Volsques, à part certaines villes fédérées, émettent des as de cuivre sans légende: — 105 — i< 38. c'est le seul peuple qui présente cette particularité encore inexpliquée. Nous serions d'avis d'y reconnaître également une sorte de satisfaction platonique accordée aux sentiments nationaux d'un peuple constamment fidèle à la République. Assimilés vraisemblablement depuis longtemps aux Sabins et aux Latins proprement dits quant à la situation politique, les Volsques gardent néanmoins dans ces as sans inscription comme une allusion timide à leur autonomie ancienne. La langue nationale n'est pas encore éteinte, même il est possible qu'elle n'est pas encore complètement sortie de l'usage adminis- tratif intérieur; comme d'autre part les monnaies volsques sont, selon toute vraisemblance, admises dans la circulation de tout le Latium, Latium adiectum et Latium proprement dit, donc avec Rome elle-même, la légende en langue étran- gère se trouve par là même interdite et manque en conséquence sur les monnaies. Il n'est en effet pas douteux que le volsque a subsisté beaucoup plus longtemps que le sabin, l'èque ou l'hernique: encore qu'il soit difficile de lui assigner une date, l'inscription de Velitrae suffit aie démontrer'. On s'appuie en général sur un fragment du comique Titinius, vers 170 avant J.-C, Obsce et uokce fahulantur, nam latine nei>ciunt, cité par Festus s. v. ohscum, pour établir que le volsque se parlait encore au it siècle. Sans attacher pour notre part aucune importance à la boutade de Titinius, dans laquelle il nous est impossible de voir un témoignage historique sé- rieux', nous sommes persuadé que le volsque, en sa qualité de langue littéraire (et son alphabet perfectionné, l'existence du D a notamment, ne peuvent laisser de doute sur ce point), 1. Nous ne pouvons nous empêcher de faire remarquer l'analogie qu'il y a entre l'alphabet de la table de Hapino et l'inscription de Vel- létri. Mommsen fixait jadis poui'la ])remiére l'an 500 de Kome environ, soit le milieu du ni*^ siècle avant notre ère à peu près, tandis que Corssen, Ausspr., Il-, 118, considérait l'inscription de Vellétri comme antérieure à ;}o8 avant J.-C. Cette double estimation nous paraît infi- niment trop élevée ; pour notre part, nous serions tenté de faire des deux inscriptions des titres à peu près contemporains; la comparaison des lettres sur l'une et sur l'autre nous conduirait, croyons-nous, à peu près après Zama, c'est-à-dire dans les premières années du u'' siècle. Il faut tenir compte de ce fait que l'une et l'autre sont gravées sur bronze et que le bronze exige en général des graphies moins souples et plus carrées que la pierre. 2. C'est là simplement un mot de comédie qui n'a sans doute en vue que le latin manié par les écrivains d'origine italique et nullement le volsque ou l'osque proprement dit. i; 30. — 10(1 — n'a succombé complètement que fort tard, sans qu'il soit pos- sible dans l'état actuel de nos connaissances de rien préjuger de précis à cet égard. § 39. — Nous sommes encore dans la même incertitude quant à la chronologie de l'ombrien. Les Tables Eugubines en carac- tères nationaux seraient environ du ii'' siècle ou même du commencement du i" siècle avant notre ère d'après la majorité des italistes ; celles en lettres latines dateraient environ du début du i" siècle d'après Bûcheler, de la fin de la République d'après Deecke et d'autres et, en vertu des déductions rigou- reuses et particulièrement probantes de Bréal, Tab. Eue/., pp. 227 et 308, il faudrait leur assigner à peu près l'époque d'Au- guste. Nous serions tenté pour notre part d'attribuer la diffé- rence d'écriture à un ensemble de circonstances politiques plutôt qu'à une réelle différence d'âge entre les tables. Quoique nous soyons assez mal renseignés sur la situation faite par Rome aux populations ombriennes et que la perte des ouvrages de Zénodote de Trézène, qui avait, paraît-il, écrit une histoire des Ombriens, soit une des plus regrettables delà littérature ancienne, on ne peut guère douter qu'elles fussent rangées parmi les Italie tes les plus favorisés. Le fait est que leur fidélité envers Rome est maintes fois attestée par les historiens, et les efforts infructueux des Marses pendant la Guerre So- ciale pour les gagner à leur cause, prouvent qu'ils n'étaient pas précisément mécontents de leur sort. On peut donc croire qu'ils conservèrent longtemps la libre administration de leurs affaires intérieures et l'usage de leur langue nationale tant dans le rituel religieux que dans les actes politiques et administratifs. Les villes de Tuder, d'Amérie, d'Iguvium tout au moins frappaient monnaie. Les historiens nous représen- tent les Ombriens comme un peuple riche, laborieux, adonné au commerce et à l'agriculture : il est donc assez improbable qu'ils aient fait au latin la guerre acharnée et sans merci où les montagnards samnitos perdirent leur existence comme nation. Nous aimons à croire que l'esprit pratique des peu- ples de rOmbrie accueillit au contraire la langue latine avec une faveur marquée et nous nous efforcerons tout à l'heure do démontrer que l'assimilation des deux langues s'y effectua beaucoup plus tôt que chez les Italiotes du sud. Conquise et colonisée dès leiv" siècle, l'Ombrie semble d'ailleurs avoir reçu — 107 — 1^ 39. constamment un courant d'immigration et d'influence latines qui ne pouvait rester stérile dans un pays aussi complète- tement pacifié; la langue aussi, par ses affinités singulière- ment étroites avec le latin, les rapports intimes qui unis- saient les deux langues dès le passé le plus lointain et leur avaient transmis, dans un commun héritage, les phénomènes du rhotacisme et la même tendance à réduire les diphtongues, se faisait complice des empiétements des Romains. C'est ainsi qu'à partir du m' siècle s'élaborent peu à peu en Ombrie, dans le Pisaurum, chez les Picentes, dans l'Ager faliscus et en général dans tout le nord de l'Italie ces dialectes mixtes latino-ombriens, latino-falisques, etc., dont l'épigraphie nous permet heureusement de nous faire encore une idée assez exacte et qui plus tard, en fusionnant par des échanges réci- proques, des contacts de plus en plus fréquents, en se propa- geant lentement dans toute la région, autour des colonies romaines d'abord, puis en rayonnant sur des districts entiers, en se perfectionnant enfin sous les auspices du latin littéraire, constitueront finalement le noyau essentiel du latin d'Italie. En attendant, la langue nationale subsiste plus ou moins pure, en tout cas moins dégradée et moins latinisée que dans le peuple, parmi la haute société des villes ; il ne faut pas oublier en eff"et qu'ici elle est protégée par l'écriture, par les formules de la langue administrative, et surtout par la littérature religieuse, gardienne jalouse des textes con- sacrés et des traditions anciennes. Le premier sacrifice que l'ombrien officiel fit probablement à l'influence de Rome, fut celui de son alphabet national : on adopta peu à peu l'al- phabet latin, infiniment plus commode et plus parfait que les vieilles lettres étrusques et qui, moyennant l'addition d'un ou deux signes nouveaux, se plia à merveille aux sons de la langue indigène. On remarquera qu'eff"ectivement les quelques inscriptions civiles fournies par TOmbrie, la pierre d'Assi- sium notamment, sont en lettres latines. Les deux courtes inscriptions de Tuder et d'Amérie font seules exception: aussi les jugeons-nous extrêmement anciennes, du iv" ou du m" siècle tout au moins. Le vieil alphabet national fut bientôt, croyons-nous, réservé exclusivement aux usages religieux, auxquels il prêtait la majesté et le demi-mystère de ses formes antiques. C'est ainsi qu'en Russie et dans la Galicie ruthène l'Eglise est demeurée jusqu'aujourd'hui rigoureuse- ;^ :v.). — 108 — ment fidèle .aux vieux caractères slavons (itcpKOBiiaa iicHaib) qui s'opposent à l'alphabet civil (rpaHî/iaHCKaa neiaib). Au I" siècle est enfin promulguée la loi Julia que les Ombriens, en alliés fidèles, acceptèrent avec joie. Dès lors, toute l'admi- nistration devient latine; l'ombrien, avec les vieilles coutumes nationales, est mis au rancart comme les choses surannées et hors d'usage, et il ne subsiste plus désormais, comme idiome littéraire, que dans le rituel des confréries religieuses. Seule- ment, même dans l'intérieur des sanctuaires, il fallut faire une nouvelle concession à l'esprit nouveau et introduire bientôt, à côté des textes en caractères nationaux ou reli- gieux, de nouveaux textes en transcription civile à l'usage de ceux qui déjà ne pouvaient plus lire les lettres étrusques. Les Tables Eugubines nous offrent ces deux espèces de textes: l'un en caractères sacrés, écourté et manifestement copié sur un prototype plus ancien par un graveur peu au courant de l'ancien alphabet, cf. Bréal, Tah. Eiig., p. 227, l'autre dans l'écriture courante, largement développé, sans omission de détails, dans un idiome rajeuni, visiblement contemporain de la rédaction. Dans notre pensée, les deux textes ontété gravés à la même époque ou à peu près, d'après un modèle plus ancien, antérieur à la loi Julia ou tout au moins contemporain de celle-ci et dont les tables III et IV sont peut-être même des fragments authentiques'. Les tables en caractères civils, qui étaient sans doute à l'origine plus nombreuses, sont seules destinées à la lecture; les autres remplissent un office de pure forme, on les conserve comme des témoins vénérables de la tradition ancienne, mais on ne s'en sert plus, à peu près comme les prêtres coptes ou parsis qui conservent des textes sacrés qu'ils ne comprennent point. C'est exactement de la même manière que le chant des Arvales, originairement écrit en caractères italiques archaïques-, comme l'a montré Bréal, MéîH. Soc. LiiKj., IV, o76 et 380, dut être plusieurs fois 1. Il faut remanjuer en eflet que les tables en caractères étrusques ne sont pas toutes do la même main ; il y a en outre, comme on sait, de légères différences de langue entre les tables I1I-1\' et I notam- ment, ce qui indiciue assurément une certaine dilférence d'âge mais qui parait, en somme, n'avoir pas été très considérable. 2. Lepsius, De Tnb. Eugid)., p. 23, ainsi qu'il a déjà été dit. s'est efforcé de montrer, avec raison, croyons-nons, que l'aiphabct étrusque et même la langue étrusque, en qualité d'idiome littéraire, furent en usage à Home à peu près jusqu'en \7)0 avant iioti'c ère. — 100 — i; 30. transcrit, en même temps que l'on rajeunissait cà et là le texte, p. ex. incurrere, tittere à côté de lases. Seulement, à force d'être copié et partiellement rajeuni, le chant des Ar- vales avait fini par devenir parfaitement inintelligible à ceux qui le récitaient; on le répétait machinalement, comme une formule vide de sens, et c'est bien en effet comme tel qu'ap- paraît au premier abord le précieux texte de la vigne Cecca- relli. Si le collège des frères Attiédiens s'était maintenu comme celui des Arvales jusqu'à l'époque d'Héliogabale, il est probable que, la connaissance de la langue ancienne, déjà si altérée et si hésitante sur nos tables, s'étant défini- tivement perdue, les vieilles formules ombriennes eussent été encore infiniment plus maltraitées que le latin des Arvales. On sait que la religion défendait de rien changer ni au fond ni au style des formules consacrées : illa miilari uetdt relligio et consecratis iitendmn est. Quint., I, vi, 40. L'hypothèse que nous proposons ici a l'avantage d'expli- quer enfin pourquoi l'on gardait à Iguvium un même texte dans deux rédactions différentes; car il est trop évident, croyons-nous, que l'on eût gratté les tables étrusques si réel- lement les tables en lettres latines avaient été destinées à remplacer purement et simplement le texte plus ancien. Notre explication permet en outre de rajeunir encore un peu la chronologie des tables. Les unes et les autres, excepté peut- être III et IV, datent soit du règne d'Auguste, comme Bréal l'admet pour la partie latine, soit plus probablement encore, croyons-nous, du temps de Claude qui, versé comme il l'était dans l'étude des antiquités et des anciennes croyances religieuses de l'Italie ', favorisa certainement de tout son pouvoir et beaucoup plus encore qu'Auguste, la restauration des anciens cultes et des vieilles traditions. Remarquons en tout cas que les caractères épigraphiques des tables latines défendent absolument, selon nous, de reculer la date au delà du début du 1°'' siècle de notre ère : ainsi L a toujours la base à angle droit, jamais n'apparaît V comme sur les ins- criptions romaines officielles jusqu'en 240 avant J.-C. d'après Mommsen, 174 d'après Ritschl et sur les inscriptions 1. On sait que Claude avait écrit une histoire des Etrusques et qu'il s'était occupé avec ardeur des antiquités italiques. Nous verrons plus loin que les lettres nouvelles dont il dota l'alphabet latin ne sont autre chose que des emprunts au vieil alphabet italique. ^30. — 1 10 — provinciales selon toute probabilité antérieurement à SjUa; M il est vrai n'a pas encore la forme M ; mais celle-ci, comme on sait, ne se montre guère qu'après Auguste et peut n'ap- paraître que beaucoup plus tard en province. Enfin la lettre P nous semble tout à fait significative; la graphie archaïque P est absolument exclue au profit du type classique P ou P outre lequel on rencontre souvent, surtout sur la partie en lettres latines de la table Y b et dans la fin de VII a, le P complète- ment fermé qui appartient déjà, à la décadence. Nous crevons donc pouvoir résolument conclure en faveur de la première moitié du i*"" siècle de notre ère. Quant aux prototypes en caractères étrusques, dont les tables III et IV sont peut-être contemporaines, ils ne sauraient guère être appréciés à tra- vers les copies déjà si incorrectes du i'*" siècle ; ils doivent, comme nous l'avons dit, être de toute façon antérieurs à la loi Julia: en tout cas, l'état de la langue, déjà fort altérée et incertaine, surtout si on la compare aux monuments osques, ne nous permet point, pour notre part, de reconnaître quelque chose de positivement archaïque, même dans les tables III et IV; cf. sur cette question chap. VI, 2^ pér. Ainsi donc, nos documents touchant l'ombrien sont limi- tés en réalité à la courte période qui s'étend du ii" ou du i""" siècle avant J.-C. environ jusque dans le courant du i"' siècle de notre ère. On comprend l'importance capitale de cette donnée à l'égard de la chronologie phonétique et morphologique de l'ombrien, par exemple à l'égard du c ou de la chute de -s) Cic. Omt., XLVIII, lôf, cf. Havet, S caduc en latin, dans les Etudes rom. G. Paris, p. 303 sq.) et des autres consonnes finales, phénomènes que nous persistons à croire en relation avec les faits identiques du latin vulgaire. Sittl, Lokale Verschied., p. 38, avait déjà soup- çonné que le latin vulgaire avait pour élément essentiel les dialectes du nord de l'Italie, parmi lesquels il a malheureuse- ment le tort de compter l'étrustjue, absolument étranger, selon nous, à toute cette évolution latino-italique. Il a même reconnu et démontré avec beaucoup de rigueur, comme nous l'avons dit en commençant, cf. p. 15, que e pour ae en latin était d'origine ombrienne et il s'est efforcé d(^ suivre pas à pas la propagation de ce son dans l'Italie entière. Nous cher- cherons tout à l'heure à établir que ce n'est point, tant s'en faut, l'unique héritage transmis par l'ombrien au latin d'Italie — I I 1 — .^ '|0. d'abord, au latin vulgaire impérial ensuite ; cf. sur -5 final en Ombrie i^î^ 83 sq.; sur les gutturales, chap. VI, 2. § 40. — Ce serait une erreur de croire que ces dialectes mixtes, ces patois latins plus ou moins italisés sont nés de la désagrégation générale et uniforme des langues italiques. Celles-ci, en leur qualité d'anciennes langues littéraires, se conservèrent longtemps pures parmi les Italiotes lettrés, dans les vieilles familles sacerdotales, chez les magistrats, etc. Du temps d'Auguste, Strabon, V, 11, 9, semble bien vou- loir dire que le falisque existait encore à l'état de langue par- ticulière, nullement comme un simple dialecte du latin: Ivtot o'ij T'jpp'/]vcjç çaj'.v thx'. Tcyç aX£piot, mais toute la population du pays, '-'Ovo;. ;< 10. — 11-2 — et d'indigènes, en Ombrie, dans le Picénum ou l'Ager faliscus. Aussi faut-il se garder de croire, comme on l'admet couramment, que l'ombrien des Tables Eugubines représente la langue nationale telle qu'on la parlait encore dans le peuple au i"'' siècle. Nous sommes convaincu tout au contraire que le peuple de cette époque eût déjà éprouvé de sérieuses difficultés à comprendre exactement ce texte, s'il eut été appelé à le lire. Mais ce texte ne s'adresse point aux classes populaires : c'est un formulaire destiné exclusivement aux di- gnitaires religieux d'Iguvium et aux personnages illustres, membres de la Confrérie des Attiédiens. Il est donc rédigé dans la tradition de l'ombrien littéraire des époques d'indé- pendance et de gloire nationales et, malgré l'état de dégrada- tion et d'abandon manifeste où nous la voyons tombée, c'est bien la langue littéraire et savante qu'il faut reconnaître sous les formules vénérables du rituel iguvien. Si l'ombrien des tables représentait réellement la langue vulgaire en usage en Ombrie au i""" siècle, il faudrait au moins avancer jusqu'au iif ou au IV" siècle après J,-C. la date de son extinction défi- nitive parmi les populations rurales, et dès lors l'histoire des langues romanes s'en trouverait complètement bouleversée : car il n'est pas douteux que l'ombrien se retrouverait encore par larges couches sous les patois modernes du pays. Or, entre l'ombrien et les dialectes modernes de l'Ombrie s'étend un étage de latinité, traversée sans doute d'une infinité de filons ombriens, mais néanmoins trop homogène pour n'être pas le résultat de longs siècles de latinisation. L'imparfait /i^v/ usité en Toscane et en Ombrie et propagé ensuite dans le nord, lom])ard fcva, pour l'italien littéraire faccva, est cons- truit, dans notre opinion, sur l'ondirien fc- : ffitu, feelu « fa- cito », feia « faciat » à côté da/ak-; i.-evw.* d/ié: dha'Ji). Mais entre l'ombrien fë- et fea moderne, il faut placer natu- rellement un dialecte latin local oii circulait l'imparfait *fébain *fëa. Remar(iuonsen passantque/e-à côté de fac- se retrouve en catalan dans l'imparfait fe-t/a, à Alghero fe-va, alors que le provençal connaît seulement /«^m. Si feya, feva n'est pas simplement extrait par analogie du parfait /hi = fëcit, la question encore obscure des origines catalanes pourrait trou- ver dans ces formes des indications qui ne seraient peut-être pas sans valeur. — n.'i — ^ 10. §.41. — Tout autre fut la situation faite au latin dans l'I- talie du sud. Sans parler ici des cités grecques qui, en leur qualité de simples socii nauales fournissant à la République, en cas de guerre, un certain nombre de vaisseaux avec leurs équipages, conservaient une autonomie absolue et refusèrent pour la plupart le bénéfice de la loi Julia, Rome trouva dans les Samnites, les Lucaniens et en général chez tous les Ita- liotes de langue osque des adversaires peu disposés à subir son joug politique et son inflaence morale. L'histoire glorieuse de la Grande Grèce, les conquêtes anciennes des Samnites, leur patriotisme ardent étaient des obstacles sérieux jetés à rencontre de la politique autoritaire du sénat romain. Ces obstacles pourtant n'étaient rien au prix de ceux qu'élevait dès l'origine et comme une impénétrable barrière contre la civilisation encore rudimentaire et à demi-barbare des Ro- mains la civilisation séculaire et raffinée des Campaniens et de la Lucanie. Il suffit de jeter les yeux sur les monnaies d'une de leurs cités, sur celles de Capoue ou de Phistelia par exemple, pour comprendre que des peuples arrivés sous la di- rection des Grecs à un sentiment de l'art aussi délicat et aussi raffiné, à une conception aussi exquise du beau et de Tidéal, devaient éprouver peu de joie à se sentir humiliés par la grossièreté d'un Papirius Cursor ou d'un Curius Dentatus. Le nom de Rome ne leur imposait que médiocrement et le latin trouvait d'ailleurs dans la langue osque un rival presque aussi redoutable que le grec. Il faut songer en effet qu'au moment des premiers établissements des Romains en Campa- nie et dans les provinces méridionales de l'Italie, au iv*^ siècle (Capoue, 342, Lucérie, 320, Venouse, qui reçut vingt mille colons romains, 290), Rome n'avait pas encore de litté- rature ; sa langue était inculte et grossière ; elle n'avait sur les plus misérables patois de l'Italie du nord d'autre supé- riorité que le prestige que lui prêtaient les victoires des lé- gions, et d'après le témoignage même de Tite-Live, IX, 36, l'étrusque était encore la langue littéraire et savante des Ro- mains'. L'osque au contraire avait déjà derrière lui tout un brillant passé de lettres et se trouvait alors à l'apogée de sa perfection. Loin de vouloir se laisser déloger par la langue romaine, c'est lui qui bientôt entreprit l'éducation de celle-ci 1. Sur l'étrusque à Rome, voir plus haut p. 108, n. 2. MoHL. — Chronologie du latin vulgaire. 8 §41. — 114 — et lui indiqua le chemin des belles-lettres : car il ne faut pas oublier que les créateurs de la littérature latine, Ennius, Pa- cuvius, Lucilius étaient nés dans des pays de langue osque. Un Samnite faisait à Catane des tragédies grecques, Plut., Timol., 31, 1 ; un orateur lucanien enchantait Syracuse, Dio Chrj's., 0)\, II, p. 113; il y avait des philosophes samnites, disciples des Grecs, Cic, Senect., 41. Malgré les réserves de Mommsen, Rfiein. Mua., X, 143, on peut admettre avec Ritschl que les voyelles géminées réclamées en latin par Accius au ii" siècle av. J.-C, d'après Vel. Long., Keil, VII, 18, 12, sq., cf. PAASTORES CIL., I, .551, maanivm, ib., I, 1410, LEEGEi, Tab. Bant. 26, etc., sont empruntées à l'orthographe osque'. Nous avons déjà constaté que nombre de Kulturwor- ter grecs ont été transmis au latin par un intermédiaire osque, voir p. 49 sq. Aussi les progrès du latin dans l'Italie du sud furent-ils parfaitement insignifiants jusqu'à la Guerre Sociale. En Cam- panie, on ne rencontre guère d'inscriptions latines avant l'époque impériale, à part quelques textes officiels dans les colonies ou les villes romaines. Le latin provincial de l'Italie du nord qui, dès cette époque, commençait à se propager de district en district et unifiait ses formes en une sorte de y.i'.vy^ générale très nettement caractérisée, ne pénètre point encore dans les pays de langue osque. C'est ainsi que les datifs fé- minins en -e pour -ae, d'après Sittl, Lokale Vej'schied., p. 9, n'apparaissent pas une seule fois dans le sud, alors qu'ils ont déjà gagné sans exception toutes les régions du nord. C'est que l'osque, réfractaire à la réduction des diphtongues, exerce encore une influence prépondérante : de là, dans les co- lonies romaines et latines de ces contrées, des datifs soit en -ai, soit en «. Ajoutons que e pour ne [aï osq.) n'apparaît pas davantage à l'intérieur des mots. On a par exemple, à côté de l'ombrien kvestur Tab. Eug., V«, 23, etc. ; du falisque pre- tod, Deecke, n° 36, 2; prêt- « praetores » ib., 38; du latin 1. Comme on sait, ni le latin ni l'osque ne présentent jamais la voyelle géminée oo, ilii, exclusion qui ne parait pas devoir être attri- buée au hasard. C'est aussi l'opinion de Stolz, I/isl. Gramm. lai. Spr., I, 90. Quant au falisque vootv.m de Tinscription votive de Paieries, Solmsen est aujourd'hui disposé à voir dans cet oo une notation pour d périspomôno. Ajoutons pour noti'o part que ïi pùifjuc que Lucilius prétendait reconnaître en latin n'est peut-être pas autre chose qu'une imitation de i osque. — 11.-) — S^ ^i2. rustique preto?' (dès le n" siècle), Lucil., IX, 9 Millier, con- stamment, et nniquement , kvaisstur sur les inscriptions osques, cf. Planta, au glossaire, et, pour citer le dernier exemple découvert: ^H3^nV-aVT^IhND>l, de Pompéi, M/- tJwil. k. d. Arch. hist., IX, 61 (1894). La forme qveis- TORES, sur l'inscription latino-marse de Trasaccum, lign. 5, représente peut-être la prononciation intermédiaire entre ç des dialectes du nord et ai des dialectes du sud. Il faut natu- rellement interpréter de la même façon les graphies bien con- nues coNQVAEisiVEi, CAEiciLio, cello-ci particulièrement inté- ressante, sur les poteries de la Vigne de S. Césaire dont le caractère vulgaire et dialectal pourrait difficilement être con- testé. La latinisation des populations osques fut donc une œuvre longue et difficile. En leur qualité d'alliés favorisés, les Samnites, les Campaniens, les Lucaniens conservaient d'ail- leurs leur administration particulière et l'osque comme langue officielle. Même le service dans les légions où, j'imagine, ils finissaient par apprendre le latin dans le contact journalier avec les légionnaires romains, ne leur faisait point oublier leur langue maternelle ; car chaque nation italique constituait dans la légion un corps spécial entretenu respectivement et non solidairement par chacun des peuples alliés et qui était commandé par un préfet indigène. Ainsi les Ita,liotes n'étaient point divisés et répartis dans différents manipules ; ils conti- nuaient à parler entre eux leur langue maternelle et c'est vraisemblablement dans leur langue que leurs chefs immé- diats les commandaient. C'est même là un avantage que les Italiotes avaient non-seulement sur les alliés étrangers, tels que les Cisalpins, les Ligures, les Espagnols dont les cohortes auxiliaires, cf. pour les Ligures Salluste, Jug., 93, étaient exclues des légions et commandées par des Romains, mais sur les Latins eux-mêmes qui, malgré l'opinion de quelques- uns ', semblent bien avoir de tout temps servi dans les mêmes manipules que les Romains et sous le commandement soit d'un Romain, soit d'un Latin jouissant de la ciiiitas oplimo iure. § 42. — Aussi la longue persistance de la langue osque 1. Nous ne saurions sur ce point partager l'opinion de Mérimée, Essai svi' la Guerre Soc, p. 6, n. 2. ;^ 42. — 1 m — comparativement aux autres dialectes italiques n'a-telle rien que de naturel et de prévu. Préservée à la fois par une civi- lisation séculaire et un passé littéraire brillant et par la poli- tique nationale des peuples de la ligue samnite, l'osque ne fut point dès l'abord entamé et finalement absorbé par le latin comme le fut l'ombrien. Tandis que celui-ci ne nous a guère laissé qu'un monument de la langue essentiellement tradition- nelle des sanctuaires et des confréries religieuses, l'osque nous apparaît jusque sous l'Empire comme un idiome admi- nistratif vivant et varié, et dont les dialectes nombreux et précis continuaient d'être parlés dans les villes comme dans les campagnes. C'est une erreur grave de Sittl d'avoir pré- tendu, Lokale Verschied., p. 30, que l'osque, n'ayant exercé que peu d'action sur le latin pi'ovincial de l'Italie du sud, a dû s'éteindre de bonne heure. Nissen la partage d'ailleurs lors- qu'il affirme, Ital. Landesk., 1, 523, avec une conviction faite pour étonner, qu'il est impossible de prouver la survivance de l'osque au-delà de l'ère chrétienne. Bronisch, Die osk. i-und e-Vok., p. 7, est sous ce rapport mieux avisé lorsqu'il recon- naît la possibilité tout au moins de reculer certaines inciip- tions osques au-delà de la Guerre Sociale. Sans doute, on peut hésiter sur la date à assigner aux listes électorales osques peintes au minium sur les pilastres de Pompéi et aux inscrip- tions gravées sur le stuc des façades, encore que l'archéolo- gie et la comparaison des inscriptions latines correspondantes ne permettent guère de reculer les plus anciennes au-delà de la Guerre Sociale, cf. Mommsen, i'nterital. DiaL, p. 116, Planta, I, § 9, p. 33. Mais les graffiti de la casa del Fauno et de la casa del Poeta tragico doivent de toute nécessité être contemporains de la catastrophe de 79, car de telles inscriptions ne sont évidemment pas faites pour durer. L'ins- cription de Flore Fluusai daterait, d'après Mommsen, Un- terit. Dial., p. 116, de la même époque. « Puisqu'aux environs de Naples, conclut très judicieuse- ment Bréal, Mém. Soc. Ling., IV, 383, au f siècle après J.-C., on se servait encore de l'osque dans les actes officiels', combien de temps n'ont pas du se maintenir les dialectes dans les campagnes reculées ! Peut-être la victoire complète du latin est-elle postérieure à la chute de l'Empire romain. 1. L'expression « actes officiels » est peut-être excessive. — 117 — ;5 i-2. Un de nos confrères a montré qu'il existe des vestiges de l'osque dans la prononciation actuelle de certaines provinces italiennes. » Storm en effet avaifdéjà, Mém. Sor. Li?if/., II, 115 note, appelé l'attention sur les vestiges laissés par l'osque dans les dialectes modernes; il citait notamment le mot at- trufe « octobre » dans le patois de Naples, lequel suppose sûrement une forme osque *ohtûfri-, * ohiruf{r)i-\ cf. franc. truffe = osq. * trûf[r)i-, lat. tûhcr. Nous rapporterions volon- tiers à la même origine des cas comme le v. sarde frcnrgiu « février » = * freb[r)àrio- , etc. Nous croyons que l'on pourrait pousser ces recherches beaucoup plus loin qu'on ne l'a fait jusqu'ici et qu'une étude sérieuse des patois de l'Italie du sud, entreprise à ce point de vue spécial, apporterait une ample moisson de faits de toute espèce. Les troisièmes personnes du parfait en -atte, -altà dans les patois italiens modernes, cf. W. Meyer-Liibke, Zeitsch. rom. PhiL, IX, p. 230, Itnl. Gramm., 250, embrassent exactement l'ancien domaine des dialectes osques, dont précisément le parfait en -atted était un des caractères les plus saillants. Planta, II, § 317, p. 342. sq. Il est possible que les parfaits modernes en -atte soient, comme l'expliquent les romanistes, une extension analogique des parfaits en -elfi, -elle, lesquels sont eux- mêmes sortis de bletti = lat. *stpttul pour stetl, Osthoff, Pei^- fekt, 243 ; il faut reconnaître tout au moins qu'un pareil procès analogique est extraordiiiairement compliqué. Encore faudrait-il expliquer pourquoi cette tlexion bizarre -atte a précisément été inaugurée dans l'ancien domaine des parfaits en -atted: si * prohattit latin succède à prùf atted osque, c'est qu'il existait encore parmi le peuple au moins comme un vague écho de celui-ci. Il y a longtemps d'autre part qu'on a rap- proché l'assimilation ^q nd à nn dans l'italien du sud, Grim- driss, I, 551, W. Meyer-Lïibke, Gramm. Rom. Spr., I, § 497, cf. § 649, à des phénomènes analogues en osque et dans les dialectes sabelliques; cf. aussi Schuchardt, Vokal., I, 86. Ajoutons de notre côté, et sans entrer autrement dans les détails d'une question déjà trop spéciale pour être traitée ici, que de même le vocalisme des patois actuels de l'Italie méridionale nous paraît représenter directement la pronon- ciation osque. On sait en effet que é long primitif est repré- senté en osque par /'' dU l long, figiu'é par i simple sur § 42. _ 118 — les textes plus récents en caractères latins. De même ô long aboutit régulièrement à ù^ cf. pour les détails Planta, I, § 47, Mohl, Couple lui-lei, § 58. La table de Bantia par exemple écrit ligud, 24, en regard du latin lçge\ siuom, 22, contre l'ombrien seuom ; pim pour prO et ainsi de suite. Ces formes ont naturellement cours, au moins dans les campagnes, autant que la langue osque elle-même, c'est- à-dire, comme nous l'avons dit, jusque vers la tin de l'Empire, et nous pouvons nous représenter aisément les formes latines qui leur succèdent d'après des graphies telles que tenimvs « tenëmus » sur un graffito dePompéi, sinatum, cinsverint, RIS « rës )) dans notre texte de la loi Julia, CIL,, I, 206, 1. 135, etc., gravé évidemment par un graveur de nationalité samnite ou campanienne. Il y a longtemps que Ritschl, Rhein. Mus., VIII, 480, n. 2, a mis sur le compte de la prononciation osque les formes isT habiat habibit oportibit dibito, etc., sur les Tables d'Héraclée, Cf. Corssen, Ausspr., II, 258 sq. A l'époque de César, dans le latin de Capoue, on pro- nonçait ni pour 7iê, ainsi qu'il ressort de textes étudiés d^ns \e Phiiologus, XXI, 563, 1. La Table de Bantia écrit régulièrement ni, p. ex. 7ii hipid, « ne habuerit », 1. 8 et 14, ni fuid, « ne fuerit », 1. 9, à côté de ne po7i, « nisi », X.IAqï ne phim pruhipid, « ne quem prohibuerit », 1. 26, où nous soupçonnons dans /?é/)o;?, ^^(^/?f5 (proprement « nullus ») une autre formation. Ritschl, /^//rà^ Mm., VU, 479 sq., con- sidérait, il est vrai, ne et ni du latin classique comme de simples doublets sortis de y^ez archaïque : «caserait même, d'a- près lui, la forme la plus ancienne. On remarquera que les textes écrits dans le sud favorisent/?!, la lex Puteolana par ex. ; la Table latine de Bantia n'a qu'une fois ne pour nei, encore est-ce peut-être une erreur de lecture ou de gravure. La lex Julia, il est vrai, a une quarantaine de fois né contre douze exemples seulement de /ip/ ou ni. Nous croyons que né doit être étymologiqueraent distingué de m\ celui-ci est pour nè-\-i enclitique, cf. osque ne et nei, ncp aineip pour * ne-i- pe, Planta, 1, § 72, p, 149. Dans 7ië latin nous aimerions re- trouver le [j:q grec, ma sanscrit, avec métaplasme de la con- sonne sous l'analogie de 7ië, ncc, ni ; les fonctions syntac- tiques de ne won^ paraissent bien attester l'identité de 7iè et de ;r(^. Quoi qu'il en soit, la prononciation osque et sabellique en général devait de Itoiiiic heure aiiHMici'. dans le latin (Tlla- — I l<.) — ;< 42. lie, la fusion de ?ic et de ?d considérée à tort par Ritschl comme primitive. L'emploi, de nec en latin pour la négation simple nous paraît devoir être également rapporté à l'in- fluence des dialectes italiques où, comme on sait, 7iep neip a pris de bonne heure, surtout en ombrien, les fonctions de la négation absolue. Dans le latin spécial des juristes, l'emploi de nec pour non est courant sous l'Empire, par ex. furtum nec manifestum, Miodoiiski, dans VEos polonais, II, 56. Ajoutons necdum pour nôndum chez les auteurs inférieurs ; c'est une contamination du latin d'Italie. Aujourd'hui on prononce en général dans tout le sud de la péninsule Ucjrji pour lége et viici pour voce: comment nier, je ne dis pas la parenté avec les faits osques, mais la descen- dance directe de ces phénomènes ? Il est naturellement assez difficile, dans l'état actuel de nos connaissances, d'indiquer les frontières exactes de l pour è dans les dialectes méridionaux de l'Italie ancienne. S'il est vrai que regen{à) de la Table de Rapino, 1. 10, corresponde au latin rêgma, voir à ce sujet surtout Planta, I, §34, p. 94, nous aimerions mieux y voir une « Riickschreibung » ë pour 7 que d'admettre, comme le font entre autres Planta et Bronisch, Die usk. i- und e- Vok., p. 43, un passage de wi ê en marrucin. Les dialectes sabelliques seraient en conséquence à joindre, au moins par- tiellement, à la langue osque'. Il était naturel que les Grecs, dans leurs constantes relations avec les Osques de la Cam- panie et de la Grande Grèce, reproduisissent, dans leurs rares emprunts au latin, la prononciation méridionale. C'est ainsi que Suidas cite un mot ij.'.-ato'jp'.ov, cf. mëtdtôria pagina dans Sidoine Apollinaire. La prononciation * 7nîta pour îuèta s'était, il est vrai, peut-être exceptionnellement géné- ralisée en latin vulgaire, ainsi qu'il paraît ressortir d'un pas- sage de Servius, Keil, p. 421, 16: E qiiando producitur uici- num est ad sonum 1 litlerae ut meta. La forme sinâtns de la loi Julia semble également s'être répandue hors de la pénin- sule; du moins, nous savons qu'elle était courante en Afrique, au 111° siècle de notre ère et sans doute dès une époque beau- coup plus ancienne. C'est ce que montre l'Appendix Probi, 198, 5 : Senatus non sinatas. On pourra rapporter sans trop 1. PoLEENis Tab. Rapin. est trop obscur pour nous inquiéter. ^ i-2. — 12(1 — de témérité ce sinâtus du latin de Cartilage ' aux nombreux colons de l'Italie méridionale qui émigrèrent, après les Guerres Puniques, dans la nouvelle colonie. Peut-être même pourrait-on préciser la date, en se rappelant que C. Gracchus fut chargé de conduire comme triumvir, peu avant la Guerre Sociale, six mille Italiotes, particulièrement des Samnites, dans la nouvelle colonie de Junonia, fondée précisément sur les ruines mêmes de Carthage, Appien, Bell. Ciu., I, 24, Plut., C. Gracch., 10. Celui qui étudie avec quelque attention le viii' volume du Corpus ou l'étude de Ihm sur le latin des inscriptions africaines, se persuade facilement que les dia- lectes de l'Italie méridionale y ont laissé des traces nom- breuses. Il faut seulement, dans ce genre de recherches, procéder avec une extrême prudence et un tact spécial sans lequel on s'expose à tomber bientôt dans les plus invraisemblables fantaisies. Ainsi, pour reprendre notre exemple de tout à l'heure, avant de mettre l pour è sur le compte de la prononciation oscosamnite, on devra examiner avec soin si l'influence des dialectes celtiques, où ê suit le même traitement, n'est pas plus vraisemblable : c'est ce que nous avons admis, on s'en souvient, pour le rix des monnaies ostrogothiques et pour certains mots des pays celtiques, tels que le français timon. Dans lëber cité comme archaïque pour /^/^e/' par Quintilien, I, iv, 17, cf. Servius, inGeorg., I, 7: Quaniuis Sabini Cererem Vanem appellent, Liberum Lcba- .siitm; dans flA?2t'CM.s- donné par Festus, Paidi Epit. s. v. ami- citiae: Ab antiguis autem araeci et amecae per e litteram ef- ferebantur , il ne faut évidemment voir qu'une graphie ancienne pour e«ou l, comme dans le conpromesise du Séuatus Consulte des Bacchanales de 186, CIL. I, 196. De même, nous ne croyons pas qu'il faille chercher autre chose que des variantes orthographiques dans les vieux mots posimèrium ou posim't- rium, dans Festus s. v. et Lucilius, VI, 15 Mûller, bûcêtum ou bûc'itum, chez Isidore et Varron, V, 164; le vocalisme primitif est ei, non directement oi comme on l'enseigne au- 1. Sur l'origine africaine de VAppendix Proln et sur sa date approxi- mative, cf. Gaston Paris, dans les Mélanges Renier, p. ;>0l sq.. l'Ihnann, Romnn. Forach.,, IV, fasc. 2 (1892). — Siiuitii.s d'ailleurs n'est pas forcément une forme du sud ; nous y verrions volontiers une étymologie ])(ipulair(' d'a\)vcs sinus « la toge». — 1-21 — § 43. jonrd'hui, car un affaiblissement direct de oi, oeen e ou ^ nous parait tout à fait sujet à caution. Le latin -ccitom, -mei- riom est en alternance avec le gothique haifi, « lande, prai- rie » et le vieux latin moiros comme on a en grec ètt'.ysvy^; à c(3té de y^vo; ou -ztXyzqk côté de -oïyz-K II serait évidemment puéril de soutenir que Lucilius prononçait posimlrium parce qu'il était de Suessa, chez les Aurunques, à la frontière de la Campanie, et que Varron écrivait bûcltum en sa qualité de Sabin de Réate, cf. Idretum sur l'inscription sabine deScop- pito, Zvetaiev, hisc. Ital. Inf., n" 10, à côté del'osque herest, Planta, au glossaire et de l'ombrien hereitu, Tab. Eug., VI, 37, etc.^ Nous aurons d'ailleurs plus d'une fois encore, dans le courant de cette étude, l'occasion de signaler des sur- vivances osques dans le latin vulgaire : c'est pourquoi il nous parait superflu d'insister en ce moment davantage sur les exemples linguistiques susceptibles d'éclairer l'histoire de la romanisation de l'Italie. § 43. — Ainsi, vers le début du i*^" siècle avant notre ère, l'Italie était divisée sous le rapport linguistique en un cer- tain nombre de régions que l'on peut répartir entre trois zones nettement distinguées d'après les langues dominantes qu'on y parlait. Le centre, c'est-à-dire le Latium, les Herniques, les Sabins, les Eques et la plupart des cités volsques étaient à peu près latinisés et leurs dialectes locaux en voie de disparaître ; dès cette époque circulait parmi eux un langage général, dont la base était l'ancien latin rustique de la ban- lieue romaine et qui, s'affînant avec le temps, tendait de plus en plus à se rapprocher du latin officiel parlé dans Rome. Dans le nord, chez les Falisques, à Capène, à Inté- 1. Quant à .-iublllis rac. tel- et autres semblables, c'est un cas parti- culier relevant de la phonétique latine, cf. Stolz, Ih'st. Gramm. Int. Spr., I, 140, Brugmann, Grundr., 1, 65, Parodi, Studj ital. (il. class., I, 434. 2. Hien de plus incertain à nos yeux que l'identité du sabin hiretum et de l'osco-ombrien heri- telle que l'admettent Bronisch et la plupart des italistes. La glose Lebasium, citée plus haut, ne nous parait pas beaucoup plus claire; nous la croyons tout au moins quelque peu altérée, car ni e ni 6 ni même s (dans Liber le r est probablement ])rimitif) ne semblent répondre réellement à la phonétique sabiiie. L'analogie de « pour o en sabin rend certes probable i pour o, mais nous n'en avons pas, à notre sens, de témoignage direct certain. ?; 4:î. — \-2-2 — ramne, à Spolète, et dans les grands centres de la coloni- sation romaine, la latinisation était également fort avancée. Nulle part on ne peut mieux suivre les progrès du latin dans ces régions qu'en comparant les inscriptions de Falerii novi (Falleri), territoire de la colonie romaine, avec celles de Falerii veteres (Cività Castellana\ l'an- cienne capitale de la nation falisque, son vieux centre intel- lectuel et religieux. C'est aussi le dernier refuge du vieil idiome national ; tout y révèle le soin jaloux avec lequel la population patricienne et instruite (cf. sur les écoles de Fa- léries Plut., Cam., 12, Tite-Live, V, 27), essaie d'abord de conserver intactes ses anciennes traditions littéraires et reli- gieuses, la piété touchante avec laquelle elle reste fidèle sur ses inscriptions funéraires et religieuses à l'antique alphabet national. A Falerii novi au contraire, les habitants indigènes admis à s'inscrire dans la colonie n'ont point les mômes idées conservatrices ; en leur qualité de plébéiens pauvres, ils oublient bien vite la bonne tradition falisque, se plient tout de suite aux influences latines, acceptent les formes, l'ortho- graphe, les mots romains, parlent finalement un mélange de falisque et de latin que sans doute les colons romains de leur côté acceptent plus ou moins après quelques générations et dont les inscriptions de Falleri nous donnent une idée parfai- tement nette. Bientôt, à mesure que le nombre des colons se multiplie, la contagion du latin gagne l'Ager faliscus tout entier, déborde jusque dans Falerii veteres, dont les plus récentes inscriptions montrent à leur tour la marque de la romanisation envahissante, rejoint Capène et l'Ager capenas où s'est formé entre temps un dialecte semblable, gagne en même temps vers le nord les frontières de l'Ombrie, où Nar- nia, Intéramne, Spolète, Sarsine ont déjà préparé la ruine de l'ombrien et sa fusion avec le latin. Dès le i""" siècle avant notre ère circulait sûrement parmi les populations de ces ré- gions un latin spécial où se reflétaient fidèlement la plupart des particularités phonétiques des vieux dialectes indigènes, où l'on prononçait prçda ; àro pour amnmi; nômna, cf. ombr. génitif y/o;«w^r, Tab. P]ug., VI b, 54; gladi(m) pour gladium, cf. ombr. Fisim, Fisi; domôs pour domïis; maister pour mn- guter, cf. ombr. niestru, Tab. Eug., V a, 24, etc., et ainsi de suite pour une infinité de cas dont nous retrouvons généra- lement les successeurs directs dans la phonétique romane. — 1-23 - i; ^3. A l'origine, les dialectes mixtes constitués par l'infil- tration lente et continue du vieux latin des colonies dans les patois indigènes étaient, il va sans dire, extrêmement éloignés de la langue de Rome, et l'on peut douter qu'un habitant de la capitale, contemporain de Scipion, eût com- pris le langage bizarre qu'on devait parler à cotte époque dans les environs de Nucérie ou d'Assisium ou sur les mar- chés du Forum Flaminii. Peu à peu cependant, à mesure que s'effaçaient partout les vieilles traditions nationales, l'é- lément latin gagnait du terrain, se fortifiait de jour en jour sur le sol de l'Italie du nord, expulsait insensiblement l'om- brien des relations ordinaires de la vie. En même temps, ce latin lui-môme, sous l'influence toujours grandissante de la langue officielle de Rome, désormais fixée par une brillante littérature, s'affinait, perdait peu à peu son caractère de pa- tois local, se propageait par tout le pays et s'unifiait à mesure que les envois et les mutations de colonies se multipliaient, à mesure que les rapports commerciaux, favorisés par des voies nouvelles, devenaient plus suivis et plus actifs. Dès le temps de Sylla, il circulait ainsi dans tout le nord de l'Italie proprement dite un latin général d'un caractère naturellement encore assez flottant et incertain, mais dont cependant les particularités se distinguaient nettement et d'une façon tout à fait tranchée de celles des dialectes de l'Italie du sud. Ajoutons que les Italiotes du nord s'étaient trouvés dès l'origine en contact infiniment plus étroit avec le Latium que les populations du Samnium ou de la Campanie. Lors de la domination étrusque, il est clair que beaucoup de peuples de la ligue étrusque avaient envoyé des colonies plus ou moins nombreuses occuper les terres du Latium. Or les Falisques, d'origine essentiellement indo-européenne, faisaient partie de la ligue. Otfried Millier, Elrusk., II, 49, a montré que ce sont eux qui ont colonisé Tusculum et effectivement les inscriptions tusculanes dénoncent un dialecte sensiblement différent des autres parlers strictement latins. S'il est vrai, comme nous le croyons, voir plus haut p. 60, que les Véiens, le premier ennemi vraiment redoutable que Rome eut à com- battre, n'étaient pas non plus des Etrusques proprement dits, on voit que dès les premières origines ces contacts intimes et constants entre le Latium et les Italiotes du nord durent largement préparer le terrain à cette unification linguistique. ^ 43. — 1-21 — Jusqu'à quel point ce latin du nord avait déjà pénétré, au moment de la Guerre Sociale, dans les couches profondes des populations rurales en Ombrie et dans les régions avoi- sinantes, c'est ce qu'il est assez difticile de préciser quant à présent. Sans doute, les anciens dialectes indigènes étaient loin d'avoir succombé partout devant la concurrence redou- table de la langue romaine. Nous avons dit que, dans les villes d'Orabrie, l'ombrien littéraire était, selon toute vraisemblance, resté la langue de l'administration intérieure jusqu'à la pro- mulgation de la loi Julia; la pierre d'Assisium est un spéci- men précieux de la langue administrative du pays et ne sau- rait être, d'après notre estimation personnelle, de beaucoup antérieure à la guerre. Pourtant, si on la compare à la langue religieuse conservée par les Tables Eugubines, on ne man- quera point de remarquer déjà entre les deux idiomes des différences assez considérables. L'ombrien de la pierre d'As- sisium est déjà sensiblement moins pur, beaucoup plus subor- donné à l'influence du latin que l'ombrien du rituel d'Igu- vium ; le nominatif termnas « terminatus » par exemple est en opposition avec le vocalisme iguvien pihos^y conegoîi, Casilos. Lorsque Strabon nous dit, V, 216, que de son temps les Ombriens étaient complètement romanisés, c'est là une exa- gération d'autant plus flagrante qu'il traite les Etrusques sur le même pied. Il est au contraire extrêmement vraisemblable que, dans les parties montagneuses du pays, dans les bour- gades reculées et peu accessibles, l'ombrien s'est maintenu assez tard, au moins jusqu'au temps d'Auguste. On remar- quera en effet que l'Ombrie, depuis la conquête romaine, fut toujours de toutes les régions de l'Italie la plus tranquille et la plus pacifique. Elle souffrit moins que toute autre des guerres et des révolutions incessantes qui bouleversèrent sans cesse la péninsule. Sa population demeura donc plus stable et plus fixe que partout ailleurs, mais en revanche l'extrême division du pays, l'autonomie de chaque tribu et de chaque cité, leur mutuel antagonisme qui détruisit de bonne heure l'idée d'une nationalité ombrienne unique et effaça rapidement le souvenir des communes origines et des communes tradi- tions, enfin les conditions ethnographiques particulièrement désavantageuses dans un pays où deux races étrangères, les Celtes et les PUrusques, constituaient un élément important et hostile, tant au point de vue linguistique qu'à l'égard des relations politiques : telles furent les causes principales qui favorisèrent évidemment le morcellement dialectal de l'om- brien. Ainsi affaiblie, la langue nationale devait d'autant plus promptement et plus profondément se laisser entamer et con- taminer peu à peu par le latin, auquel l'immigration coloniale, particulièrement nombreuse, apportait chaque jour un appoint nouveau. Il ne faut pas non plus perdre de vue que la voie Flaminienne, construite en 220, et qui était l'une des plus importantes de la péninsule, coupait l'Ombrie d'un cordon non interrompu d'établissements romains, de colonies et de marchés ; une large bande de territoire se trouva ainsi de très bonne heure acquise entièrement à la langue latine. L'ombrien se trouvait donc dans des conditions d'existence tout à fait défavorables et, comme c'était en somme un idiome relativement inculte si on le compare à des langues littéraires brillantes telles que le latin et l'osque, il se trouva si mal armé pour le struggle for life linguistique que sa fin prochaine de- vint promptement irrémédiable et fatale. Les affinités de l'om- brien avec le latin, affinités beaucoup plus intimes que celles de l'osque et des dialectes sabelliques, hâtèrent également sa dissolution et sa pénétration par la langue de Rome. Il arriva ainsi cette chose intéressante et rare que, comme nous avons essayé de le faire voir, l'idiome national de l'Ombrie s'altéra dans les campagnes plus tôt que dans les villes, où les for- mules administratives et une certaine tradition littéraire pro- tégèrent quelque temps la pureté de la langue ; parmi les populations rurales au contraire, au moins parmi celles qu'un contact journalier avec les colons romains mettait à même d'exercer l'étonnante faculté d'assimilation propre à la race ombrienne, il faut croire que les patois mixtes d'où sortit, par une élaboration lente et continue, le latin général de l'Italie du nord, se formèrent de très bonne heure. C'est, à notre sens, le seul moyen d'expliquer l'extrême rareté et l'in- signifiance absolue des titres privés ombriens. D'une façon générale, toutes les inscriptions privées de l'Ombrie sont rédigées soit en latin, soit dans quelque dialecte local latino- ombrien ; il n'y en a aucune dans la langue classique attestée par les Tables Eugubines ou même par la pierre d'Assisium. Quant à supposer avec Nissen, Ital. Landesk., I, 508, que le latin était devenu la langue officielle de l'Ombrie avant même la Guerre Sociale et la promulgation de la loi Julia, ^ 44. — \-2Ci — c'est, croyons-nous, méconnaître les intentions de la politique romaine qui faisait, comme on sait, du droit d'employer offi- ciellement la langue latine dans radrainistration intérieure un privilège inséparable du lus ciuitatis. lin ce qui concerne l'Ombrie, on se souviendra du blâme infligé à Marins par le Sénat pour avoir accordé le droit de cité aux deux cohortes de Camerinum qui avaient décidé de la victoire à la journée de Verceil, Val. Max., V, 8; Plut., Mar., 28, cf. aussi Cic, Pro Corn. Balbo, 46. De plus, il semble bien que les Ombriens, sans être traités comme les barbares non italiotes en peuple vaincu et assujetti, étaient cependant, en général, moins favo- risés sur ce point particulier que les autres alliés italiques; la présence des nombreuses tribus celtiques et étrusques qui partageaient le pays avec les populations ombriennes mettaient en effet l'Ombrie dans une situation spéciale exigeant avec chaque cité des traités particuliers. Certains textes latins officiels, par exemple l'inscription du Corpus, I, 1412, anté- rieure à la Guerre Sociale, montre que dès cette époque quelques cités ombriennes avaient obtenu le droit de s'admi- nistrer en latin ; mais c'est là, croyons-nous, un privilège exceptionnel dont il faut se garder d'étendre le bénéfice au pays entier. § 44. — Le Picénum, qui avait lui aussi à compter vraisem- blablement avec une population d'origine celtique, au moins sur le littoral septentrional, était sans doute à peu près dans la même situation que l'Ombrie. Après la conquête romaine, en 268 avant J.-O., une grande partie des habitants furent déportés dans une région de langue osque, sur les bords du golfe de Salerne, Strabon, V, 251 ; Pline, III, 70. Une population de colons romains et latins, particulièrement dans le nord, à Auximum, Potentia, Firmum, remplaça naturellement les Picentes dépossédés et propagea rapidement le latin dans le pays entier. Au moment de la Guerre Sociale, la langue natio- nale du Picénum était certainement déjà à peu près éteinte, car il est absolument impossible de voir dans les restes assez misérables fournis par l'épigraphie du Picénum autre chose ■que du latin dialectal. Même à Asculum, d'où partit cependant le signal de la grande révolution italique, on parlait le latin, comme le montrent par exemple les inscriptions CIL. I, 644, 645, 646, etc. T. Betucius Barrus, orateur romain, était un — 127 — 5^ Ai. Picente d'Asculura, Cic, Brut., 46. Les Prétuttiens, sans être peut-être aussi foncièrement latinisés que les Picentes propre- ment dits, vivaient néanmoins dans des conditions linguis- tiques analogues. Il est assez difficile de porter un jugement sur les carac- tères particuliers du latin du Picénum. Les vestiges mutilés et rares qui nous en ont été légués par les inscriptions sem- blent néanmoins dénoncer une langue moins éloignée du latin de Rome que ne le sont les inscriptions dialectales de l'Ombrie et surtout celles du Pisaurum. Toutefois, sans entrer ici dans l'étude critique du latin des inscriptions picentes, nous pouvons constater du moins que la langue, à en juger par certaines par- ticularités du vocalisme, porte malgré tout l'empreinte géné- rale des parlers du Nord. Entre le latin de l'Ombrie et celui du Picénum, l'écart ne devait guère, en somme, être fort sensible. Ce dernier, plus voisin du latin du Latium, de la Sabine et des régions depuis longtemps romanisées, servait ainsi de transi- tion naturelle entre cette première zone de la latinisation et la deuxième, celle de l'Ombrie et du Nord en général. Il en est de même sur l'autre versant de l'Apennin, cbez lesFalisques, les Capénates et les populations de l'Étrurie méridionale, dont les dialectes étaient extrêmement proches de la vieille rusti- citas du Latium proprement dit. Les deux zones de latinisation tendent ainsi à se rejoindre et à se confondre. La politique administrative de Rome, après la Guerre Sociale, favorise d'ailleurs largement cette fusion et cette unification progressive des dialectes latins de l'Italie; les proportions toujours grandissantes de la colonisa- tion, les échanges constants avec la capitale, le service des armées et des guerres et cet afflux incessant de vie romaine et de sang latin rayonnant continuellement de la capitale et de sa banlieue vers les campagnes provinciales, entraînent forcé- ment une épuration lente du latin, une élimination de la. pere- grinitas italique sous cette irrigation à jet continu de formes et de mots purement latins. En revanche, l'Ombrie, avec sa population nombreuse et relativement stable, offre un terrain propice au développement et à la fixation des particularités pérégrines de la langue. Celles-ci finiront par s'implanter assez profondément et par s'affirmer avec assez de force pour réagir à leur tour contre le latin de la première zone et le pénétrer peu à peu. Sittl a montré d'une manière tout à fait ï^ 15. — 1-2S — lumineuse cette pénétration du latin de l'Italie centrale par les dialectes des régions du nord. Dès la fin du ii° siècle avant notre ère, certains caractères du latin de TOmbric commen- çaient déjà à gagner le Latium, avec Rome elle-même, et se propageaient lentement vers le sud. Nous avons déjà fait observer à plusieurs reprises que le passage de la diphtongue ae à e doit être, selon toute vraisemblance, rapporté à l'in- fluence des dialectes du nord, et il en est ainsi d'une quantité d'autres particularités du latin vulgaire d'Italie. Il est donc hors de doute qu'au moment où éclate la Guerre Sociale le latin de la première zone et celui de la deuxième étaient déjà fort })roches l'un de l'autre; les limites linguistiques des dif- férentes régions déjà s'étaient sensiblement effacées avec le temps et les échanges de plus en plus nombreux et de plus en plus intimes entre les divers parlers locaux accentuaient chaque jour cette fusion générale des dialectes latins. Sans doute, on était loin encore du latin vulgaire uniforme que suscitera peu à peu l'administration impériale et qui, vers le 11° et le m" siècles de notre ère, arrivera à peu près partout dans l'Empire à se généraliser on une forme très peu différente du latin écrit. Sans doute, du temps des Gracques et de Marins, nombre de patois locaux subsistaient encore dans leur pleine intégrité, même dans les régions italiques depuis long- temps latinisées ; mais néanmoins, le plus souvent à côté des dialectes locaux, dont l'usage était ordinairement restreint aux usages intérieurs d'un même village ou d'une même ban- lieue, une façon plus générale de s'exprimer, un parler plus courant et plus latin circulait déjà presque dans tout le Nord. On y sent déjà très nettement en germe un latin panitalique, une sorte de y.c.v*^ d'Italie qui gagnera bientôt toute la pénin- sule, tTaA'.y.dv V. à'0:ç -{lA^rr^t, comme dit un historien grec\ § 45. — Au moment de la Guerre Sociale, la troisième zone de latinisation, c'est-à-dire les régions méridionales de l'Italie, n'a encore reçu que faiblement les atteintes du latin du nord. C'est que les progrès de la romani sation en général y sont restés jusque-là assez inefficaces. Les peuples de la 1. Pour autant qu'il m'en souvient, j'ai recueilli jadis cette phrase intéressante dans les Geiigraphi (iraeci minorps. mais mallieureuse- ment il ni"a été impossible de retrouver le passage exact. — 1-iO — i; i5. Confédération marse seuls paraissent s'être assimilé en partie la langue latine. Comme nous l'avons dit, nous ne croyons pas pouvoir souscrire à l'opinion commune d'après laquelle les Marses, les Péligniens, les Marrucins ne parlaient plus guère que le latin dès le i" siècle avant notre ère. Néanmoins, l'épigrapliie montre d'une façon incontestable que les dialectes nationaux de ces pays avaient dès ce moment subi l'influence profonde du latin. La situation devait être assez semblable à celle que nous observons actuellement dans certaines parties de la Galicie, où le contact et le prestige de la langue polo- naise transforme chaque jour les parlers locaux des Ruthènes. Non seulement l'invasion continue du vocabulaire ruthène par les mots et les tournures du polonais, mais surtout le rema- niement de presque toutes les parties de la grammaire sur le modèle de la morphologie et de la syntaxe polonaises montrent clairement que, dans ces régions, le ruthène disparaîtrait à bref délai, si la littérature et les écoles ne le prenaient sous leur protection. Le fait seul que le petit-russien a refait son prétérit sur le prétérit polonais, par exemple nuea.n> cjib, d'après pisai-em, à côté du russe proprement dit a nnca.i-L, fl ccML imca.i-b dans quelques parties de l'Ukraine, prouve jus- qu'à quel point la contamination a été intime. Ce sont des phénomènes exactement comparables à ceux-là que nous révèlent le marse, le pélignien, le marrucin, et il est vraiment étrange de voir les italistes spéculer à perte de vue sur le sens et la nature de formes telles que aetate en pélignien, sur l'inscription funéraire de Corfînium, Biicheler, fihein. Mus.,XXXlV, 405; Zvetaiev, hisa-. Ital. ivf. dial., n" 14. Plutôt que de reconnaître dans la phrase, pourtant si claire et si simple casnaroisa aetate, Yaoik moi « senex usa aetate » un emprunt pur et simple au latin aetate, Pauli, Altital. Stud., Y, 51, songe à * agetate « uïtâ » du verbe ago, avec chute de i {= g) entre deux voyelles, à peu près comme dans l'italien maesti^o de magistro. Bronisch, Die osk. i- imd e- Vok., p. 40, réfute avec raison cette explication, sans cependant pou- voir se résoudre à voir dans le pélignien aetate un emprunt latin: « An latein. aetas, dit-il, diirfen wir freilich auch nicht denken, daran hindert altlatein. aeuilas. » L'objection n'est pas, en tout cas, probante, car si l'on tient à voir dans le pélignien aetate quelque chose de réellement ancien, on pourra encore le tirer du latin aeuitâs, * aeuetâs en s'appuj^ant Moiii.. — Chronolnf/ie du latin vulfjnire. 9 ^ 15. — 130 _ alors sur ce fait que it intervocalique, suivant une remarque de Pauli, parait tomber en pélignien ; cf. suois pour *simois, etc. \ Remarquons que, sur la même inscription, on lit incubât. Comme le pélignien, de même que l'osque, conserve générale- ment e devant nasale, cf. notamment em/?r«^o?s^Zvetaiev, Insc. II. inf. dial., n° 13, les philologues, Bronisch par exemple, op. cit., p. 62, se perdent en conjectures sur cette merveille inouïe, incubât avec in- au lieu de en- ; ils concluent finale- ment que e pélignien était — même e bref primitif en position — tellement fermé qu'il inclinait vers i. Voilà bien des choses dans un / et en somme beaucoup de bruit pour rien, car il n'y a, dans ces savantes hypothèses, qu'une anicroche : c'est que e;z67//>«/' n'est pas du pélignien, mais purement et simplement du latin. C'est ainsi encore que uenalinam « uënaliciam w en marrucin est sûrement un latinisme, puisque sn subsiste nor- malement dans les dialectes italiques. Toute conjecture plus spéciale sur la nature et les particu- larités du latin ou du dialecte mixte çà et là en usage vers le i" siècle avant notre ère parmi les populations" marses et péligniennes doit, dans l'état actuel de nos connaissances et surtout en présence des obscurités sans nombre qui planent encore sur la plupart des textes de ces régions, se renfermer dans les limites de spéculations générales et de prudentes dé- ductions. L'ensemble du matériel épigraphique permet toutefois de penser qu'à l'époque républicaine le latin de cette région était encore assez éloigné du latin communément parlé dans les pays du nord et dans les différents districts du Latium et de l'Italie centrale. Beaucoup des traits caractéristiques du latin septentrional, la réduction des diphtongues par exemple, ne se manifestent point ici ou ne sont encore qu'imparfaitement développés. Le fait, d'ailleurs, s'explique aisément, si l'on songe que les dialectes marso-péligniens, sensiblement diffé- rents de l'ombrien et des parlers italiques du nord, se ratta- chaient résolument aux dialectes du groupe osco-samnite. Le latin développé dans cette région devait présenter une originalité assez marquée dont il nous est encore possible çà 1. Il faut bien dire que suois pour *siwois, suivant l'interprétation de Pauli, est pour le moins sujet à caution. On peut y voir .soit suois, i.-eur. sua-, soit sfiois d'après le latin sùos, de même qu'on a en ombrien suo- à côté de sono-. Dans sûo-, nous reconnaissons purement et sim- plement un latinisme. — 131 — i; iG. et là de nous faire au moins quelque idée. En pays pélignien par exemple, on continue probablement de prononcer deiuo[s), iieico[s) avec la diphtongue ei, alors qu'à Rome et en général dans tout le Nord de Tltalie, on articule depuis longtemps déjà diuo[s), incus ou ulco[s). Une inscription de Narone, chez les Vardaei, en Dalmatie, présente encore la forme iieic{o): |vEic-coi|, CIL. 1, 1472. Or, Narone et le territoire avoisi- nant ne devinrent territoire romain que dans le courant de l'année 33 avant notre ère, durant le duumvirat, à la suite d'une expédition d'Octave contre les pirates de l'Adriatique. L'inscription veic-coi n'est donc pas précisément un titre archaïque ; c'est bien plut(3t une inscription d'origine vulgaire représentant le vocalisme d'un dialecte latin de l'Italie du Sud, peut-être l'œuvre d'un colon d'origine pélignienne. En marse la diphtongue e/ paraît s'être réduite, dès l'époque républicaine, à è comme partiellement en falisque et dans le latin de l'Ager faliscus ; en revanche, ai, ae y est devenu pà. L'inscription Zvetaiev, Inscr.lt. inf. dial., n° 40, qui est en langue marse relativement pure, a le datif loue ; de même sur l'inscription 42, où l'influence latine est déjà plus sensible; cf. aussi 41 : ■pâtre. L'intéressante inscription latine dialectale de Trasac- cura, près du lac Fucin, chez les Marses, cf. Fabretti, p. 309, n. 45, porte à la ligne 1 VECOssvrM, c'est-à-dire selon toute probabilité incus Supm...\ la même inscription, ligne 5, donne qveistores. Quant à savoir jusqu'à quel point des par- ticularités telles que uècus et autres ont pu surnager au-des- sus des flots montants du latin septentrional et survivre par- tiellement, d'abord à l'état de particularité locale, dans le latin vulgaire général de l'Empire, c'est une question compli- quée dans laquelle nous ne saurions entrer ici'. § 46. — A l'égard du latin en usage chez les Yestins, il est extrêmement difficile de formuler une opinion. L'ignorance presque absolue où nous sommes quant à la langue de ce peuple ne nous permet guère de juger comment il parlait le latin ni par quelles voies la langue romaine s'est répandue dans le pays. L'unique inscription vestine que nous possédions jusqu'à ce jour, Planta, II, n° 276, porte dvng-didet, qui nous 1. Nous nous réservons d'étudier ces questions dans une mono- graphie spéciale que nous préparons en ce moment. ^ i8. — i:VJ - paraît dénoncer une analogie sabellique ; en pélignien égale- ment ô est devenu û ; de même en sabin. Pourtant, il ne serait pas impossible que l'influence du latin parlé de l'autre côté du mont Fiscellus, chez les Prétuttiens et dans le Picé- num, se fut exercée de bonne heure chez les Vestins, de meil- leure heure en tout cas que chez les Marrucins et les Péligniens, déjà plus éloignés des centres de la -/.cw; septentrionale et trop proches des confins osques du Samnium. § 47. — Quant au Samnium, il est clair qu'avant la Guerre Sociale, le latin n'y avait fait pour ainsi dire aucun progrès. L'osque restait maître à peu près absolu du pays et le latin demeurait presque exclusivement confiné dans le territoire des colonies. La situation était, à peu de chose près, la même en Campanie et en Lucanie où, à la concurrence déjà redoutable de l'osque, se joignaient les obstacles opposés par le grec à la romanisation. En Apulie et en Messapie, les données lin- guistiques sont trop confuses et trop vagues pour qu'il soit possible de formuler un jugement exact sur les proportions revenant à chacune des diverses nationalités qui se parta- geaient ces deux pays. On pourra s'en tenir sur ce point, jus- qu'à plus ample informé, aux conclusions exprimées jadis par Mommsen, X'«^er//. Dial., p. 93, que « wahrend Messapien bis zur augusteischen Zeit ein halb barbarisches Land blieb und der Hellenismus dort nur an einzelnen Punkten hervortrat, hatte sich Apulien vielieicht seit dem y. Jahrh. der Stadt gràcisirt ».' Il faut seulement remarquer que, sur les feuilles de conscription de l'an 225 avant noire ère, ces immenses territoires ne figurent que pour un contingent de 66,000 hom- mes en état de porter les armes, Polybe, II, 24, 11, ce qui, comparativement aux autres régions de l'Italie, est peu de chose. Le pays était donc, dès cette époque, assez affaibli et sa population peu dense ; la colonisation romaine y trouvera donc un débouché considérable et, avec les immigrants nom- breux envoyés après la Guerre Sociale, la /.cvr^ italique par- viendra assez facilement à s'implanter dans ces territoires jusque-là à peine entamés par la langue latine. § 48. — Les conditions ethnographiques du Bruttium sont encore moins connues que celles de l' Apulie. Mommsen, Unter- ital. Dial., p. 93 sq., a démontré jadis que le fond do la popu- — 133 — i, 40. lation, non seulement en Calabre, mais encore en Apulie et dans le Bruttium, appartenait originairement à la race iapyge et rien jusqu'à présent n'est venu contredire les lumineuses déductions do l'illustre historien. L'élément osque, après la conquête samnite, ne nous paraît pas avoir jamais été bien considérable dans le pays ; les quatorze inscriptions osques qui y ont été recueillies et dont une bonne moitié peut repré- senter de l'osque aussi bien que toute autre langue, ne prou- v^ent pas que le pays ait été foncièrement oscisé. Les mon- naies nationales portent en général BPETTinN en grec. Après la conquête romaine, il semble bien, à en juger notamment par l'inscription CIL. I, 196, cf. aussi Gell.,X, 3, 19, que les Bruttiens aient été soumis au régime des Barbares non ita- liotes et administrés en langue latine. Ce que l'on sait, c'est qu'ils n'étaient point admis dans les légions et que leur sort était fort misérable. Tite-Live, citant quelques-unes de leurs tribus, XXX, 19, ajoute qu'on y comptait encore muUi igno- biles popiili. S'il se fût agi de populations samnites d'origine ou du moins ayant adopté la langue osque, comme le croient quelques-uns, il nous paraît évident que l'historien latin n'en eût parlé ni avec ce mépris ni avec cette extraordinaire désin- volture. Les Bruttiens semblent d'ailleurs s'être éteints d'eux- mêmes assez rapidement sous la domination étrangère, à peu près comme de nos jours les Indiens d'Amérique sous les efforts de la civilisation européenne. Au moment de la Guerre Sociale, il n'en est déjà plus guère question dans l'histoire. Rome se trouvait ainsi posséder, à l'extrémité de l'Italie, dans l'Ager bruttius, devenu territoire de la République, une sorte de désert où l'Ombrie, le Latium, la Sabine déverse- ront bientôt l'excédent de leur population et implanteront toutes les formes et les particularités du latin du nord. § 49. — Jusqu'à la GuerreSociale, toute l'Italie du Sud reste donc foncièrement soumise à l'intinence osque, et le latin, sur les quelques points où il est arrivé à pénétrer dans les masses profondes de la population, au nord du Volturne par exemple, affecte un caractère diamétralement opposé à celui qu'il avait pris dans le nord, particulièrement sous l'action des dialectes de l'Ombrie. Lorsqu'on trouve par exemple sur une inscription l'impératif facitvd, comme sur CIL., I, 813, celle-ci se dénonce aussitôt, quel que soit d'ailleurs le lieu § 49. - 134 - d'origine, comme due à un Italiote du Sud ; seul Tosque/r/c- tud, Tab. Bant., 1.9, cf. licitud, amiricatud, etc., est capable de justifier cette forme, puisque c'est seulement en terre osque que -ôd passe régulièrement à -ûd. Dans le nord on aurait *facilu, cf. on^hviQu feitu, fertn,habitu, etc. Quelque- fois l'osque borne son action à maintenir -d final du latin archaïque. C'est ainsi que Larinum, chez les Frentans, aban- donne dans la seconde moitié du iif siècle la légende grecque de ses monnaies AAPixnx et la remplace, à partir de cette époque, par le génitif latin ladinom, un peu plus tard par l'ablatif i.adinod ; un type fréquent représente Pallas à droite du côté face et un cavalier armé du côté pile, avec la quincunx indiquant la valeur, cf. Friedlander, Osk. Mûnzen, IIP, p. 42-43. Cet ablatif ladinod est, non pas osque comme le croit Friedlander, mais latin, ainsi que l'a démontré Mommsen, Unterit. Dial., p. 108, et il figure sur ces monnaies aussi longtemps que Larinum jouit du droit de frappe, c'est- à-dire jusqu'au i'-"'" siècle. Donc, -f/ final s'est maintenu dans le latin du Samnium pendant toute l'époque républicaine ; c'est naturellement le contact de l'osque qui l'a maintenu si longtemps. En Campanie, où l'élément romain était infiniment plus nombreux que dans le Samnium, la fusion des deux lan- gues fut naturellement plus intime et surtout les particularités contractées dans cette région par le latin furent beaucoup plus persistantes et plus profondes. Nous avons déjà eu l'occasion de montrer que beaucoup d'entre elles subsistè- rent même après l'époque républicaine et que quelques-unes arrivèrent jusqu'aux patois modernes du royaume de Naples. Sous l'Empire, le langage de Trimalchion dans Pétrone nous donne une idée assez exacte de ce que devait être le latin parlé alors dans les villes grecques de la Campanie ; dans les campagnes, l'élément osque devait être infiniment plus consi- dérable. Si l'influence osque s'exerça largement sur le latin de l'Italie du Sud, la pénétration de l'osque par le latin ne fut pas moin- dre et il est curieux de suivre sur les monuments l'histoire de cette lente décomposition du vieil idiome italique sous les envahissements successifs de la langue, des institutions et des mœurs romaines II y a longtemps qu'on a reconnu un lati- nisme dans le Niumeriis « Numerius » de la statuette votive de IJocca :\sprnmon(e, près de lîovianuni ; la forme osque — 1:5.') - 5< :)0. primitive de ce nom est N i ums i s, N'.'j;x(70'.r,[ç. Une inscription de Capoiie, Planta, n" V.M, porte ùinlveresim dont les rapports phonétiques avec le latin ûniiiersus restent inexpliqués mal- gré tous les efforts que l'on a faits pour justifier le vocalisme interne du mot à l'aide de la phonétique osque, cf. Planta, Gramm., § 127, p. 250 et § 132, p. 258. La vérité est que ûiniveresfm, si cette lecture est exacte, est purement et sim- plement un emprunt direct au latin'. L'inscription mentionne le meddix de Capoue ; elle doit donc logiquement être anté- rieure à l'année 211 avant notre ère, c'est-à-dire à l'annexion de Capoue à l'Ager romanus ; cf. toutefois les restrictions chronologiques apportées à cet égard par Biicheler, Rhcin. Mus., XLV, 170. De toute façon, on peut admettre sans témé- rité que dès le ii" siècle l'osque commençait à s'altérer au contact du latin. Le fameux: praefucusAe la Table de Piantia ne saurait être en tout état de choses, qu'une déformation du latin praefectits'; de son côté aidil, comme La montré Bronisch, Die osk. i- iind c- Vok., 168, est un emprunt au latin ; la forme osque eût été *aïf-. Sous l'empire, l'ortho- graphe et sans doute aussi la prononciation osques se sont à ce point altérées qu'on peut lire le caractère o sur un graf- fito du mur extérieur de la casa del Poeta tragico à Pompéi, Mommsen, Unlerit. Dial., Taf. XI, 31 a. § 50. — La Campanie fut, à tout prendre, peu touchée par la tempête soulevée en Italie par la Guerre Sociale. Sans doute, elle entra dans la ligue samnite et même les conjurés portèrent tout d'abord leurs efforts contre les nombreuses colonies romaines de ce pays. La lutte entre Papis Mutil et 1. Planta, II, p. 6o3, conteste aujourd'lmi, avec des arguments épi- graphiques qui paraissent sûrs, la lecture l'iiniveresim de Biicheler. 2. On préfère aujourd'hui expliquer praefucus, ainsi que faciis comme des formes osques d'origine, soit facus =^* fa/ajos, Planta, I, § 175, p. 355; II, i:; 2(il, 3, p. 14, cf. Bugge, Zeitsch. vergl. Spvnchf., II, 383; III, 425 sq. On peut bien admettre en osque un participe par- fait en -ns-, par exemple sipus = * sëp-us- et de même sans doute *flcNS = * fùk-us- ou* fefacus = scr. dadhià-, grecTsOîizuîa, mais un parti- cipe passif en -nos, -us nous parait une invention toute gratuite. Nous nous en tenons donc à l'ancienne explication de d'Ovidio ; praefucus surtout nous parait probant ; c'est un emprunt au latin au même titre que aidil par exemple. Que d'autre part l'analogie de * ficus, sipus et des adjectifs en -us pour -nos ait contribué à déformer le latin prae- fectus, factiis, la chose est non seulement possible, mais extrêmement vraisemblable. ^ 50. — 1:50 — Lucius César y fut sanglante, mais les Campaniens propre- ment dits ne paraissent pas y avoir joué un rôle bien actif; ils se bornèrent en général à ouvrir leur pays aux Samnites et à assister, un peu en spectateurs passifs, aux combats qu'on se livrait chez eux. Appien désigne bien comme Campa- nien de nation un certain Gutta parmi les chefs italiotes ; Cluentius et de même Marins Egnatius étaient peut-être Cam- paniens, mais on ne nous dit nulle part, du moins pour autant que nous avons pu nous en assurer, que la Carapanie eut des députés à la diète de Corfinium. En somme, le mouvement semble avoir été accueilli plutôt avec froideur par les Osques à moitié hellénisés de la Campanie; le pays était trop riche, le peuple trop raffiné et trop amolli pour que l'idée samnite d'une nationalité italique pût y trouver un écho bien enthou- siaste. C'est pourquoi, la guerre finie, les Campaniens eurent peu à souff"rir des représailles de Rome qui sut leur tenir compte de leur demi-fidélité et de leur empressement à désar- mer. La situation du pays redevint donc à peu près ce qu'elle avait été ; l'exemple de Pompéi, qui fut enlevé de force par Sylla, Vell. Paterc, II, 16, et dont plusieurs quartiers, avec les terres qui en dépendaient, furent ensuite attribués aux vétérans du dictateur, est exceptionnel. En général, la popu- lation fut à peine inquiétée et ne reçut guère de nouvelles colonies, auxquelles du reste ces régions particulièrement populeuses n'eussent off'ert que des territoires d'une insuffisante étendue. C'est ainsi que dans la Campanie l'osque acheva len- tement, durant l'Empire, de s'éteindre peu à peu, sans convul- sions violentes, tandis que, de son côté, le latin continuait tranquillement l'évolution dialectale commencée dès les pre- miers temps de la République. Avant qu'une assimilation entre les dialectes locaux de cette région et le latin général des autres parties de l'Italie devienne possible, il faudra attendre que les derniers vestiges de la langue osque se soient effacés et que le temps ait à la longue fait oublier les vieux souve- nirs des origines. La Campanie constitua ainsi, pendant la plus grande partie de l'époque impériale, un îlot linguisti- que nettement caractérisé et spécial au milieu de la mer latine où s'étaient partout ailleurs fondus les autres dialectes locaux de l'Italie; encore l'assimilation fut-elle et 156, fixait jadis les années 129 à 118 av. J.-C. ; il con- sidérait, il est vrai, la partie osque comme correspondant à la table latine et par conséquent comme contemporaine. KirchhofF, Stadti-echt von Bantia, p. 93 sq., fixe 181 à 90 comme limites extrêmes, tandis que Bronisch, Die osk. i-itnd e- Vok., p. 10, sans raisons suffisantes à notre sens, s'arrête à l'année 131 avant notre ère. L. Lange enfin, Die osk. Inschr. de?' Tab. Bant., dans Kleinere Schrift., I, 223, s'appuyant surtout sur des arguments juridiques, déclare que le texte osque peut dater de l'an 90 mais ne saurait guère être posté- rieur à cette date. Assurément, si l'on admet qu'après la Guerre Sociale il n'existe plus, dans toute l'Italie, de textes officiels sinon en latin ; mais si l'on songe à la situation toute spéciale de la Lucanie et si l'on veut bien admettre qu'excep- tionnellement certaines cités lucaniennes, de même que Tarente, Rhégium, Naples et en général les villes grecques, cf. Strabon, YI, i, 2, conservèrent l'usage de leur langue natio- nale dans l'administration intérieure, ces prémisses cessent d'être exactes et la rédaction osque de la Table de Bantia peut être placée après les années 90-82. Dès lors tout devient clair. D'abord l'emploi des caractères latins et surtout l'orthographe déplorable, les fautes nom- breuses du texte osque prouvent une époque de décadence ; l'idiome national est ici conservé sans aucune tradition littéraire ; une longue période d'anarchie linguistique a du précéder, pendant laquelle les formules anciennes se sont quelque peu oubliées ; peut-être la table n'est-elle qu'une copie écourtée de textes plus anciens rajeunis et transcrits en lettres latines, l'alphabet national étant tombé dans l'oubli sans que l'on fût encore beaucoup plus familier avec l'ai- phabet latin. Des erreurs telles que sansae pour bansae montrent clairement la nature de ces hésitations. Quant au texte latin du verso, nous croyons avec Bréal, Mém. Soc. Ling., IV, 399, qu'il ne dépend pas, directement du moins, du texte osque ; c'est une ancienne loi imposée par les Romains avant la Guerre Sociale, dénoncée ensuite par les Bantins et utilisée après la guerre sur son verso pour la rédaction du texte osque. Car sur ce point du moins tout le monde à peu près est d'accord, à savoir que la partie latine est antérieure à la partie osque. Or, comment expliquer que le latin, une fois devenu langue administrative de Bantia, ait ensuite cédé la place à l'osque, sinon par les révolutions et les changements survenus en Italie par suite de la Guerre Sociale? On objec- tera peut-être que rien ne prouve que la table latine ait été écrite à Bantia et rédigée à son intention ; Mommsen admet- tait en effet dans le temps que la partie osque aussi bien que la partie latine avait été gravée à Rome. Mais, outre que le transport de tables de bronze — dont le nombre et le volume devaient être considérables, car on ne saurait perdre de vue que nous n'en avons conservé qu'un court fragment — devait présenter des difficultés dont il faut tenir compte avant de formuler, gratuitement d'ailleurs, une hypothèse de ce genre, on trouverait aisément dans le texte latin telle ou telle parti- cularité orthographique ou épigraphique qui dénonce une origine provinciale et notamment méridionale. De plus, l'iden- tité de certaines formules dans la partie osque et dans la partie latine ne saurait être mise sur le compte du hasard, comme le demande Bréal, loc. cit., p. 399 ; ces identités sont trop fréquentes et d'ailleurs le style général est trop sem- blable dans les deux textes pour que ceux-ci ne se trouvent pas mutuellement dans une dépendance quelconque. Le texte latin appartient sans nul doute à un ensemble de lois et de prescriptions anciennes, dont quelques-unes, conservées par les Bantins après la guerre, auront seulement été rema- niées et modifiées dans la rédaction osque ; donc, nous possé- derions, dans la partie osque, des fragments provenant de la même source que le texte latin, calqués sur les anciennes ordonnances romaines mais accommodés à une situation politique nouvelle. Ceci posé, il ne reste qu'à constater que la partie latine est datée par nos épigraphistes contemporains de G21 jusqu'à 636 de Rome, soit 132-117 avant J.-C. Comme il s'agit d'une inscription provinciale, on fera peut-être sagement de descendre encore un peu, de quinze ou vingt ans environ, les dates fixées d'après les caractères généraux de l'épigra- phie romaine. On arriverait ainsi à l'an 100 environ, donc à une époque peu antérieure à la Guerre sociale. La partie osque, que l'on s'accorde à considérer comme postérieure à la partie latine, se place désormais d'elle-même après le grand seule- ment italiote, soit pendant la durée des hostilités, soit plutôt, en considération de la nature du texte, après le rétablissement de la paix. Le plus vraisemblable serait ainsi de placer la rédaction de la Table de Bantia dans sa partie osque après l'abdication de Sylla, vers les années 79-77, peut-être durant les quelques mois d'apaisement qui marquèrent le commen- cement du consulat de Lépidus. Nous n'attacherons certaine- ment qu'une faible importance à ce fait que la partie latine présente des voyelles géminées, alors que celles-ci sont repous- sées scrupuleusement dans la partie osque ' ; or, la gémina- tion des voyelles cesse dans toute l'Italie vers l'année 75 avant notre ère, cf. Garrucci, Dissertaz. sui canoni epigr. Nous ferons seulement observer qu'au point de vue purement linguistique des formes telles que zicolom, zicolois de *d]ikolo- et facua pour le latin factiis - nous paraissent admissibles tout au plus pour l'époque de Pompée ou de César, en aucun cas pour une époque antérieure. § 53. — Il résulte de tout ceci que la langue osque, après la Guerre Sociale, reste encore très vivace en Campanie et dans quelques territoires isolés desLucaniens. Ailleurs elle a, non pas absolument disparu, mais perdu du moins toute vita- lité et dès ce moment on peut escompter sa mort prochaine. Elle déserte le Samnium, la Lucanie presque entière, les régions du Bruttium et de l'Apulie qu'elle occupait jadis ; déjà elle se dissipe comme se sont dispersées à travers l'Italie les 1. (7est pourquoi, pour le dire en passant, nous ne saurions sous- crire à la correction de deivatvns. 1. 9, en deiuatuua comme l'a pro- posé Bréal. 2. Thurneysen, Indo-germ. Fo7:\ VerschiecL, p. 40. 1. La division du territoire français en départements est la seule mesure qui ait réellement préparé, sous le régime révolutionnaire, Tunité linguistique du pays. 2. Pour autant que nous avons pu nous en assurer, les génitifs en -us n'appai'aissent guère en Omhrie. Ce vocalisme n"a jamais réussi à s'implanter hii'ii prdfundi'nient rii Halie où (railleurs il a coniuiencé - 153 — ii 57. Après César, à ravènoment du ré^'imo impérial, la naliona- lité italique est, avons-nous dit, définitivement constituée. Les divisions successives de l'Italie en régions sous Auguste, en provinces sous Dioclétien, en vicariats sous Constantin n'ont guère qu'un caractère purement administratif et politique. L'ethnographie générale du pays se trouve ainsi fixée et ne sera guère remaniée, pendant toute la durée de l'Empire, que par des établissements individuels des Barbares, leur admis- sion dans les légions, dans les corps politiques romains, dans les emplois publics. Cet afflux continu d'étrangers en Italie, cette invasion lente du pays par une foule d'éiéiuents hétérogènes venus de tous les points du monde romain, ces échanges constants entre l'Italie et les provinces durant les quatre siècles du régime impérial modifièrent néanmoins assez profondément les caractères linguistiques de l'Italie. Les réactions ainsi exercées par les extrémités du colosse romain sur le cœur de l'immense empire, sur l'Italie, furent considérables; elles furent efficaces précisément parce qu'elles furent insensibles mais continues. Leurs eff'ets prirent en quelque sorte une direction naturelle, une marche normale et sûre qui, sa-ns qu'il y parût, devait contribuer, mieux que les invasions, les déportations, les translocations et toutes les autres mesures violentes de l'ancienne Rome, à unifier peu à peu tout le monde romain, à italiser les Bar- bares et à assimiler les Italiens aux provinciaux. Au moment des invasions germaniques et de la dissolution de l'Empire, on peut dire qu'il n'existe plus à proprement parler de diff"érencos bien essentielles entre les divers peuples de l'Etat romain. La civilisation est sensiblement la même en Gaule et en Italie; l'Afrique possède les mômes institutions, les mêmes écoles que l'Espagne. La langue est à peu près identique partout; partout, du moins en Occident, ce sont les lettres latines que cultivent, avec un zèle de néophytes, ces nouveaux Romains ; partout, des traditions communes unis- sent tous ces peuples entre eux, les groupent autour de Rome, constituent vraiment une seule et même nation. Il y a des refrains de soldats, des chansons vulgaires en vers rythmiques que les populaces des villes et les bonnes gens des campagnes trop tard à se répandre, à une époque où le génitif tout entier était déjà branlant et caduc. ;; ÔS. — 154 — répètent d'un bout à l'autre de l'Empire, qu'on redit dans une tradition séculaire après le passage des légions, aux étapes des courriers, sur l'itinéraire des agents voyers en inspection ou des collecteurs en tournée, sur les pas des étudiants che- minant par bandes vers Rome ou Athènes, au long des routes suivies par les malades, clients des eaux d'Aquae Sextiae ou d'Aquae Apollinares. Depuis Hadrumète et Leptis en Nu- midie jusqu'à Cologne ou Augsbourg, depuis Tomes sur la mer Noire jusqu'à Gabès sur l'Océan, ce sont les mêmes expressions qui circulent, les mêmes rythmes que l'on entend dans les marches de voyageurs et dans les rondes d'enfants ; il y a comme un courant intime et continu qui traverse, anime, dirige tous ces membres épars du corps romain; il y a ici quelque chose de plus qu'un simple conglomérat de races soudées ensemble par le ciment instable de la politique. L'unité de tous ces peuples est devenue quelque chose de réel et d'intime; Rome, en quatre cents ans, est parvenue à créer une grande nation d'Occident comme elle avait déjà fait une nation italique, et bientôt on pourra dire, avec Rutilius Namatianus au commencement de ÏJtinéraire, que (c Rome a fait une cité de ce qui était auparavant l'uni- vers ». § 58. — A l'avènement d'Auguste, ce lien étroit, cette com- munauté de langue, de traditions, de mœurs n'existe encore que pour les classes lettrées de l'Empire. A Carthage, à Cor- doue, àNarbonne, à Lyon, dans les centres officiels, dans les sociétés mondaines et artistiques, on parle le latin de Rome et l'on .s'efforce de l'articuler sans accent, de le manier avec toute l'élégance des beaux esprits de la capitale, cf. Cic, Pro Arch., X, 26 : Corduhae natis poëtis pingue (/iiiddam so- /ia?iiibus, etc. Mais, comme nous l'avons déjà exposé au début de notre étude, voir plus haut, p. 02 sq., il est impossible d'admettre que, dès cette époque, la latinisation des classes populaires et surtout des populations agricoles ait dépassé les limites de quelques empiétements partiels sur les idiomes de certaines tribus, voisines immédiates des grands centres ro- mains. Aussi l'opposition entre les provinciaux et les Italiens est-elle nettement marquée. Pliue, Ep. IX, 2:3, demande à son correspondant, Italiens es an provincialis ? Le sentiment de l'unité ilaliquc ne s'en affirme que [)lus vivement à l'en- - 155 — ^ 59. contre des provinces; nalione Italus, CIL. X, 1967; Itnlici dues, CIL. VII, 1095; Italka uerna, CIL. VIII, 4283 devien- nent des expressions courantes sur les épitaphes, des titres d'honneur pour le défunt ; les esclaves même mettent leur gloire à être d'origine italique et non de naissance barbare. Virgile, auxiliaire de la politique panitalique d'Auguste, use et abuse des mots Italac (jenles, cf. Aen., VIT, 85; halo san- guine, ib., VI, 762, et autres semblables. Ce qui constitue principalement, à partir de César et d'Au- guste, l'unité de l'Italie, c'est, avons-nous dit, l'unité de plus en plus accentuée de la langue latine. A part les villes grec- ques et messapiennes, les régions frontières de la Cisalpine, le centre et le nord de l'Étrurie, une partie de la Campanie et çà et là quelques îlots de population restés fidèles à la langue osque, quelques points isolés dans le nord où la tradition om- brienne n'est pas encore complètement éteinte, le latin est à présent la langue générale de l'Italie ; il a fait la conquête de la péninsule, s'est étendu peu à peu au-dessus des anciens dia- lectes et des vieux patois locaux qui ont été nivelés, et il appa- raît presque partout comme un idiome sensiblement uniforme, sinon très homogène et très rigoureusement fixé. Quintilien, Inst. Orat., I, v, 56, déclare que, de son temps, on parlait dans toute l'Italie le même latin ; il reconnaît cependant, ihid., XI, III, 31, que les Italiotes se dénoncent encore par leur pro- nonciation et leur manière de s'exprimer comme on discerne les métaux d'après leur son. L'expression « langue italique » au lieu de « langue latine », que nous avons vue apparaître dans la littérature dès l'époque de la Guerre Sociale, se répand de plus en plus. A propos du vers de A^irgile, Aen., I, 109: Saxa uocant Itali mediis quae in fluctihiis Aras, Sorvius remarque que halos aliqui non qui in Italiam nati sint scd qui latine loquantur accipiimt. C'est ainsi qu'au \if siècle Arnobe, dans ses Disputaliones aduersus gent.es, emploie fré- quemment la locution italus sermo, IV, 13; Euhemeri libcllos Ennius sermonem in italiun translulit, IV, 29, etc. § 59. — Ce latin italique, tel qu'on le parle dans le peuple au début de la période impériale, est naturellement encore très loin de la régularité et de l'unité parfaite de la langue littéraire. Ayant à sa base les dialectes jadis exclusivement en usage dans les régions de l'Italie du Nord, il est encore tout ;; 59. — lôn — imprégné de formes provinciales, regorge de locutions, de mots, de flexions d'origine italique, se dénonce tout de suite par sa prononciation comme un idiome bien distinct du latin classique de Rome. C'est ainsi que les habitants de la capitale et en général les lettrés disent toujours oportet, necesse est pour exprimer l'idée du verbe français « il faut ». Mais le peuple d'Italie et les colons des provinces disent sans doute caref pour « il faut », d'après l'osque kasft sur des inscrip- tions de Capoue. Ce kazit, caret « il faut » intéresse la séman- tique romane, ainsi que l'a déjà fait observer Planta dans une communication orale à la Société de linguistique de Paris, cf. Bulletin, XLIV (1897), p. xv : en effet, lorsque fallere succède à carére, en Gaule par exemple, caret devient fallit : de là le français il faut. Le même contraste existe, dès le temps de César et d'Au- guste, entre la prononciation urbaine de Rome et celle du peuple d'Italie. A Rome et dans les sociétés lettrées, on con- tinue de prononcer, d'après la tradition antique, dekem,kihus, macjister, gerô ; dans le langage vulgaire de l'Italie au contraire, ainsi que nous espérons le démontrer tout à l'heure, on articule dès l'époque d'Auguste presque partout dece, ciio, majiste[r), jero. Suétone, Oct., 88, parle d'un officier du palais qui déplut à Auguste parce qu'il articulait isse au lieu de ipse ; c'était la forme vulgaire. On retrouve cet isse, issu, issa sur les inscrip- tions de Pompéi, cf. aussi Frohner, Rhein. Mus., XIII, 148. Or, à cette époque, l'assimilation de ps est tout à fait excep- tionnelle en latin vulgaire ; si elle apparaît si prématurément dans isse, c'est qu'il y a ici en réalité un pronom italique en jeu bien plus qu'un pronom purement latin. L'osque possède essuf. Planta n" 188, esuf, Tab. Bant., l'ombrien essu, Tab. Eug., VI a, 43, eso, \\ a, 8 ou isoc, YIl b, 3, etc., qui cor- respondent phonétiquement au latin ipsc, quelle que soit d'ail- leurs l'origine de celui-ci'. L'influence latine s'exerce en om- brien tant sur la voyelle radicale isoc, isir, iso, etc., à côté de eso, esu, esoc, csir, etc., que sur la consonne: dans sepsr, 1. Brugmann, Grundr., II, 770, pose * i-pe-so comme primitif do ipse, cf. aussi Lindsay, Lat. Lang.. p. 441. Mais l'osque essuf semble bien montrer qu'il n'y a jamais eu de voyelle entre p et s, puisque c'est seulement pu primitif (|ui passe à .s-.s-, tandis que ps résultant d'une syncope, subsiste en osque et se réduit seulement en ombrien : osq. ûpsannam, ombr. oaatii. Nous croyons donc cpie/Mv dans ipse est à l'origine une particule invariable de même que jitr. soit * is-pse. cf. — 157 — ^ ."iO. Tab. Eiig., VI b, 11, nous ne pouvons en effet nous empêcher de voir, avec Huschke et Bûcheler, une analogie avec ipse et sa famille, cf. sapsa dans Festus, etc. Seulement, nous ne croyons pas à une parenté directe, mais bien à une simple réintroduction de ps au lieu de ss dans * sesse peut-être parent du fameux seso * de la table YI b, 51 ; le latin ipse, à tort ou à raison, aura préoccupé le graveur qui aura vaguement cru reconnaître quelque parenté entre les deux formes. Inverse- ment, l'ombrien isso, « celui-ci, celui » a troublé de bonne heure le consonantismo du latin ipse. Ce qui prouve que issc du latin vulgaire est complètement sous la dépendance du pronom ombrien, c'est son emploi en tous points corres- pondant à la syntaxe ombrienne de ce pronom, c'est la place prépondérante qu'il prend aux côtés et au détriment des autres déterminatifs. La fréquence de issu, su en Sardaigne et en Espagne, cf. aussi, outre les formes romanes, les nombreux IPSE des inscriptions espagnoles, montre que ce pronom hybride appartient au latin vulgaire le plus ancien. Plus le latin vulgaire est ancien, plus il contient naturelle- ment de ces vieilles formes dialectales, plus il fourmille d'italismes, plus il est encore imprégné de pérégrinité italique, plus il est loin du latin classique. C'est à la longue seulement, à la suite d'une lente évolution, d'une sorte de drainage con- tinu que ces débris innombrables des vieux dialectes et des anciens parlers de l'Italie furent peu à peu retirés de la latinité vulgaire, tandis qu'un courant de formes littéraires l'irriguait continuellement, la purifiait, la façonnait peu à peu à l'image du latin classique. L'unité du latin vulgaire, son identité presque absolue avec la langue écrite, telle qu'elle nous appa- raît vers la fin de l'Empire, au seuil de la période romane, a été avant tout l'œuvre du temps. C'est à peu près avec le ii'' siècle avant notre ère, peu après Hannibal, que le latin officiel de Rome commence à exercer son action sur la langue vulgaire, et cette influence, de plus rês sapsa (:= primit. * sa-pse), dans Ennius et Pacuvius d'après Festus s. V. aas. — Remarquons d'un autre côté que l'osque essuf, esuf exclut toute idée d'un rapprochement entre l'ombrien es^u e.m et les pronoms osqueseksuk, exac, ainsi que l'admettent quelques-uns, cf. sur cette question Mohl, Le couple roman lui : lei § 20. 1. Danielsson, AUifal. Stud., III, 156 sq., pose l'identité de l'ombrien seso avec sueso, svesu ; il reconnaît, lui aussi, dans la seconde partie de ce composé, le pronom * esso, eso := lat. ipsxDi. ^ ()0. — 158 — en plus considérable à mesure que radniinislration centrale devient elle-même plus forte et plus régulière, prend à partir d'Auguste les proportions d'un complet renouvellement de la langue. 11 faut bien remarquer en effet que l'unité du latin vulgaire que nous trouvons à la base des langues romanes n'est qu'une conséquence de l'épuration progressive de la langue parlée par la langue écrite. Sans l'action exercée par le latin littéraire, l'idiome populaire aurait continué de se développer librement et, loin de présenter cette incontestable unité où il nous apparaît dès le ii" et le iii° siècles do l'ère chrétienne, il eût continué de se morceler en dialectes indé- pendants. Ainsi, sans le latin littéraire, les langues romanes fussent nées quatre ou cinq siècles plus tôt. Car c'est bien désormais le latin de Rome, la langue des magistrats, des préfets, des consuls, du Sénat romain que partout les peuples prétendent comprendre et parler ; c'est lui seul que l'on s'efforce d'écrire et d'imiter; c'est lui la seule règle, la norme unique, et c'est lui qui, durant des siècles, parvint à contenir, à arrêter dans son éclosion cette immense fermentation de dialectes locaux qui, aussitôt l'Empire ébranlé et caduc, éclatera de toutes parts dans le monde romain. § 60. — C'est donc une erreur grave de considérer, comme on l'a fait jusqu'ici, l'unité du latin vulgaire comme un fait pri- mitif et essentiel et de regarder uniformément toutes les diver- gences entre le latin vulgaire et le latin écrit, tous les écarts d'unité quels qu'ils soient, présentés par telle ou telle forme dans telle ou telle région, comme développés postérieurement à la période d'unité. La plupart du temps, il faut précisément ren- verser les rapports si l'on veut réellement atteindre une théorie répondant au développement historique do la langue. Il est vraiment trop facile de prendre toujours indistinctement l'état du latin littéraire pour base première de toute étude sur l'idiome vulgaire et il faut avouer que la chronologie ordinaire des roma- nistes est trop enfantine pour être scientifique. C'est ainsi que pour la diphtongue au par exemple, on admet, sur la foi du latin classique, que la diphtongue était, k cette époque quelque peu chimérique d'unité parfaite qu'on nous dépeint, universelle- ment conservée dans tous les pays, dans toutes les provinces, dans tous les districts de la Romania depuis le Tage jusqu'à l'Hèbre. S'agit-il d'expliquer l'italien udiro ou le roumain — 159 — ^ ()0. urcchie, on ne s'embarrasse pas pour si peu et, la théorie à la main, on déclare que au atone a passé directement à w en Italie, en Rhétie et dans les pays daces ; on croit avoir tout dit quand on a comparé le soi-disant dudio: * ndti^e au latin classique claudô : inclûdô qui n'a en réalité absolument rien de commun avec le phénomène en question ^ Comme il n'y a pas de solution de continuité appréciable dans le domaine géographique de u pour au atone, il faut bien dater le phéno- mène d'une époque au moins antérieure à la colonisation de la Rhétie et le considérer comme issu de l'Italie centrale à une date plus ancienne encore. Dès lors nous sommes ramenés à l'ancien latin italique et à une tendance générale du vieil idiome à réduire, sous l'in- fluence des dialectes de l'Ombrie et du Latium, au atone à ô. La vieille diphtongue oe a su])i vers la même époque un sort assez analogue, à cela près que la langue classique n'a pas sauvé oe comme elle a restauré au caduc. La diphtongue oe atone passe à ou, ù après l'introduction des premiers emprunts grecs; de là pôena : jmnire ; Pùeni: pûnicoruni; môenia: mûnire. Plus tard û pour oe est étendu même à la diphtongue tonique, excepté après labiale : cûrô, cura, mais moeror, foedus, etc. ^ On conjugue à ce moment /J^m^re ; * pôcniô ; d'où, par fausse analogie, * obûdïre : obôediô. Toute autre expli- cation de oboediô, et Dieu sait qu'il n'en manque pas', s'infirme d'elle-même par le seul fait qu'elle ne reconnaît point dans oboediô un composé de date historique de audiô. Pour la diphtongue au, la loi primitive du vieux latin 1. Le vocalisme claudô : inclûdô dépend uniquement de l'intensité des syllabes initiales et de l'affaiblissement des médiales. Comme l'a montré Louis Havet, Mcm. Soc. Ling., VI, 11 sq., ces phénomènes n'ont, à aucune époque, été en relation avec l'accent tonique. 2. Rien ne nous parait réellement confirmer la thèse de Parodi, Studj liai. fd. class., I, 437, qui pense que oe : û est en relation avec la présence ou l'absence de i dans la syllabe suivante. 3. L'une des explications les plus extraordinaires qui aient été données du latin oltoedio est celle de Broniscli, Die osk. i- und e-Vok., p. 111, lequel ramène oboediô à * ob-uois-duiiô ou * ob-uoidhiiô, où il reconnaît soit un substantif * uo2>, d'une racine *uei>< « emsig sein, wirken », soit une racine * uevVi/i « huldigen, dienen », scr. vedhâs. Schulze, Zeilsch. vergl. Spracli., XXIX, 251, et Solmsen, Lat. Laul., 150 sq., ne sont point satisfaits de * obuoisdui[ô : ils accordent au c^n- traire toutes leurs sympathies à * ôb-auiz-diiô. Ce sont là des jeux d'esprit assurément fort ingénieux, mais qui ne doivent pas prendre place dans la science. 5; 60. — 160 — peut être formulée ainsi: « AU atone devient ô excepté devant ii. «On dit cidudô: clôdêham; mais (t'gi'stus, plus tard agustus, subsiste plus longtemps '. De côdicula, fôctile etc. , on conclut, lors de la restauration classique, à càuda, fàucès avec rt^nllégitime. On disait ârtita pour aurâta beaucoup plus généralement que prum pour aurum, cf. Festus, s. v. orata. L'Appendix Probi Keil, IV, 198, 10, dit encore: Auris non oricla, ce qui signifie que le peuple disait bien ôricla pour aiiriciila, mais nullement * pris pour auris. Si l'on dit, même en latin classique, sôdês pour sï audës, comme le remarque déjà Cicéron, Orat., XLV, 154, c'est que, comme la plupart des formules de ce genre, cette locution se plaçait toujours après un mot, à la manière d'un enclitique et n'avait point d'accent ou pour mieux dire d'intensité initiale. Cf. sur sôf^es Bi'iclieler, Arch. Lat. Lexik., I, 103; Bréal, Mém. Soc. Ling., VIII, 40; Thurneysen, Zeitsch. vergl. Spraclif., XXX, 489. Une ins- cription de Pompéi, CIL. IV, 2353, déjà souvent citée, est inté- ressante à cet égard : avlvs-olg-svo-salvtem. On a voulu ex- pliquer Olô à côté de Aulus par l'influence de 6 final; c'est notamment l'avis de Seelmann, Krit. Jahrb. Fortsth. Rom. PhiL, I, 54, et si je ne me trompe, c'est aussi l'opinion de Solmsen; il est plus simple de penser qu'on articulait, avec le premier mot intense : Aûlus OIo suô. . . , avec suô sans doute en- clitique. Le latin impérial réintroduisit peu à peu la diphtongue dans les syllabes atones : mais un certain nombre de mots résistèrent dans quelques régions à cette restauration, le por- tugais orelha par exemple, pour ne citer que celui-là. D'autre part, au fut introduit à tort dans quelques voca- bles : Soru: uel sauri.r, dit ^larius Victorinus, Keil, VI, 26, 7. La forme saurir n'a point de valeur historique, comme le montre le grec ypx;, « souriceau », prototype * suôrak-s (cf. sôp-: jTTvcc). Seulement le latin vulgaire substitue volontiers le sufl^ixe - ce au suffixe -êce ou -ice ; de là * sôrice, franc. souris, pour le classique sorîce, conservé en esp. sorce « raton campesino «, roum. soarice ; cf. * berhice pour iieruêce ou * mûr ICC pour miincc, ladin murisch, « collier de chien armé de clous pointus », d'après la belle étymologie de Horning, Zcilsch. Rom. PhiL, XXI, 449 sq. (cf. pour le sens Stace, 1. Un exemple curieux est Corp. Gl. Lai . V, 348, :J8 : Auciipiiini el acusatio imum. Il faut lire nciipaiio pour (nicnpalio. — 1 fil — ;< 00. AchilL, I, 221: Murirc frciuit, aciito deipliiii/is)\ pour ce suffixe, voir aussi Roman., XXV, 85; Cohn, Suffi.ricandL, 41 sq. Les hésitations entre sorîce et * sôrïce devaient précisément faciliter l'intervention, probablement d'après sawus ou le grec srjpx, d'une troisième forme, saurtce, qui a dû effectivement appartenir au langage vulgaire comme le montre la glose linten: auis {.s)auricaria, Corp. Gl. Lat., V, 272, 48, cf. Scblutter, Arch. Lat. Lex., X, 199; Lowe, Prodr., 344 Sauves: sorices^. Le portugais afouto, esp. hoto représente d'après Cornu, La langue portug., § 33, le latin * fautus au lieu de fôtus. Il s'agit ici encore d'une intrusion illégitime de la diphtongue par suite d'une confusion entre faueû = slav. govrti, armén. gnvcl « louer » et foueô^= skr. dâhajati, confusion qui se manifeste dès l'époque de Tacite, fouëre partes au lieu de fauère parti- bus dans T. Live. Citons également la glose de Placide, III, 402 Mai Futor [= fôtor) : consentiens. Un des pays qui semblent avoir accepté le plus aisément cette restauration savante de la langue vulgaire, c'est-à-dire un de ceux où le latin littéraire se répandit le plus profondément dans le peuple, c'est, grâce sans doute à ses écoles, à son rôle prépondérant dans l'histoire de la civilisation romaine, la Provence. Le verbe ohoedtre, par exemple, j est abandonné pour la reconstruction essentiellement littéraire de la langue ecclésiastique obaudtre, provenç. abauzir. L'Italie au con- traire, où l'ancien latin italique avait naturellement laissé des traces beaucoup plus profondes et plus tenaces que dans les colonies des provinces, se montre plus particulièrement rétive et mal disposée à l'égard des formes littéraires. Elle reste par exemple iidèlement attachée à certains vocables qui, par leur vocalisme, remontent au plus ancien latin dialectal, à une époque antérieure au latin littéraire: tel * cornacla, ombrien curnaco, s'il est vrai qu'il s'agisse d'un vocalisme ancien dans l'italien cornacchia- , en regard du latin littéraire cornlcula, lat. vulg. * cormcla, franc, corneille [k côté du v. fr. cornille), esp. corneja; dans * cornacla on conserverait a primitif non affaibli en i\ il y a peut-être quelque relation analogue entre 1. 11 faut, croyons-nous, corriger Saurcx : sorix, cf. nricx, milex et autres graphies bien connues; saiirefi tit ensuit l'efiet d'un iiluriel. 2. Avouons toutefois que, quoi qu'on en dise, a dans l'ital. rornac- chia nous paraît au moins aussi moderne que celui de cvonara et autres semblables. ilOHL. — Clivonoloyie du Intùt vulgaire. Il < ()0. — 1(V2 — forni.i\ fornicp « voûte » et fornO.r, foniâce « four » \ Le latin d'Italie ne demeura pas moins fidèle à l'ancienne alter- nance du ; o" et la diphtongue n y put guère être réintroduite que dans la Cisalpine et chez les Vénètes, cf. v. vénit. aldirr, laldare, v. milan., oldir, volsà -=^aumre, olcell « uccello », milan, (jadt'', génois oir, etc. ^lais cette restauration dépassa parfois, ici aussi, les limites de la langue littéraire; c'est ainsi que de occidere on conclut à * fiucïderc dans la Cisalpine et en Provence: v. vénit. akidere, v. milan, olcidero, prov. aiicire, franc, ocire'. Dans l'italien central, des mots tels que nuotare « nager », et autres semblables sont tout à fait concluants. Le prototype est régulièrement * nôlarc pour naulare, d'où par extension " nôto « je nage » et par dérivation romane * nqto au lieu de * nauto « natation » : de là niinfo, puis nuotarp, 1. Les anciens nous disent, et l'architecture- le confirme, que la voûte est d'invention étrusque : les Grecs en tout cas ne l'ont point connue. 11 est donc naturel, croyons-nous, de considérer, comme nous le proposons, les deux mots /"orna r et /'or;; /a; comme d'origine étrusque. Ce seraient deux doublets du même mot; l'un est masculin, l'autre féminin, ce qui s'explique parfaitement bien dans l'hypothèse d'un emprunt étranger, surtout à une langue non indo-européenne. Le mot fortax « four à chaux », t'aton, Re Riist.. 38, ainsi que le substantif furnus appartiennent évidemment à la même origine et les hési- tations du vocalisme radical confirment au mieux notre hypothèse. Les Kidturworler d'origine étrusque doivent être en latin extrême- ment nombreux. Sans parler de falae « barrières », Enn., XV, 389, Plaut., Most., n, 1, 10, Nonius, p. 114, 7, qui est bien connu et qu'on a peut-être raison de retrouver dans le f'alns du Cippe de Pérouse, Fa- bretti 1914, cf. a.as,si fa lan do chez Paul Diacre, un des plus curieux exemples est, croyons-nous, forfex « ciseaux » à côté de f'orpcx « te- nailles », Caton, Re Rust., 10: Suet., Ai(g., 75. On peut mettre les hé- sitations entre /'et p sur le com*pte de la prononciation étrusque ; il y eut peut-être un temps où les pédants de Rome affectaient de confondre ces deux sons; de là crassu'ES sur les monnaies de l'édile curule Publius Furius Crassipes. Dans forceps « tenailles », il faut recon- naître le même mot étrusque déformé par l'étymologie populaire d'après l'analogie de aneeps, prliicep-;, etc. — Sur l'ombr. ciirnaco rapproché du grec /.o'pa-aoc, ital. " f;or-n-k-. cf. Brugm.. Gnnidr., II, 204. 2. La forme alciderc s'est même glissée en vieux toscan à côté de la forme normale ticeidere. On a aussi ancUleve comme on ù\?.q.\\. cunlellus et ctdtelliis. Grober, Sidistrale, s. v., ramène à tort aleidere, ni(cidere à un prétendu ahcldcre pour occidere, dont l'existence en latin vul- gaire nous parait des plus problématiques. — La diphtongue an ne peut naturellement, lors de son rétablissement, être figurée i)ar al que là où / finale de syllabe est prononcée dure. Des exemples tels qne pal- ctdis (pai(CKiis) Verg. Maro, L 19, cité par W. Meyer-Lùbkc, Griaidr., 1, 365, inver.sement caucidiix (calciihis). Schuchardt. Vok., II, 49i. sont à cet égard tout à fait clairs. — 163 — i^ (iO. comme on a à la fois ou Vénétie et dans le sud de l'Italie iioro pour mini. Cf. sur nuoto W. Meyer-Liibke, Gramm., I, § 274, qui déclare le" mot tout à fait obscur et paraît songer plutôt à natàre. C'est ainsi également que l'alternance dudiô: * ôdire, puis * dudo: of/ire régulièrement fut conservée en Italie et dans les régions où la colonisation italienne fut prépondérante, c'est-à- dire en Rliétie et en Dacic. Plus tard * odirc passa, sous l'in- lluence de i suivant, à udire comme officium passe à ii/fizio, oboedlre à ybbidire, polirc à pulire, et de même en rhétique et en roumain pour o atone en toute position'. Du même coup s'expliquent en llorentin des formes telles que orecchio, r/o- dorc, posarf dans lesquelles o est effectivement le seul voca- lisme légitime ; au contraire, uccello doit être considéré comme dialectal, ce qu'indique d'ailleurs le traitement anormal de la gutturale, cf. le doublet dialectal xtgpllo, ogello. On voit que nous aboutissons ainsi exactement à l'inverse des conclusions ordinaires, cf. W. Meyer-Liibke, Gramm., I,§354, où l'illus- tre philologue parait toutefois avoir éprouvé lui-même quelque doute à l'égard de la soi-disant réduction spontanée de an à '}{. ; il insinue en effet que, pour le rhétique et le roumain, rintermédiaire pourrait bien avoir été o, mais il a tort de no pas étendre cette possibilité également à l'italien. La seule objection sérieuse que l'on pourrait faire, au point de vue chronologique, à notre manière de voir est le traitement parallèle de an germanique en italien et partiellement en rhétique dans rubare et quelques autres ; mais précisément cette objection tombe à la suite du bel article où Braune, Zeilsch. Rom. PhiL, XXII, 197, a démontré que u dans ces formes est déjà germanique et nullement roman. Constatons d'autre part qu'il est assez difficile de déter- miner jusqu'où a pu pénétrer dans l'Italie du sud la réduction de au atone telle qu'elle se montre dans le vieux latin du nord. Les traitements presque partout divergents qui appa- raissent dans les patois de l'Italie méridionale et la confusion extrême qui y règne sur ce point peuvent nous laisser suppo- 1. Dans certaines régions du Dauphiné, au atone passe de même à o, puis o, finalement v. cf. Devaux, Lanfi. vuh/. Dauph., § 116. Il serait intéressant de savoir s'il s'agit ici d'une survivance locale de l'ancien vocalisme vulgaire ou d'un développement récent, postérieur à la restauration de au atone en Gaule. §61, — KVi — ser que la prononciation du nord ne s'est qu'accidentellement implantée dans ces pays, où i'osque et le grec militaient en laveur de la diphtongue. En sicilien, par exemple, (jodiri, lodari de même que oru et quelques autres sont probablement des importations septentrionales anciennes, car ces form-es sont répandues d'une manière très générale dans tout le sud, orum pour aurum est d'ailleurs attesté par les grammairiens dès une époque très reculée: ce qui n'empêche CiuUo d'Al- camo, au xii'^ siècle, d'écrire régulièrement auro. A prendre les choses dans leur ensemble, il est clair que dans le sud la diphtongue est régulièrement conservée ; la réduction de au atone à o ou mieux a en sicilien notamment est de toute façon un phénomène récent. L'Afrique également — où l'in- fluence du latin du sud est d'ailleurs manifeste sur plus d'un point — paraît avoir toujours ignoré, à quelques rares excep- tions près, la réduction de an. Il faut donc admettre que o pour au atone, dans le latin du nord, ne s'est généralisé d'une manière efficace qu'après la colonisation de l'Afrique et que l'inhuence de la langue littéraire s'est à cet égard exercée d'assez bonne heure pour entraver la propagation du phéno- mène dans le sud de la péninsule. En Espagne et en Gaule la romanisation effective des populations indigènes a en réalité commencé à une époque où le vocalisme classique était déjà redevenu prépondérant dans les centres romains de ces pro- vinces, liemarquons d'ailleurs que la forme littéraire triomphe plus ou moins rapidement de la forme vulgaire ancienne ; l'une et l'autre peuvent rester fort longtemps en lutte ouvei-te avant que la langue ne se décide définitivement à abandonner la forme originelle. Il est arrivé quelque chose de semblable, à l'époque histori(|ue, il est vrai, pour le représentant hispano- portugais du latin flo)\ La forme ancienne est, par métathèse, frol, que les vieux textes préfèrent encore généralement à la forme savante /lor. Aujourd'hui celle-ci a partout triomphé, en I^ortugal comme en Espagne. si ()1. — Nous n'avons insisté si longuement sur cet exem- ple, choisi entre cejit, que pour faire voir plus clairement comment nous entendons expliquer les rapports du latin lit- téraire et de la langue vulgaire et de quelle manière il con- vient en réalité de se représenter l'unité de celle-ci. Un raisonnement logique contirme d'ailleurs, d'une façon à notre — 105 — i^ (i-2. sens indéniable, cette conclnsion que l'unité du latin vulgaire est une œuvre tardive, réalisée imparfaitement et après coup sous la pression artificielle de la langue écrite et officielle. En effet, si l'unité du latin populaire avait existé dès l'origine de la colonisation romaine, il est évident que l'écart chronologique entre le latin des divers pays romans serait infiniment plus considérable qu'il ne Test en réalité. Supposons avec Grôber le latin de Rome introduit comme langue uniforme et sans dialectes proprement dits dans la péninsule ibérique par les conquêtes romaines du uf et du ii" siècles avant notre ère ; supposons le même latin uniforme pénétrant avec d'insigni- fiantes différences chronologiques en Gaule au i" siècle, en Rhétie un siècle plus tard, en Dacie au ii° siècle de l'ère chré- tienne. Le latin uniforme des romanistes aurait eu ainsi quatre ou cinq cents ans d'avance en Espagne sur le même latin dans les provinces daces. En supposant même qu'à Rome et en Italie ce latin fût resté, comme l'admettent les romanistes, à peu près stationnaire (car les divergences chronologiques qu'ils reconnaissent sont, pour un idiome vulgaire purement oral, infiniment minimes), comment, croire qu'une fois implanté en P]spagne, en Gaule, dans les autres provinces, il ne se fût point modifié, n'eût pas pris un caractère plus spécial et plus marqué? A prendre la thèse chronologique de Grober, qui est exacte en principe, rigoureusement à la lettre, il semble que le latin d'Espagne par exemple, ait attendu durant quatre siècles et plus dans une immobilité presque complète que le reste du monde romain se fût à son tour assimilé la langue latine; à ce moment seulement, lorsque la dernière province et le dernier district barbare fut entré dans la Remania, le latin de chaque région se serait réveillé, aurait commencé d'exercer son acti- vité propre, aurait joué sa partie dans l'édification des langues romanes, comme des musiciens partant en mesure à un signal du chef d'orchestre. Ce n'est point ainsi, tant s'en faut, que les choses se sont passées, et les siècles qui séparent les premiers établissements du latin dans les divers pays romans ont été employés, non à conserver une unité primordiale chi- mérique, mais à édifier l'union progressive du latin vulgaire et du latin officiel. § 62. — L'unité du latin vulgaire est donc une œuvre ^ Go. — Kifi — essentiellement artificielle et presque savante. Elle a sa cause principale dans une substitution progressive de la langue littéraire aux anciens patois italiques. Ou ne saurait mieux comparer cette intrusion de l'idiome officiel dans le langage populaire qu'à l'invasion des innombrables formes et locutions savantes qui inondèrent les dialectes romans aux premiers temps du moyen âge. Entre le latin vulgaire qu'on parlait par exemple en Gaule au v" ou au vi* siècle et le français du Saint Alexis ou du Roland, il y a un écart presque aussi considérable qu'entre le latin du Picénum ou du pays marse au temps d'Annibal ou des Gracques et le latin qu'on parlait sous l'Empire au iii° ou au iv" siècle. Presque tous les mots abstraits dans les langues romanes sont d'origine savante, soit que ces mots et les concepts qu'ils représentent aient été primitivement étrangers aux populations rurales qui devaient constituer le fond des nations romanes, soit que pour la plupart ils aient été de bonne heure renouvelés artificiellement et constamment préservés des révolutions phonétiques par l'idiome savant, comme il est arrivé pour le français vérité vfr. verte, occasion vfr. achaison, charité à côté de cherté, etc. Des mots tels que séclu, [h)onorcire, vanitdte pouvaient fort bien être déjà parvenus, dans labouchedu peuple, aux stades *sieil' ou *sil' , *ondrer, *vantét lorsqu'ils furent restaurés en siècle, [h)onourer, vaiiitét, de même que credance dans le Saint Alexis, v. 4, peut signifier tout aussi bien une conti- nuation directe du latin crédentia (ju'une réintroduction savante du mot. Or, il n'y a guère de dialecte ni de patois vulgaire oii ces formes occasion, charité, honorer et autres semblables n'aient pénétré : l'influence de la langue savante a donc été intime et profonde, elle a renouvelé et perfectionné tous les parlers populaires de la Remania. § 63. — C'est l'Église qui, dans les pays romans, s'est faite l'éducatrice du peuple et de sa langue ; c'est elle qui s'est appliquée à charrier les mots savants et les formes litté- raires de l'idiome écrit dans le langage vulgaire et les patois rustiques. Seulement, comme elle ne se proposait d'autre but que de moraliser les masses ignorantes, de développer le cercle étroit de leurs idées en leur enseignant des objets et des concepts nouveaux, ce n'est que par accident et tout à fait involontairement que l'Église est dcveniu' la grande — I()7 — 5; (>:{. rénovatrice de nos langnos modernes comme elle a été l'insti- gatrice des idées nouvelles. La pureté classique, l'élégance des cercles mondains n'estî» pas du tout son fait ; elle se mon- tre au contraire pleine do défiance et de dédain à l'endroit du beau langage et toutes ses sympathies vont à l'idiome vul- gaire, dont les rudesses lui agréent infiniment plus que l'élo- quence fleurie et perverse du paganisme. Saint Jérôme, Epist. XX Ad Eust., s'effraie à la pensée que peut-être il sera damné pour avoir été cicei'onianus non christimius. Cette langue du peuple, l'Eglise s'efforce de l'apprendre, s'essaie, avec Commodien et Prudence, à la parler, se montre partout pour elle accueillante et maternelle ; volontiers elle répète avec je ne sais plus quel évê(iue répondant à un rhéteur de Rome: « Tu parles trop bien pour un chrétien ». Voilà pourquoi l'action de l'Eglise, dans les pays romans, s'est bornée le plus souvent à enrichir le vocabulaire des termes nouveaux nécessités par les idées nouvelles. La grammaire proprement dite, les flexions, les tournures ont en général été scrupuleusement respectées ; les chapitres de la dériva- tion et de la syntaxe ont seuls été touchés dans leurs parties intimes et remaniés pour les besoins d'une civilisation neuve. Mais si l'Eglise eût voulu conserver la langue latine, si elle eût cru devoir étayer et soutenir l'édifice branlant de l'an- cienne grammaire, si elle eût entravé la première évolution des dialectes vulgaires, nul doute qu'elle eût arrêté pour de longs siècles, empêché peut-être à jamais Téclosion des lan- gues romanes, déjà retardée si efficacement par les efforts du latin officiel et de l'administration impériale. On parlerait aujourd'hui, dans l'Europe méridionale, comme il y a qua- torze ou quinze siècles, de simples dialectes du latin et il est probable que le latin continuerait d'être la langue littéraire unique des peuples romans. La stabilité de l'arabe, des lan- gues slaves, des langues romanes elles-mêmes, de l'espagnol ou de l'italien par exemple, qui ne se sont guère modifiés depuis près de mille ans, prouve (|ue rien en somme ne con- damnait réellement le latin à la décrépitude et à la mort. Les langues, pas plus que les États, ne meurent de vieillesse; c'est là un préjugé aussi faux en linguistique qu'en politique. Un Etat bien constitué, comme la Chine par exemple, dont le bon fonctionnement répond exactement aux besoins écono- miques et sociaux du paj's, peut êtra considéré théorique- ^^ ()i-65. — 108 — ment comme immortel ; un peuple ne saurait, suivant la remarque de Laveleye, sentir comme un individu les atteintes de la vieillesse, puisque chaque génération le renouvelle com- plètement et indéfiniment. De même, tant qu'une langue répond aux besoins sociaux et intellectuels du peuple qui la parle, tant qu'elle sait se développer parallèlement au mou- vement général des idées, il n'y a aucune espèce de raison pour qu'elle disparaisse. § 64, — C'est ainsi que le latin, depuis longtemps menacé d'une dissolution complète, parvint à se ressaisir, à se raffer- mir pendant toute la durée de l'Empire. L'agent principal de cette restauration fut l'administration romaine : les fonction- naires, les magistrats, les légats de Rome, les collecteurs et les fermiers des impôts, les recruteurs, les habitants des gran- des villes, tous les individus tant soit peu lettrés ne parlaient guère que la langue littéraire. Il était donc naturel que leur influence s'exerçât peu à peu sur les masses populaires et pénétrât insensiblement leur langage. Or, cette influence devait s'exercer moins spécialement sur les formes gramma- ticales, sur le système général des flexions et des terminai- sons, sur les constructions et la syntaxe, qu'il est assez mal aisé de réformer, que sur le vocabulaire, sur la forme exté- rieure des mots, sur l'orthoépie générale du langage plutôt encore que sur ce qu'on appelle la correction et la régularité grammaticales. Dans la France actuelle, les banlieues urbai- nes, c'est-à-dire les campagnes directement et effectivement soumises à l'influence de l'idiome littéraire, conservent géné- ralement une prononciation et des locutions plus ou moins patoises il y est vrai, mais jamais la phonétique ne s'y avance jusqu'aux phénomènes extrêmes qu'on constate dans des régions situées en dehors de la sphère d'influence littéraire ; les mots, usés par les déformations excessives de la phonéti- que dialectale, sont repris au français des villes ; la plupart du temps même, la grammaire est déjà très sensiblement mo- delée sur celle de la ville voisine. Autour d'Abbeville par exemple, nous avons constaté nous-mème sur un vaste raj-on la prédominance do l'article le sur l'article picard cho qui ne devient réellement commun qu'au-delà de la sphère d'in- fluence de la ville. § 65. — Dans l'empire romain, les foi-nies de la langue — I (■)'.» — ;^ 60. littéraire furent propagées dans les masses populaires par trois voies essentielles : les armées, les écoles, la colonisa- tion avec les caractères particuliers qu'elle prit dans les pro- vinces et que nous nous réservons d'étudier dans un chapitre spécial. Le rôle des armées fut certainement le plus "considérable et il est du reste facile de se le représenter. Dans une société où tout homme adulte et valide est requis par la conscription et passe de longues années dans les camps, en relations avec des individus de toute nationalité, en contact constant avec les autorités, les chefs, les délégués du gouvernement central, on comprend que le service militaire devient en peu de temps l'agent le plus puissant dans l'œuvre du nivellement dialec- tal et de l'unification de la langue. § 66. — En second lieu les écoles publiques, quelle qu'ait d'ailleurs été leur place exacte dans l'administration impé- riale, durent jouer dans l'éducation populaire un rôle d'une importance capitale. Nous avons essayé déjà, au début de notre étude, § 27, p. 67 sq., de montrer combien a été grande la part des écoles romaines dans la latinisation des provinces. Cette influence naturellement s'est exercée aussi, et dès une époque sans doute ancienne, parmi les populations du Latium d'abord, de l'Italie ensuite. Les renseignements nous manquent malheureusement pour déterminer exactement la situation des écoles dans l'an- cienne Rome et il y a à cet égard plus d'une contradiction dans les indications, du reste très vagues, éparses çà et là dans les historiens. C'est pourquoi, comme il nous paraît toujours dangereux de révoquer en doute un témoignage ancien, le plus simple est d'admettre que la place occupée dans la société romaine par l'instruction publique a beaucoup varié dans le cours des siècles et que la situation des écoles par rapport à l'État n'était pas la même sous la République et souslerégime impérial. Qu'il y ait eu de fort bonne heure des écoles, au moins des écoles élémentaires, non seulement à Rome mais dans la plupart des villes de l'Italie, c'est un fait patent et dûment attesté. Tout au début de l'histoire romaine, T. Live, III, 44, nous montre Virginie, la future victime d'Appius Claudius, allant à l'école sous la conduite de sa nourrice et l'on doit con- clure de la description de l'historien que les écoles se tenaient ;< (■)(■). — 170 — alors sur le forum, probablement dans de petites échoppes ouvertes ou même, durant l'été, sous une toile en plein vent. Ce qui est intéressant pour nous, c'est que la jeune Virginie était plébéienne ; il y avait donc à Rome dès lev^siècle avant notre ère et probablement déjà longtemps auparavant, des écoles populaires fréquentées par les enfants des plébéiens. Ainsi le peuple recevait généralement, et cela depuis les temps les plus reculés, au moins une instruction rudimentaire ; les femmes mêmes participaient à ce genre d'éducation et n'étaient donc point absolument illettrées, au moins dans les familles plébéiennes quelque peu aisées ; car il reste malgré ^<'nalo plusieurs fois, supin en -tum. L'accusatif ombrien du thème manu- était donc très sûrement *mano\ La prononciation ombrienne et celle du latin provin- cial de l'Italie du nord suivent donc sur ce point des voies diamétralement opposées à celles du latin littéraire, cf. aussi sur cette question, Schweizer-Sidler, Z/.sr/f. vcrgL Sprachf., XII, 231 sq. A Rome, -os, -om, probablement à l'origine avec ouvert comme ô bref en général, passe à -os, -ôni avec 6 fermé qui se confond bientôt avec u: d'oii l'orthographe bonus, uèrus, plus tard même, à partir de Quintilien, mortuus, serints^. Pourquoi les lettrés de Rome, vers le milieu du iii°siècle, c'est-à-dire au moment des premiers essais des Grecs en langue latine, se sont mis tout à coup à prononcer lupos au lieu de lupqs, et si ce n'est pas uniquement parce que Livius Andronicus et sa troupe de comédiens grecs articulaient ô de lupos comme ils prononçaient A'j/.oç, avec ô : c'est là une question dans les détails de laquelle nous n'avons pas à entrer ici^ Si l'on veut bien se souvenir que ce sont les Grecs qui ont créé le latin littéraire, l'explication de lupqs, lupus par Xjzoç n'a en réalité, croyons-nous, rien de bien extraordinaire. Des faits semblables existent dans toutes les langues du monde et il n'est que trop certain que riniluonce savante s'exerce sur la prononciation aussi bien que sur les formes et la syntaxe. C'est ainsi qu'en bulgare on prononce couramment aujourd'hui ynpaB.iflBaMT. ce au lieu de jnpaïuiuiiMb cc^ d'après le russe, et il y a de même des gens qui prononcent jiB.iaisaM'r. co pour aBaBaMT» co ; pour un peu, la société lettrée articulerait ru'M.ia au lieu de awia. En français, now^^^Tononqows, appendice, pen- tagone, avec e nasal au lieu de a nasal comme dans com- 1. En osque, les thèmes en -u tendent au contraire à passer à la déclinaison en -i; du moins à Bantia l'accusatif de manus est manim ; cf. sur les explications proposées Planta, II, 1^ 279. 2. On remarquera la persistance des graphies vivos, VIVOM, SEru'Os au sing. sur les inscriptions de la Narbonnaise. 3. Aux exemples qu'on cite d'ordinaire pour établir la valeur de ïo grec, on nous ])ermettra d'ajouter le nom des iles OxU'-odos, en latin Ustica. Dans Polybe, VI, 26, la transcription è/tiToaopo'.vàpto; avec o grec et non m en regard de o latin, cf. ôrhine, Grut., 448, 7, ôrdinis, iljid., 502, avec des apex sûrs, n'est pas moins caractéristique. .:< TA. — ISS - tnenlaire, térébenthine, uniquement parce que nous sommes habitués à articuler ainsi dans les classes des mots tels que pendere, appendix, etc. Le passage des finales -os, -om à -os, -ôm, puis à -us, -um, de même celui de -ont à -mit en latin littéraire est probablement lié au passage de 61 devant con- sonne à ul'. mais de toute faron ces phénomènes sont abso- lument indépendants de la loi d'affaiblissement des syllabes intérieures. Si les finales -os, -om eussent participé à la loi d'affaiblissement, elles eussent abouti à -es, -em, puis à -is, -im\ de même colpa polcer, Priscien, I, 27, 12 H., mo'ltai, Lex. Spolet. et autres semblables ne pouvaient s'affaiblir en culpa, pulcer, multae, etc. 11 y a donc une différence absolue entre u pour o dans bonus, bonum, tabula oupuicer, et a pour o dans quaesunius, nolumus ou optwnus, qui n'est qu'un cas particulier de la loi d'affai- blissement, phénomène relativement ancien auquel participe généralement le latin vulgaire aussi bien que la langue clas- sique. Dans le cas de bonus, bonum, tabula, etc., les hésita- tions orthographiques entre u et o traversent au contraire toute la latinité littéraire jusqu'à l'Empire et il y a lieu de croire que la langue vulgaire, tout au moins le latin d'Italie, n'a guère connu dans ces formes, ainsi que nous l'avons dit, que le vocalisme o. Les miroirs de Préneste portent venos, CIL. I, 57, 58 ou vENvs, ib., I, 1501 add. Un socle découvert à Tusculum, CIL. I, 534, porte m-fulvivs-m-f- ; une inscrip- tion identique trouvée à Rome, CIL. VI, 1307 donne m-fol- vivs-M-F. Une plaque d'étain provenant de Tibur a d'un côté PLACENTios, de l'autre placentivs, CIL. I, 62. La lex Acilia repetundarum de 122 avant J.-C. emploie aussi bien tabulas que taboleis, dotulerit ou dctolerit ; les Sententiae Minuciorum de l'année 118 écrivent flouiom et flouium, sin- (jolos et singulos\ la loi Julia de 62 porte encore inmolitom et ainsi de suite. Une pierre de Pompéi, CIL. I, 1253, porte HOC pour lionr. On atteint ainsi sans transition appréciable les grai)hies décidément vulgaires de l'époque impériale qui, de plus en plus nombreuses à partir du ii'' siècle, conduisent insensiblement à répo({ue romane: telle l'épitaphe de Valéria Martiana, inscription païenne de Tarente, Muratori, 1413, 6: C0f//^*//)-I)0LCISSIME I COM-LACRIMIS-P. § 73. — Nous nous croyons donc on droit de déclarer que le — 180 — ^ 1?,. latin du Latiiim et de Tltalie du Nord à l'époque républicaine, et plus tard le latin vulgaire général de l'Empire romain, n'ont connu de toute antiquité que le vocalisme bono, fïlio, colpa, dicont (à côté de * dlcent, forme plus générale dans l'ancien latin d'Italie, voir p. 150). Kluge, Zeitsch. roman. PhiL, XVII, 559, s'appuyant sur les emprunts gothiques, est arrivé de son côté aux mêmes conclusions quant à la finale du nominatif- accusatif. Des mots tels que vein, akeit sont d'ailleurs, à n'en pas douter, infiniment plus anciens en gothique et dans les langues germaniques en général, que la traduction d'Ulfllas. Le latin lâno, nominatif vulgaire, a pénétré en Germanie à une époque où -ô final, confondu avec -a, n'était pas encore tombé, cf. runique horna ace. sing. sur la Corne de Tondern : de là * wina, puis * wln. Le mot pénètre en slave à une époque où déjà le système flexionnel des masculins en -û, neutres en -0 est établi: de là vino. Si on eût prononcé en latin vulgaire îfmu, le gothique aurait * veinu ou peut-être *veinu-s sur sunu-s qui serait resté et l'on aurait en slave * vinii masc. au lieu de vùio neutre. Le fait que le roumain semble conserver le vocalisme clas- sique dans le cas de pulpà, palbere, etc. \ ne nous émeut pas le moins du monde. Le roumain précisément nous montre régulièrement le passage de 6 ou à primitif à u sous l'influence des consonnes suivantes, par exemple devant nasale plus con- sonne. Si donc omp, ont passent à wnp, tint en Dacie, un groupe aussi analogue à ceux-là que l'est olp, oit a pu fort bien suivre, à la même époque récente, le même traitement et aboutir à ulp, vit. On peut même se figurer fort bien que le latin vulgaire * pglpa, avec l pinguis, a dû engendrer tout 1. A côté de pulberc, le roumain possède aussi un mot colb qui si- gnifie « poussière ». Les deux mots sont-ils apparentés comme déjà en latin classique columba et pnluinbcs ? 11 est vrai que colb a tout l'air d'être d'origine récente dans la langue ; mais, si c'est un mot étranger, il ne peut venir ni du slave qui n'offre rien de semblable, ni du hon- grois qui appelle la « poussière » por, ni du turc qui dit j^ toz, ni de l'albanais qui apriihiir. Nous n'osons guère proposer que comme pis- aller l'hyputlièse d'une contamination de * polb-, lat. puliiis, lat. vulg. nomin. * polus * polii par le grec zovi;, romaïque ctx.ovl, dial. zoa-.;, y.ôXi. Reste à savoir si -/.ôl'. a pu engendrer co/6 d'après * polu: *polb, pulbere et si. par suite, colb peut servir indirectement à attester olu en latin vulgaire en regard de ulu classique. i; 73. — 11)0 — naturellement quelque chose comme * po'Hpa devenu insensi- blement pulpà. En Istrie, la liquide a été absorbée dans ce procès phonétique ; on dit pupà. De ce qu'on prononce de toute antiquité en français urs (ours), personne n'a jamais conclu qu'en Gaule û entravé subsiste sans passer par le stade 6 : entre le latin classique nrsu et le français o?/r.s- se place l'intermédiaire vulgaire *orso, ors. Il en est de même du roumain pulhere : entre lui et le classique puluere s'étend le substratum vulgaire *polvere, attesté par les inscriptions et les grammairiens pour toutes les époques de la latinité. Seulement, entre * polvere et *or.so il y a cette différence capitale que le premier est primitif dans le parler vulgaire du Latiura, tandis que le second sort de * ors,o à une époque assez basse de la latinité impériale. La comliinaison ol devant consonne est assurée pour le latin vulgaire au lieu de id dans le cas d'une syncope vocalique, comme dans colpo, solda, etc. ; malheu- reusement le roumain ne fournit à l'égard de ces mots aucun témoignage. Si quelque dialecte offrait * culp pour colpo, 7Si.y.ooz, le phénomène pourrait être chronologiquement daté. Il n'y a d'autre part rien à tirer des formes rhétiques, enga- din piiolpa, puolvra, etc., où la diphtongaison est un fait très postérieur; cf. uors, fiiorn, etc. Le sarde se trouve, quant à la question qui nous occupe, à peu près dans les mêmes conditions que le roumain : il a pulpa et non * polpa. Mais, comme cette langue dit aussi respundlt pour respiondet, * respondit, roumain respunde, fnmza pour frondea, etc., phénomène d'ailleurs très large- ment représenté par les dialectes romans et relativement ancien, cf. Prise, I, 26 H. : « Finîtes ^ro fontes, fvundes pro frondes..., quae tamen a iunioribus repudiata sunt quasi rus- tico more dicta* », l'objection tombe en vertu du même rai- sonnement qu'en roumain. Une forme précieuse est, dans l'ancien dialecte de Sassari, suppultare pour supportâre qui prouve le caractère relativement récent du phénomène. Inver- sement, gortellu pour cultellus classique prouve bien claire- ment, à notre sens, * cortello pour * coite llo en latin vulgaire et null(Mnent * cnltello. Cf. encore aujourd'hui ç/urtedclu en campidaiiion, mais déjà sur le continent ciirliecid.u en 1. L'italien fonte s'appuie sur la prononciation rustique, Tespagnol fuenlc sur la prononciation classique. — 191 - i< 71. calabrais, curtieUo en napol. Il faudrait iiaiurellemeiit plus d'exemples que je n'en ai en ce moment à ma disposition pour établir qu'effectivement ol plus consonne, même d'origine récente, passe à ni en Sardaigne. D'autre part soldo apparaît, dès le vieux sarde, sous la forme soddu : les formes syncopées n'entrent donc point en ligne de compte. Remarquons enfin que le logudorien colora, esp. culehra « couleuvre » atteste claire- ment * colobra vulgaire et non coluber classique: sans être identique au phénomène colpa-culpa, le type coluher-colobra lui est cependant assez analogue pour pouvoir être pris en considération d;ins le débat. § 74. — Il est plus difficile de dire ce qu'il faut penser de la finale -ii dans les types fizu, domnu en regard des pluriels fizos, domnos en logudorien. Comme -ô final subsiste dans la majorité des patois du centre, par exemple amo, Jiapo, cando, dolfo et dolgo « doleo », etc., il est difficile de songer à un phénomène récent. Déjà les chartes du xii'' et du xiii° siècles ont régulièrement -u au singulier des thèmes en -o et en -u, excepté domo « maison » et sera « soir » où il faut, croyons- nous, reconnaître des ablatifs en -ô extraits par cristallisation des expressions iii domô suà, uenif, domô, de domô, sera diêl, sèrô est, etc. Tous les autres dialectes de la Sardaigne, il est vrai, réduisent -o final à -u de même que -e à -i: depu, seru, candii, abi, campid. pisci pour logudor. pische, etc., conformément au vocalisme régnant dans toute l'Italie du Sud '. Dans le dialecte de Cagliari, le phénomène atteint même -0 final protégé, d'où unification de la voyelle dans le type fillii sing, filUis plur. Il y a donc, en Sardaigne comme dans l'Italie méridionale, une tendance très nette de -o, -e en finale à passer à -ii, -^^ 1. Quant aux types sardes en -evi: plur. -eris,par exemple uftiireri : usui'eris, ils représentent directement la vieille flexion indo-euro- péenne des thèmes en -/'o, cf. Streitberg, BeUr. Paul-Brauiie, XIV, 165 sq.; Brugmann, Grundr., II, 155 sq. ; 546 sq., etc. Les nominatifs en -is pour lat. -tus, conservés comme on sait en osco-ombrien, ont passé de bonne heure dans le latin d'Italie et de là partiellement dans le latin vulgaire impérial. Cf. les emprunts gothiques en -areis = lat. -arls pour class. -arius ; c'est également dans un prototype -arîs et non -nrius que se trouve la clé du problème des mots français en -iers, -ier, cf. chap. VI, 1. 2. Des faits analogues existent, paraît-il, en asturien, cf. W. Meyer- ^ 75. — H)-2 — Cette tendance doit être fort ancienne. En Italie, elle cor- respond assez exactement au domaine des dialectes osques et sabelliques. Or, déjà l'osque favorise très nettement le voca- lisme -u, -i en finale, au contraire de l'ombrien qui n'admet guère que -o, -e: cf. osq. auti, ombr. ote, lat. mit, grec aj-'., etc. En particulier, à l'égard des thèmes en -o et -ii, l'accusatif -o;??^ -o est constant en ombrien pour les uns comme pour les autres, ainsi que nous l'avons déjà observé pour trifo := lat. trihum. Il n'y a pas une seule exception à cette règle, ainsi (ju'il ressort de la liste complète des exemples dans Planta, II, § 273, 3% p. 104; § 279, 2°, p. 158; § 274, 4", p. 122, etc. Il en est de même, semble-t-il, pour le volsque, le vestin, le marse. L'osque, de son coté, montre le plus généralement -ii m, -ù [-oni, -o) sur les inscriptions les plus anciennes, notamment -iim d'une façon constante sur la Table d'Agnone. Les textes plus récents accusent nettement un passage de -om, -o final à -um, -u ; des exemples tels que Nùvellum, Planta, n° 129, Capoue; Tirentium Magiium, ihid., n° 130, Capoue; [j,a;j.£p-:'.vo'JiJ,, monnaie de Messine; veru plur. eut. , ]iO\xY*vero, primit. *verà, Planta, nMS, Pompéi, etc. , ne sauraient laisser aucun doute à cet égard. La Table de Bantia, où l'influence de l'orthographe latine est, il est vrai, admissible, écrit -om et -um promiscue, en dépit de toutes les ingénieuses conclusions qu'on a prétendu tirer de ces graphies, cf. Planta, II, § 274, p. 123. Le pélignien semljle également hésiter entre les deux orthographes : hratom, Plantti, n° 246, mto, th., 246 a, mais Cerfum, semunu sur l'inscrip- tion Herentas. § 75. — L'Italie ancienne, unie à l'égard de ol en face de ul du latin littéraire, cf. osque mùltasikad, sur une pierre de Pompéi, Planta, n° 30, molto, mollam, moltas, moltauiti plusieurs fois sur la table de Bantia, ombrien motar « multae » avec absorption de /, latin archaï(iue moltare sur la Lex Lucerina, moltai Lex Spoletina, etc. — était donc divisée en deux régions distinctes quant à l'ancienne finale -om ou -0 : le nord prononçait partout -o sans exception, et de mémo, comme nous l'avons vu, le Latium et probablement la majo- Liibke, Gramm., I, ^ ÎÎ08; mais nous en sommes trop mal informé pour pouvoir en aborder ici la question. — 193 — ^ 75. rite des populations du centre ; le sud au contraire, vers le 11° siècle avant notre ère environ, commence à articuler -um^ -11. Ces faits, corroborés par tout l'ensemble des déductions qu3 nous avons présentées jusqu'ici, suffisent-ils à établir que le latin d'Italie, et par suite le latin vulgaire des pays romans, connaissait uniquement molta à l'exclusion de w??; qvrpvs, Gruter, 1056, 1 ; . Formica non, farmica, App. Prob., Keil, 197, '21 \ furuos et foruos, Hor., Carm., II, xiii, 21 Keller, cf. Stolz, Hist. Gr. Lat. Sp., I, 147. Les autres ô atones au contraire subsistaient probablement en qualité de o: homonas, combifîatu, coiiortus, etc., supposent dans le latin de TOmbrie memoràre, commo- nrre, pôrtarc] la valeur o est sans doute dénoncée par les graphies courtust, Tab. Eug., VI «, 6, à côté de couortns, ib., VII a, 39. Quant à à pour ô tonique, l'ombrien sunitu, Tab. Eug., VII a, 49, alternant avec sonitu, ib., VI b, 60, nous parait bien révéler le même fait que dans le roumain siinà = lat. sunat, biin --= bonus, etc. Inversement, l'ombrien exige ô au lieu de û primitif devant les labiales : somo plusieurs fois pour le latin mmmum, rac. sup-, grec Jzi ; sopa, sopam, sopo à côté de sapa, celui-ci une seule fois, Tal). Eug., A'II a, 8. Ici encore, c'est exactement ce que nous trouvons en roumain : o, de itbi, etc., cf. W. Meyer-Lïibke, Gramm., I, § 130, alors que, comme on sait, les autres î( restent intacts en Dacie. D'autre part, l'osque parait bien, à partir de l'époque de la Table de Bantia tout au moins, avoir une tendance à faire passer à û certains ô atones: amprufid de la Table de Bantia ne parait en tout cas pouvoir s'expliquer autrement, cf. Planta, I, § 44, p. 112, peut- être aussi ûltiumam sur une pierre de Capoue, Planta, n" 133, antérieure à l'année 212 avant J.-C. C'est aussi, comme on sait, la règle dans les dialectes modernes de l'Italie du Sud. Nous ne parlons pas du traitement de ô, tonique ou atone, lequel se maintient en ombrien et dans la majorité des dialectes romans, passe au contraire à û dans les dialectes osques et dans les patois de l'Italie méridionale. Voilà certes de bien extraordi- naires coïncidences et il faut à la vérité un scepticisme bien excessif ou un parti pris bien tenace pour voir, dans des cor- — 195 — ^ 7(). respondances aussi complètes, roffct de rencontres simplement fortuites. Pour notre part, nous avouons que le lien étroit qui rattache si manifestement les faits romans aux faits italiques ne laisse subsister dans notre esprit aucune espèce de doute. Nous som- mes persuadé que * sotnos pour syrmis, * pue pour ï«6z a précédé dans le latin d'Italie * g/çia pour gula ou *moiie[r) pour mulier, et que * bono et même* buno pour bo)iffs, * sona ou ^ sima pour !>onat était, encore dans le courant du ii'' siècle de notre ère, la prononciatien la plus répandue dans l'Italie centrale et septentrionale. Si, après cette époque, bqno, sqna puis buono, siiona a repris généralement le dessus, c'est uniquement sous l'influence de la prononciation classique et parce que celle-ci est parvenue à se généraliser dans presque tout l'Empire. C'est là, entre mille, un exemple de ces restaura- tions d'origine littéraire qui, dans notre théorie, s'exercent en latin vulgaire dès une époque ancienne. Ce que l'on admet pour des mots isolés tels que l'italien lupo pour * Iqpo d'après le latin littéraire lupus, n'est en réalité pas plus extraordinaire quand on l'applique à la restauration générale d'un phonème tel que é devant ?i\ On sait de reste combien la répartition de 0, g, no a été troublée dans les langues romanes, cf. W. Meyer-Liibke, Gramm., I, § 145 sq. ; c'est bien la preuve de ces luttes constantes et tenaces soutenues par la langue offi- cielle de l'Empire pour effacer les mille particularités de la prononciation dialectale. § 76. — A l'égard de la finale -us, -um, il est difficile de dire dans quelle mesure le latin littéraire est parvenu, sur certains points, à imposer son vocalisme à la langue vulgaire. Le roumain, qui fait passer à u tout o atone, est de ce fait exclu du débat: socru, ochiiï, lupul ne signifient rien quant à l'antiquité de u, pas plus que mustru, hnplu ou taiû. Le fran- çais dieu ou même lou, pou après la chute de la consonne médiale, la désinence -aus de -atus en rhétique ne doit pas nous inquiéter plus que le provenç. eu de * Pfi ou le franc, dqus de duo& ou encore les formes verbales * dau, *stau, *vau sorties \. Le français bon, à côté de 6!;e«dans les dialectes, repose de toute façon sur * bono pour * bono antérieur à la diphtongaison et par consé- quent très ancien. § 70. — 196 — de * dao, etc., dans le latin vulgaire do tout l'Empire, cf. aussi DEVDATA, Mur., 1860, 3; thevdosi, Le Blant, 44, Lyon, y'' siècle, voir d'autres exemples chez Schuchardt, Vok., II, 142 sq. En revanche le franc, lo = illu[m), iUu[d), en sa qualité de proclitique, ne saurait guère nous servir d'argument en faveur de -Ô final en latin vulgaire ; fai lo, di lo est à peine plus significatif. 11 n'y a donc en réalité que le sarde qui accuse nettement-?/ final comme les dialectes de l'Italie du Sud ; nous avons dit que la prononciation osque peut seule justifier ce vocalisme, en tant que celui-ci remonte effectivement au latin vulgaire de la Sardaigne ; car le sarde repose en somme, à ce qu'il semble, pour son élément essentiel, sur le latin du n''-!"'' siècles avant notre ère à peu près ' et il est parfaitement improbable que dès cette époque -u>i, -um pour-o.v^ -om ait déjà passé dans la langue vulgaire générale. Ce n'est pas d'ailleurs, tant s'en faut, la seule trace d'éléments osquos (jue nous ren- contrions en sarde : la singulière déformation de commûnis, V. lat. commoinis, au sens de « commune, communauté, assemblée » dans le cumoiip des statuts de Sassari, est un exemple qui en dit long à ce sujet, s'il s'agit réellement ici, comme nous le croyons, d'une fusion avec l'osque comono, « les comices, l'assemblée », sur la Table de Bantia. Aujour- d'hui encore cumoiie en logudorien, cumoni en campidanien et en gallurien s'emploie avec le sens de « réunion » ; dure in cumone, cité par Spano, Voc. mrd.-ltal. s. v., correspond exactement au latin « ferre in médium ». Il serait intéressant de savoir jusqu'où -à final pour -6 s'é- tendait vers le nord et si la Sabine, par exemple, ne partici- pait point à ce vocalisme. 11 y a lieu de croire en effet que -u dans les types modernes fiju, lempu à côté de amo, (d)ico, qui sont précisément particuliers à la Sabine et aux environs, à Rieti, à Norcia par exemple, est un fait ancien reposant sur des antécédents italiques. Malheureusement la seule ins- cription Sabine que nous possédions, celle de Scoppito, ne donne que des renseignements contradictoires. On voudra bien remarquer en tout cas que, dans les patois modernes de la Sabine aussi bien qu'en sarde, le passage do -ô à -û et le 1. Il .semble que ce soit à peu près le latin du temps de Plaute qu'il faille en généi-al placer à la base du latin vulgaire de Sardaigne, cf. W. Meycr-Lùbke, Zeilsch. /{om. PhiL, IX, 2'i7. — 197 — § 77. maintien de -ô final tombe forcément dans une époque anté- rieure à l'abolition de la quantité même en sjUabe atone'. L'opposition est la même en finale protégée : sarde temjnis sing. ; tempos plur. § 77. — Que le sarde tempiis ait -us de fondation ou d'ori- gine secondaire, ce n'en est pas moins un argument précieux à l'appui de notre thèse, que le latin généralement parlé en Italie à l'époque républicaine ne connaissait point les nomi- natifs avec -s à la deuxième déclinaison. Deux nominatifs aussi identiques que lupus et tcmpus par exemple doivent de toute nécessité réagir l'un sur l'autre ; si lupus sort de l'usage et se fait remplacer par l'accusatif lupu, il y a bien des chances pour que tempus suive immédiatement son analogie et passe à tempu. Eu sarde, rien de pareil ne s'est produit ; malgré lupu, tempus reste intact et, ce qui est tout à fait décisif, -us y est senti comme une désinence casuelle et mobile, c'est- à-dire que le mot est absolument assimilé h lupu quant à la formation du pluriel. En d'autres termes, lupu^ tempus: plur. lupos, te?7ipos sont conçus comme deux types divergents d'une même classe nominale: l'une sans -s au singulier, l'autre avec -s. Nous concluons donc qu'un nominatif * lupus n'a jamais existé, car ou bien il aurait, en succombant, entraîné tempus, ou bien tempus, opus, latus, antipettus, pinnus, istercus, corpus, etc., auraient sauvé l'ancien nominatif lupus'. C'est pourquoi nous maintenons de la façon la plus formelle que le latin vulgaire de l'époque républicaine n'a point connu les nominatifs en -s de la deuxième déclinaison et qu'il ne possède d'autre finale à ce cas que celle que présentent les inscriptions archaïques et toutes celles d'un caractère nette- ment vulgaire, k savoir la voyelle -ô, laquelle devient -û dans l'Italie du Sud vers la fin du ii'' siècle. En d'autres termes, 1. Le sort de -o final non protégé, qui se maintient généralement en ombrien (pourtant stahu=^ * slao), est inconnu en osqueet dans lesdia- lectessabelliques; le Verehasiû de la Table d'Agnone parait attester -o et non -(7, mais cet exemple n'est pas absolument concluant en raison des obscurités de l'interprétation. Si le sarde issoro « ipsorum » est réelle- ment quelque chose d'ancien, il faudrait poser -om pour-wm classique au génitif pluriel du latin vulgaire, cf. Mohl, Le Couple roman lui : lei §§ 15 et 58. 2. La notion du neutre était en tout cas trop hésitante et déjà trop effacée dès le latin vulgaire le plus ancien pour avoir maintenu une distinction nette entre la catégorie lempus et la catégorie lupuÇs.). § 78. — 19S — jusqu'à César tout au moins (nous verrons tout à l'heure com- ment le latin littéraire est parvenu plus tard, en Gaule notamment, à rétablir les nominatifs en-us) — le latin provin- cial ignore absolument les formes domnôs ou donmus, honôs ou bonus et confond dès l'origine ces nominatifs avec les accu- satifs domnô{m), bonô[m). Toutes les autres finales en -s subsistent à cette époque dans le parler vulgaire, excepté dans l'Italie du Nord, ainsi que nous le verrons tout à l'heure; c'est, comme nous l'avons dit, uniquement par option entre les anciens doublets domnôs : domnô, et non point directement pour une cause phonétique, que la flexion -x a disparu à ce cas. § 78. — Dès lors, une des questions les plus importantes de la philologie romane, la disparition du neutre et en même temps la question connexe de la fusion du nominatif et de l'accusatif en latin vulgaire s'éclaircissent et se dégagent d'elles-mêmes. Une fois que domno fonctionne comme nominatif et accusatif indifféremment, cadrant ainsi au mieux avec le nomin.-acc. domna des noms féminins, le type tempLo et les autres neutres de la deuxième déclinaison se trouvent par là même confondus, au singulier tout au moins, avec les masculins. Du moment que l'adjectif ôo;io ne fît plus la distinction entre le masculin et le neutre, il est évident que la notion de ce dernier genre devait s'affaiblirrapidement.En général , on recherche les origines de la disparition du neutre en latin vulgaire à une époque infiniment trop récente et on prend volontiers pour les causes détermi- nantes du phénomène des faits qui n'en sont le plus souvent que des manifestations et des conséquences. En réalité la perte du neutre remonte très haut dans l'histoire de la latinité, puisque précisément les dialectes romans les plus anciens, tels que le sarde et l'espagnol, n'en offrent plus trace. Ces langues par exemple ignorent absolument les pluriels en -«; ils étaient donc forcément, dès la romanisation de ces pays, assez peu vivaces et purent être facilement abandonnés, sans opposer grande résistance. Ils furent naturellement plus dif- ficiles à déloger en Italie, leur patrie d'origine; le type ligna, mombra, parvint constammenf à s'y maintenir ; seulement, sous l'influence des pluriels neutres pronominaux, tels que fjuac, /iar{c], engendrant d'abord * illae\ * istae, puis * mol- 1 . L'italien le au ])hiri('l neutre représente directement ^illae. cf. class. — 190 — 55 "^8. tae, * bonne, cf. ital. le buone poma, etc., il tend à prendre la llexion féminine * //<7?î«^, * membrae, ital. legne, membre, d'où souvent reconstruction d'un singulier en a, par exemple plur. arma, puis * armae, d'où sing. arma. Cette transformation était accomplie en Italie au début du 11° siècle de notre ère, comme le montre la concordance du roumain et de l'italien à cet égard, et il n'y a pas de doute que le phénomène remonte infiniment plus haut dans l'histoire du latin vulgaire. Quant aux pluriels en -a de l'italien historique, ilfaut, croyons-nous, les rapporter pour la plupart à l'influence de la langue littéraire ; c'est en grande partie une flexion savante au même titre à peu près qu'en français le génitif pluriel Francor. anciemjr. Des exemples tels que le mura, le risa montrent que souvent ces pluriels en -a reposent sur des reconstructions récentes. On sait que les dialectes du nord ne connaissent que les formes en -e\ Le neutre une fois confondu avec le masculin et le féminin dans le latin d'Italie, les dialectes italiques, dans une phase déjà avancée de leur développement et à une époque déjà voisine de leur décadence, devaient à leur tour subir la réac- tion du latin et tendre à unifier leurs neutres avec les para- digmes des autres genres. De l'osque, nous ne possédons pas de monuments assez récents pour pouvoir juger ce qu'il advint du neutre dans cette langue : mais les Tables Eugu- bines, dont nous avons essayé de démontrer le caractère relativement moderne, voir pkis haut § 39, et qui furent écrites d'ailleurs dans une région depuis fort longtemps sou- mise aux eff'ets d'une romanisation intime et profonde, montrent d'une manière éclatante cet acheminement du neutre vers les flexions des autres genres. Nous voulons parler des nominatifs en -or, accusatifs en -o/, par exemple uasor, VI c, 11), aerof-e, VI ô, 47, etc., refaits, d'après une des plus ingénieuses théo- ries de Thurneysen, Zeitsch. vergl. Sprachf., XXXII, 554 sq., ilhipc, pour illa d'après quae hae; on disait illae peclora parce qu'on disait /;ec; 101. Dans la suite, lorsque le nominatif eut j)artout et complè- tement fusionné avec l'accusatif et qu'il cessa d'être senti comme un cas distinct, on refit sur * înVc/ * catel \in nouvel accusatif-nominatif uitello, crilello, sur le modèle du doublet classique itilclliis, catcllus, ital. vilello, roumain vitel, v. franc, veel, etc. Dès la fin du \" siècle de notre ère, croyons-nous, les nomin.-acc. liiro ou liiru, puero ou poiwro, vitello, sont généralisés dans l'idiome vulgaire ; VAppcndix Probi donne Telcr non tetrxs, Aper non aj/rut, 198, 2(); inversement § 80. — -^oi — cisément la syncope Yocalique, en détériorant la désinence, rendait fragile le cas tout entier par les difficultés phonéti- ques qui forcément s'élevaient du contact immédiat des con- sonnes. C'est ainsi que dans les langues slaves modernes,. par exemple en russe, le nominatif pluriel disparait à cause des phénomènes phonétiques trop compliqués engendrés par la tlexion -i : do.iku par exemple succède à bo.iiui, de même que K est réintroduit au locatif singulier bo.ikt, au lieu de bo.iu-b. C'est aussi, croyons-nous, la cause principale pour laquelle le vocatif a succombé en russe ; des formes telles (]ue Koaane de KoaaKT) ou lainiKo de Kna3^, conservées encore par le petit- russien, étaient, par leur complication même, en péril de mort. Les mêmes faits se retrouvent exactement en slovène. De même en bohémien, les nominatifs pluriels tels que dob'rï, pî'dtelsti, tisi et autres semblables n'existent que dans la lan- gue littéraire ; le peuple régularise la consonne du paradigme et prononce dohri/, jrrdtehky, tichy comme au singulier. A Prague, il n'est pas rare d'entendre vojdky pour vojdci, lenochy pour lenosi. Ce serait une erreur grave que de croire à l'immuabilité du système llexionnel dans les langues ; l'ex- périence nous montre au contraire que rien n'est moins sta- ble qu'un paradigme grammatical et (^ue la langue ne se fait point faute, en cas de besoin, de remanier de fond en com- ble son appareil de tiexions et de désinences. C'est ce qu'a déjà montré, précisément pour le latin, l'illustre Ritschl, Opusc. IV, 408. En français, il est arrivé précisémout ce (|ue nous supposions tout à l'heure pour les anciens patois locaux latino-italiques dans les pays osques et ombriens ; le nominatif singulier et l'accusatif pluriel en -5, par suite des difficultés phonétiques créées par cette désinence, ont été complètement remaniés à partir du xiii'' et du xiv" siècles. Le nouveau pluriel en -s ne succède point directement à l'ancien accusatif, mais résulte d'une refonte complète de toutes les formes, avec réintro- duction des consonnes primitives. En latin vulgaire, les nomi- natifs singuliers en -s avec apocope avaient d'autant moins liarbnnis non harbar, 107. oO. iM'. hf/r/mr. Cor}), (il. I.al.. IV. 327, 25; V, 543, 14 : /lilar. Prol). (jillwL. \). 15. S. [Je paupi r on conclut au fémin. paupcra, (jui se trouve chez l'iautc aussi bien que chez l'oni niodien. — ■2^y^ — § 80. do chance de se faire jour que ni la langne archaïqno ni la ritsticitas du Latium ni l'idiome littéraire n'en fournissaient à proprement parler de modèle. Les thèmes en -i offraient, il est vrai, de nombreux nomi- natifs syncopés, le type mors, Arpinas par exemple, les(|uels par là même se confondaient à peu près avec les thèmes con- sonantiques. Dès lors la langaie se retrouvait en présence de toutes les difficultés phonétiques dont nous parlions tout à l'heure, sans préjudice des répugnances naturelles du lan- gage pour des paradigmes à accent le plus souvent mobile, La langue classique elle-même, malgré tous ses efforts pour s'assimiler la régularité et la souplesse du grec, n'a jamais pu s'accoutumer à des nominatifs tels que daps, frûr, prex, merx, faux, obiex, etc., et n'emploie ces mots qu'avec les flexions vocaliques, dapem, frûgem, prece, etc. S/irps de même était évité par les écrivains de l'époque impériale; T. Live, I, 11, comme Prudence, ait stirpis au nominatif; loitis est cité par Priscien, Keil III, 12, 64. De même pectinis, App. Prob., à côté de Pectis: y.—'.:, Corp. Gl. Lai., 111, 322, 6, probablement influencé par le nominatif grec. Inverse- ment les demi-lettrés tiraient de orOis un nominatif orôs d'après urbs, lequel se trouve encore dans Ven. Fortunat, IX, 3, 14; l'App. Prob., 198, 8, dit Orbis non orbs. Déjà Lucilius employait ninguis pour nix, Plante disait sortis pour sors, Ennius disait mentis au nomin., d'après Priscien, VII, 760 : Terra eorpiis est at mentis ignis ; Tite-Live emploie carnis au nominatif et Pétrone dit couramment, comme déjà Varron d'ailleurs, ille bonis. Toutes ces formes recouvrent en réalité les nominatifs vuk'aires sorte, carne, boue. Le neutre qui, dès cette épo(|ue, n'était plus senti comme un genre distinct, devait ici, de complicité avec l'analogie de la première et de la deuxième déclinaisons, favoriser la reconstruction d'un nominatif vocalique. C'est ainsi qu'Ennius dit au nominatif lactis, Plante lacté au lieu de lac, lact. A côté de sanguis, on a aussi le neutre sanguen, Ennius, dans Nonius III, 203 ; Lucr. I, 836, et encore dans Pétrone, Biich., p. 70: Sanguen illi feruet. Dans la laiigue vulgaire, ce nominatif-accusatif sanguen passe de bonne heure à sanguine masculin ou féminin ; en Espagne sanguine est féminin, esp. la sangrc. Un texte vulgaire précieux, la Mulomedicina Chironis, atteste sanguine comme nominatif, §80. — 20 i — cf. Avch. Lat. Lex., X, 420. D'autre part, en Gaule et en Italie, sanguen après la chute de -n devient nominatif-accu- satif sangue ; ablatif sangue ; sangyem accusatif, Marini, Atti Arval., 41, 1. 22 : d'où ital. sangue, franc, sang . masc. Citons encore l'App. Prob., 197, 32 : Carcer non car- cere. Les inscriptions montrent que les formes en -e pour -/.s- ne sont point aussi anciennes que les nominatifs en -o pour -os et qu'elles ne dépendent point directement des phénomènes de phonétique syntaotique qui frappaient -.9 tlnal en vieux latin. Cette consonne s'était en somme, particulièrement dans le sud, et sans tenir compte ici de l'orthoépie passablement arti- ficielle des poètes à cet égard, assez bien rétablie presque partout pour que nous nous gardions d'expliquer l'équation aue = ««/s par la voie exclusivement phonétique. L'agent prin- cipal a été l'analogie des autres déclinaisons et plus encore, croyons-nous, l'influence du neutre mourant et mal compris. C'est ainsi qu'en bohémien et en polonais l'analogie du neutre détermine une scission dans les noms masculins et crée, pour les masculins inanimés, une classe mixte où le nomi- natif se confond avec l'accusatif. Après la chute de -m final en latin, l'accusatif devait être senti, à peu près comme dans les langues slaves, comme un cas sans désinence signifi- cative ; il devait par conséquent tendre tout naturellement à accaparer dans la langue les fonctions du casus generalis et avant tout celles du nominatif. C'est ainsi que auis, fortis, sors ou sortis se confondirent avec l'accusatif et passèrent à aue, forte, sorte. Le plus ancien exemple est, je crois, l'inscription de la colonne de Tusculum, CIL. I, 63, 64 : m-fovrio-cf-tribvngs.militare (deux fois répété), qui, malgré les réserves faites jadis par Ritschl, paraît bien dater des années 220 à 200 av. J.-C. environ ; pour la voj^elle, cf. aidiles, nominatif singulier sur l'inscription CIL. I, 31, du tombeau des Scipions. Les génitifs en -e pour -is sont tout aussi courants dès le latin archaïque, cf. de-maiore-parte...sententia, CIL. I, 199, 1. 32, Sentent. Minuc. Les mots imparisyllabiques du type uoluntâs : uoluntûte suivirent bientôt après par analogie. Sittl, Jahresb. Klass. Altert., LXVIII, Tlieil II, p. 230, cite un exemple épigra- pliique curieux: de.volvmtas. On enseignait dans les écoles — -205 — ^81. qu'il fallait dire uolimtâs et non uohuitâte qui était le nomi- natif vulgaire. Le graveur se croit très bien avisé en corri- geant dp uoluntate en de uohmtas. De même la Lex Iulia municipalis, CIL. I, 20G, 1. 62, écrit rëx-sacrgrvm pour rêgem à l'accusatif: c'est une correction pédante du graveur. Les ablatifs vrbem, CIL. I, 200, 1. 5 (Lex agrar.), posse- siONEM, ibid., I. 8, propiorem, ihid., 1. 71, qvaestionem, CIL. I, 198, 1. 11 (Lex. repet.), coGNAT(ione)M, ibid., 1. 20, etc., abondent même en latin archaïque. Cf. aussi locvmve, CIL. I, 200, 1. 22, pour locôue. Ainsi, dès le début du II® siècle environ, le parallélisme tendait à s'introduire défi- nitivement entre le nominatif-accusatif des types domna, domno, forte, tels que nous les retrouvons encore aujour- d'hui dans les langues romanes issues principalement de la colonisation républicaine, c'est-à-dire en sarde et on hispano- portugais. § 81. — Au pluriel, l'unification du nominatif et de l'accu- satif repose sur des causes tout à fait différentes. Tout d'abord dans les paradigmes manus, auis, pater, diés, cette unifica- tion avait été réalisée dès une époque préhistorique par voie soit phonétique, soit analogique. L'analogie devait donc ten- dre à généraliser cette fusion des deux cas au pluriel comme au singulier. Or, on sait que les nominatifs dominl, dominae ne sont, selon toute apparence, pas primitifs en latin. Sans entrer ici dans la chronologie assez compliquée de cette flexion, dont les origines sont à présent placées par les indo- germanistes dans une période relativement récente de la lan- gue, cf. Brugmann, Gnindr., II, 660 sq., 662 sq., Solmsen, Indofj. Forsch., IV, 242 sq., on peut remarquer que les dialectes osco-ombriens ne connaissaient guère, à la pre- mière et à la deuxième déclinaisons, que les désinences -as et -ôs, qui étaient effectivement les formes les plus générales en indo-européen '. 1. Nous ne saurions guère séparer la désinence féminine -ai, grec -a-, lat. -ae, du masculin -oi, grec -oi, lat. -oe, -l, etc. ; aussi nous n'accep- tons qu'avec réserve l'explication de Brugmann, Grundr., II, 6'i3, qui interprète -ai comme une forme originairement particulière au duel, scr. -e, slav. l, etc. Un empiétement du duel sur le pluriel est possible et nous en trouvons effectivement des exemples: mais encore ne faut-il recourir à une telle explication qu'avec de solides raisons à l'appui. Quant à nous, nous serions assez disposé à considérer l'était présenté § 82. - 2<^fi - Le latin archaïque conserve encore çà et là des traces incontestables de la flexion -as tout au moins. Tel est selon toute vraisemblance le précieux laetïtiâs Inspërâtâs de Lucius Pomponius, qui écrivit des atellanes vers le commence- ment du 11^ siècle; tel est sans doute aussi le pluriel ma- TRONA sur les inscriptions votives du Pisaurura, CIL. I, 173, 177, lequel semble l)ien représenter effectivement, comme on l'admet d'ordinaire, *mâtr(mâ[s), cf. Stolz, Hist. Gramm., I, § 27, p. 36, plutôt que *mâtr(ma[i)\ Les nomi- natifs en -ds, en lutte depuis l'origine avec les formes en -ai, ont dû disparaître définitivement de la langue littéraire à l'époque où le génitif familiae succède à familiâs ; or, celui-ci ne succombe complètement que dans la période his- torique et se trouve attesté en latin archaïque par de nom- breux exemples ; dans le coira-pocolo de la coupe d'Horta près de Viterbe, CIL. I, 45, il nous est toutefois difficile de reconnaître, avec la majorité des latinistes, cf. Stolz, Hist. Gramm., I, §20, p. 35, un génitif coird{s), à cause de aecetiai- pocoLOM, de Voici, CIL. I, 43, lavernai-pocolom, d'Horta, CIL. I, 47, MENERVAi-POCOLOM. (le Tarquiuics, Corp. Inscr. ItaL, app. 812, qui, appartenant tous à la môme région, rendent l'existence d'un génitif en -fis, pour cette partie de l'Italie tout au moins, et à cette époque, assez improbable. § 82. — Quoi qu'il en soit, nous croyons pouvoir affirmer, sur le témoignage tant des inscriptions que des langues roma- nes, que le vieux latin provincial de l'Italie s'est tout d'abord assez mal accommodé des nominatifs en -ae et que, dans la plupart des régions, la flexion -«*' était de beaucoup la forme dominante. Dans une région telle que les pays osques où « scriptae » se disait scri/tas, Tal). Bant., 25, il serait pour le moins extraordinaire que le peuple n'eût point de mémo prononcé en latin srrîptâs, et il en était de môme chez les Marrucins, cf. asignas ferentrr aidai as sur la Table de Rapino; en pélignien, cf. datas, Planta, n° 246; en Ombrie, par le germanique, an moins au masculin, cf. gotli. vulfo.t mais blindai, comme l'état pi'imitif: on disait peut-être en indo-européen * loi rtid/iroi ijlqos, en ita\U[ne*alfoiuitl()s, d'où osco-ombr. * alfas vitlos d'une part, latin alljî uilult d'autre part. 1. Les dialectes ombriens et celtiques du voisinage ont seulement la flexion -as: donc mdlrunil(s) plutôt que mâlrùna(i). — :}07 — v; S2. cf. urtas « ortae », Tah. Eug., III, 10, etc. Le vieux nomi- natif en -as, protégé ou même rétabli sous l'action assimila- trice des dialectes indigènes de l'Italie, s'est ainsi maintenu tout d'abord dans la plus grande partie tout au moins de la péninsule comme il s'est constamment maintenu dans le par- ler des provinces extra-péninsulaires. C'est ainsi qu'un Polo- nais qui s'essaie à parler russe prononce volontiers au nomi- natif pluriel wolcij pour woild bo.tkii, d'après le polonais wilcy, ou czynownicy pour czinowniJd HimoBniiiai, d'après wzednicy, etc. Or, on conviendra que des dialectes où « scripta » se disait scrlfta, *scrïota, * scrlxta, scrl/Ua, omb. screlUo, screihtor) étaient à peine plus éloignés du latin que le polonais ne l'est du russe. Si dans la suite la flexion clas- sique -ae, de même que -Z au masculin, est parvenue à évin- cer peu à peu en Italie et sans doute région par région et étape par étape, la désinence -as, masculin âs% c'est pour des raisons tout à fait particulières sur lesquelles nous nous expliquerons tout à l'heure. A l'époque de César nous avons un témoignage précieux qui montre très clairement comment les nominatifs en -as étaient alors employés indistinctement à côté des nominatifs en -ae dans le langage moitié vulgaire et moitié officiel des magistrats provinciaux. Il s'agit de la fameuse Lex uicana Fiu'fensis de l'année 57 avant J.-C, laquelle constitue, dans sa première partie particulièrement, un monument inestimable du latin à la fois naïf et pédantesque qu'écrivaient à cette époque les autorités des petites villes de province. On lit en effet sur cette inscription bizarre, dans une même phrase : YTErEXTREMAE-YNDAE-QVAE-LAPIDE | FACTA, ligU. 3, et YTEI' QYE-AD-EAM-AEDE-scALAS, ligu. 4. Daus extremae undae il faut reconnaître la flexion classique, inusitée dans le langage parlé des paysans de la Sabine et qui doit être mise sur le compte de l'érudition des magistrats de Furfo qui ont dicté le texte ; dans scalas au contraire il faut voir le nominatif- accusatif vulgaire échappé par mégarde cà la science quelque peu hésitante de l'auteur de l'inscription ; fada enfin était probablement suivi d'une autre lettre qui paraît avoir été effacée par le temps, en sorte qu'on peut lire à volonté /«r/«e ou fartas. II est étrange que les commentateurs de ce texte inté- ressant, Mommsen, Garrucci, Jordan, Krit. Deitr., p. 250 § 83. — :>08 — sq., ne se soient point expliqués sur la flexion do sca/as; c'est, croyons-nous, Bréal le premier qui y a reconnu un nominatif, Mt'm. Sof. Ling., YI, 217. L'inscription de Furfo est précieuse parce qu'elle est exactement datée ; elle montre que le latin d'Italie continue sans transition, jusqu'à la fin de l'époque républicaine, la flexion primitive du latin archaï- que et des dialectes italiques. Un peu plus tard, nous la retrouvons sur les inscriptions provinciales où elle fonctionne d'une manière de plus en plus régulière ; parmi les plus sûrs exemples, on peut citer, d'après notre examen du matériel épi- graphique : LiBERTi-LiBERT.\SQVE, CIL. III, 2386, près de Salones (Dalmatie); p^.iLiAS-i\L\TRrFEC6"r«?i/^ ibid. VIII, 3783, sur une inscription d'Afrique ;Hic-Q^scv:sf-D^\s-MRES-D'w.s-FiLiAS, ibid., III, 3551, Alt-Ofen. Il n'y a donc aucune raison plausible à faire valoir contre l'antiquité du nominatif-accusatif domnâs que nous trouvons à la base de la flexion de la première déclinai- son en sarde, en espagnol et en français. Tout démontre au contraire que la flexion -as au nominatif était devenue la forme normale dans le latin vulgaire de la République et rien n'au- torise à expliquer, comme on le fait, l'espagnol due.nas ou le français dames par un abandon postérieur, d'origine purement syntactique, du nominatif en -ae au profit de l'accusatif en -as. Le français notamment est, sur ce point, tout à fait signifi- catif: il conserve domnl à côté de domnùs, mais il ignore domnne en regard de domnâs. L'analogie du singulier domna, où les deux cas étaient confondus de toute antiquité, n'est point susceptible, à notre sens, d'expliquer l'unification sup- posée du système domnae : domnâs, dont le maintien était favorisé de son côté par l'analogie inverse du système dotmil : domnôs. Or, celui-ci s'était si bien implanté en Gaule qu'il agit même sur les noms de la troisième déclinaison et transforme, comme on sait, le nominatif-accusatif /vff/y'£'N en un système dualiste: nominatif */?«/n, accusatif patres. D'autre part le pluriel féminin flores ne participe point à la scission des deux cas, précisément parce qu'il est protégé parle fémi- nin nnicasuel domnâs, tablas, etc. Si le latin vulgaire propagé dans la Transalpine par la conquête romaine avait adopté le woxmwàWî domnae en regard de l'accusatif f/o^^/?//?.?, nul doute qu'il eût agi sur les autres féminins en scindant florès en *flôrae: flores comme le nominatif domnï scindait patres en * patrl: patres. Que l'on n'objecte point que le fi'anrais podrc : pcdres au pluriel repose sur un inétaplasino récent, postérieur à la chute des voyelles final(;s on français, et (ju'en réalité pedrc : pedres ou grant : granz sont formés directement sur le finançais maistre : 7naistre.s ou mur: murs; bel: bels ; e,iv.., sans supposer en aucune façon qu'un pluriel tel que nominatif * patrl, accusatif patres ait jamais existé réellement dans le latin vulgaire des Gaules'. Ce qui prouve très clairement que le système nominatif *patrt: accusatif /?«/r(?s n'est point une reconstruc- tion purement fictive et sans fondement historique, c'est pré- cisément encore le féminin flors, lequel ne peut reposer que sur flores. S'il s'agissait d'une refonte générale de la décli- naison française d'après le paradigme bo?i: bons au masculin et bones au féminin, sans doute celui-ci eût entraîné les "fUrros et non pas les flars. Dès lors, il faut bien fixer pour le laiin vulgaire de la Transalpine les paradigmes dom?iï:do7n- nôs ; patrl: patres, mais domnàs et flores, lesquels excluent complètement le prétendu womxwhûî domnae , à telles enseignes que, s'il avait jamais réellement existé en (laule, tout l'édifice si ingéniousement agenc(î de la déclinaison française eût été bouleversé et réduit à néant. Il eut fallu construire sur nou- veaux frais un système tout à fait différent. C'est pourquoi nous nous croyons en droit de déclarer que jamais le nomi- natif dommie n'a été prononcé au delà des Alpes par une bouche gauloise. § 83. — On peut se demander comment il se fait que le latin des (ianles, connaissant domni, domnôs, ne possède que doiiimls et ignore totalement domnae. La question est déli- cate et ne saurait être résolue que si un problème prélimi- naire a reçu sa solution, à savoir: si domnl a existé de toute antiquité en latin vulgaire et s'il convient d'attribuer à l'ori- gine le dualisme domm : domnôs à toutes les régions de la Romania aussi bien qu'à la Gaule. Or, il y a un fait incon- testable, c'est que les dialectes italiques s'appuient tous sur l'ancienne désinence indo-européenne -os au nominatif pluriel de la deuxième déclinaison: osque Abellanùs, Niïvlaniis 1. Telle était notamment la théorie professée par Arsène Darmes- teter à son cours de la Sorbonne. Suchier, Grundr., I, p. 621, ne se prononce pas catégoriquement. .Moiii,. — ('linmolixji.e il// latui iuil;/alrc. 14 § 83. — -iio — sur le Cippe d'Abella; ombrien Ikuviuus, etc '. Ces formes ont dû forcément amener dans le primitif latin d'Italie l'accu- satif doiunôs à usurper les fonctions du nominatif et à expul- ser doinni. Une foule de causes secondaires militaient d'ail- leurs en faveur de cette expulsion : d'abord l'analogie des autres déclinaisons où déjà diè^, Iionuiês, nâués, domnâs, mamis fonctionnaient comme nominatif-accusatif, en sorte que le parallélisme domno : damna singulier, domnôs, : donniâs plu- riel s'imposait presque tout naturellement. De plus, une fois que manu se confond avec domno, le nominatif pluriel m«//«.s- devait logiquement subir le mëtaplasme *?uanns, appuyé d'ail- leurs par le génitif vulgaire *manos, cf. domùs attesté par Suétone, voii- })lus haut p. 50; *riianôs, fonctionnant comme nominatif-accusatif, appelait de son côté domnôs dans les mêmes fonctions. Il faut enfin tenir compte, beaucoup jdus sérieusement qu'on n'a coutume de le faire, de ce fait que la disparition générale du nominatif, amenée tout d'abord par des causes purement phonétiques ou morphologiques, avait forcément restreint les libertés de la construction ancienne et tendait à fixer de plus en plus étroitement l'ordre des mots dans la phrase vulgaire: de là extinction graduelle, dans la conscience de la langue, de la distinction logique des deux cas et par suite abandon naturel de la forme domnï, consi- dérée comme doublet facultatif et superflu de domnôs. En russe, des difficultés phonétiques restreignent d'abord l'emploi du vocatif dans les masculins en -u, puis cette forme cesse universellement d'être conçue comme un cas distinct et le vocatif disparaît dans toutes les déclinaisons. Nous avons enfin, ce qui vaut mieux que toutes les spéculations théori- ques, le témoignage des langues romanes issues dans leurs parties essentielles du latin italique de l'époque républicaine, celui du sarde notamment qui, en dépit de l'influence pro- fonde exercée par l'italien, est constamment resté fidèle à la flexion -ôs. Si les dialectes de la Sardaigne avaient connu le dualisme -l : -ôs au moment où la désinence -î reprit le des- I. 'l'iiurneysen, Zeilsch. vo-yl. S/iraehf., XXXII, 55'» sq., a contesté que screihlor fût un masculin plui'iel, mais cette théorie n"est admis- sible que sous quel(|ues réserves, cf. Planta, H, p. J19 sq. Quoi qu'il en soit, on peut toujours et même on doit admettre de vastes régions en Ombrie et ailleurs où scrîptl se dit * scri/Uus. — 211 — ^84. sus dans la péninsule ot gagna peu à peu les régions extrêmes et les îles, jusqu'à la Sicile et la Corse elle-même, il n'est pas douteux que le sarde, lui aussi, eût opté pour -l de préférence à -ôs et favorisé tout au moins tenipus : *t.pmpl plutôt que tempiis : tempos,. § 84. — Il }' avait seulement deux zones géographiques où la tiexior. -7 pouvait, à l'origine, se maintenir au même titre que -ô.s sans être combattue directement par aucune influence analogique. C'était d'abord Rome, avec la rmticitas du Latium, avec l'Ager faliscus et probablement avec tout le sud de l'Étrurie ; le dualisme domnl : domiiôs a dû se conserver ici d'autant plus facilement et d'une façon d'autant plus durable que ces dialectes, d'origine essentiellement latine, connais- saient également, à n'en point douter, le nominatif domnae à côté de l'accusatif (/om?2«^.ç. Les pajs volsques se rattachaient peut-être sur ce point au système des parlers latins*. En second lieu, les dialectes celtiques, tant dans la Cisalpine qu'au delà des Alpes, devaient favoriser le maintien de domnl à côté de domnôs. En effet, le celtique semble s'être généra- lement comporté comme le latin et le grec à l'égard du plu- riel masculin, tout en s'en séparant quant au féminin. Ainsi *ppos a ecus » , comme nous l'avons déjà dit p. 80 et pour autant qu'on en peut juger, faisait au nominatif pluriel * epei, *epl, V. irl. eich, et à l'accusatif pluriel *ppôs, v. irl. eochu; les deux cas étaient au contraire confondus, comme en indo-ira- nien et en germanique, au féminin : *epâs « equae » et « equas ». Cf. Whitley Stokes, Bezzemb. Beitr., XI, 152 sq., Windisch, Grundr. Rom. Phil., I, 305. L'accord avec l'éiat que nous retrouvons, à travers la déclinaison française, pour le latin vulgaire de la Gaule, est donc absolu: masculin equl : equôs, mais féminin equâs. Il est impossible de penser que le hasard seul ait amené une coïncidence d'autant plus remarqual)le que le système usité en Gaule paraît rompre l'harmonie et le paral- lélisme créés par le latin classique. Il y a eu ici, de la part des Celtes, une accommodation de la déclinaison vulgaire aux habitudes des dialectes indigènes, exactement comme dans l'Italie proprement dite nous avons vu le système fiexionnel 1. L'absence d'exemples épigraphiques rend sur ce point le contrôle impossible. i; Si. — 21-2 — se modeler, autant que possible, sur les formes osco-om- briennes. La question la plus grave qui se pose ici est la question chronologique. Le système domiii: domnôs contre domiiâs s'est-il installé d'abord dans la partie celtique de l'Ombrie et du Pisaurum, puis dans la Cisalpine, dès les premiers établis- sements des Romains dans les pays celtiques, c'est-à-dire dès le m" siècle, lors de la conquête de l'Ager gallicus et de la fondation de Sena Gallica, en 289, cent ans après la grande invasion gauloise et le premier contact des Romains avec la race celtique? La chose est, somme toute, très peu probable; car d'une part les Sénons devaient être assez peu nombreux, trop faibles en tout cas pour conserver longtemps leur origi- nalité de race au milieu des populations italiques qui les pres- saient de toute part. Leur dialecte avait dû, durant leur domination assez éphémère au nord de l'Apennin, se désa- gréger sensiblement au contact de l'ombrien et des dialectes indigènes'. Nous nous montrerons tout aussi sceptique à l'égard de la pureté des dialectes celtiques de la Cisalpine. Il y avait là un tel mélange de races et de langues diverses, les populations étaient à ce point confondues et si peu cohé- rentes, que la formation d'un groupe linguistique nettement caractérisé nous parait, lorsdelaromanisation de ces contrées, tout à fait problématique. D'après Strabon, V, i, 6, Milan était insubre, Mantoue (cf. Pline, ÏII, xix, 130), était étrusque, Vérone et Trente étaient rhétiques, Padoue vénète, Faventia appartenait aux Lingons, Regium Lepidum aux Boiens, Luna et Gênes étaient ligures. Il y aurait lieu, il est vrai, de distinguer entre la ïrans- padane, où la plupart des langues indigènes étaient encore en vigueur sous Auguste, et la Cispadane, où l'élément cel- tique offrait primitivement plus de cohésion. En revanche, il faut noter que cette dernière région était traversée dans toute sa longueur par la voie Émilicnne, la plus fréquentée des routes du nord, avec une quantité do centres romains échelonnés sur son parcours, tous de première importance, tels que Bologne, Modône, Parme, Plaisance (fondée en 219, prise par les Boiens, reprise et colonisée à nouveau 1. L'inscription de Tuder est probablement un témoin du celtique désagrégé au contact des dialectes italiiiues. en 190). Le transit était donc considéi-able dans la Cispa- dane et les conditions 'd'ant;int plus défavorables à l'éclo- sion d'un parler latin original. Des caravanes venues de toutes les parties de l'Italie sillonnaient perpétuellement le pays, se donnaient rendez-vous dans les grandes villes ; Bologne, avec ses entrepôts, son marché considérable, atti- rait les marchands et les colons du monde romain tout entier et devint le foyer principal de la latinisation dans la Cispa- dane. Les historiens nous disent que les Boïens, vaincus par Rome, préféi'èrent l'exil à l'esclavage et al)an(lonnèrent en masse le pays, dès le début du ii" siècle. Rien ne permet de mettre en doute cette tradition, car rien ne dénonce positive- ment dans les patois actuels de l'Emilie des traces d'in- fluence celtique plus accusées que dans les autres dialectes de l'Italie supérieure '. D'un autre côté, il faut bien dire qu'en l'absence de tout renseignement certain sur les dialectes celtiques de la Cisal- pine, c'est à titre d'hypothèse purement gratuite qu'on peut leur attribuer, comme aux autres branches de la famille, le nominatif *i'pi distinct de l'accusatif * epOs par exemple. 11 est fort possible que les Sénons, les Cénomans ou les liisu- bres conservassent, comme les Italiotes, la vieille flexion indo-européenne du nominatif pluriel, d'autant plus qu'il y a des traces historiques de la flexion -as à côté de -oi [%) en celtique. Le vieil irlandais a utilisé cette double désinence d'une manière fort ingénieuse : pich=.*pqi, *epi fonctionne comme nominatif, eoc}tu=^*eqOs, *cpôs comme vocatif plu- riel. Cette distinction est sûrement récente ; elle prouve du moins que les deux flexions coexistaient à l'origine en celti- que, en sorte que nous n'avons pas en réalité le droit d'attri- buer l'une plutôt que l'autre aux dialectes de la Cisalpine. i:; 85. — Au contraire, dans la Gaule Transalpine, le nomi- natif en -/ peut être considéré comme assuré. Comme les 1. Nous ne tirerons aucune conséquence de cv fait que les voyelles // et ("i manquent à l'éinilien actuel, excepté, parait-il, à MantoUe et à Mirandole. I^a voyelle il est de toute façon d'origine très récente dans l'Italie du Nord ; W . Meyer-Lùbke, Gramm., I, !^ ()46, a montré que // y est postérieur à l'inflexion de o devant / et que son apparition, sur quelques points tout au moins, ne date guère que du .\F siècle. L'hy- pothèse d'une origine celtique tombe ainsi d'elle-même. i; 86. — -214 — dialectes italiens du Piémont et de la Lombardie n'ont pas conservé la moindre trace du système domnl : domnôs, il est au moins douteux qu'ils l'aient jamais connu et, même dans ce cas, sa propagation naturelle par la voie des Alpes serait tout aussi invraisemblable, si l'on songe aux difficultés des rela- tions entre les deux versants de la chaîne. Ajoutons que les montagnards des Alpes, Veragri, Ceutrones.Tebavii, Yagienni, Salassi, Beritini, etc., restèrent indépendants jusque sous Auguste et Tibère et que la domination romaine ne les assi- mila jamais complètement. Ils formaient donc entre les popu- lations de la Cisalpine et celles de la Transalpine une infran- chissable barrière qui devait forcément arrêter la propagation des phénomènes linguistiques. Cette remarque est importante, car elle conduit à cette conclusion que la véritable patrie du système clomnl : domnôs est la Gaule Transalpine elle-même, très sûrement la Provence, et qu'il ne relève point directement du latin vulgaire de l'Italie. En d'autres termes, les nominatifs en -î de la Transalpine n'ont en réalité rien de commun ni quant aux origines chronologiques, ni quant à la valeur fonctionnelle avec les pluriels italiens en -i ; le provençal tuit, tuich, franc, tiiit et l'italien tutti sont sortis du latin vulgaire *tQttl, mais par des voies et dans des conditions tout à fait différentes qui en font en réalité deux formations aussi étrangères que possible l'une à l'autre. Occupons-nous tout d'abord des formes usitées dans la péninsule et deman- dons-nous comment et dans quelles conditions le pluriel doninl, doinnae succède peu à peu en Italie aux types dom- nôs, domnâs que nous trouvons incontestablement comme formes dominantes dans le latin primitivement parlé par les Italiotes. Nous pourrons ensuite comparer domnl du nouveau latin vulgaire d'Italie avec domnt de la Transalpine et ap- précier la différence absolue qui les sépare. § 86. — Nous avons établi plus haut que la forme stricte- ment vulgaire du nominatif singulier domimis était domuô, dans quelques régions domnu, mais partout sans sifilante finale, dans la rusticitas proprement dite aussi bien que dans les pays italiotes et plus tard dans les provinces anciennement colonisées, en Sardaigne, dans la Cisalpine, en Espagne et en Afrique. Cette chute de -s final dans domno n'est, comme nous l'avons dit, qu'un épisode particulier de l'histoire de -s — "215 — § 86. en latin archaïque. Louis llavet, S latin caduc, p. :K)r), a montré qu'en latin préhistorique -.9 était devenu muet à la finale absolue, c'est-à-dire à la fin de la i)lirase, mais non point à la fin du mot à l'intérieur do la proposition '. On disait teaipos fert, mais fert tempo. Tout -.y final, dans un mot quel- conque s'est ainsi trouvé plus ou moins mobile, plus ou moins branlant et incertain. Heureusement la consonne menacée put presque partout se ressaisir, particulièrement dans les régions telles que la Sabine, le pays des Volsques, des Aurunques, des Osques et dans tout le sud de l'Italie, où -.s' final des dia- lectes indigènes n'avait jamais été sujet à aucun accident de ce genre. Dans le Latiuni, la sifflante était forcément restée un peu plus débile ; néanmoins sa chute définitive et absolue ne fut consacrée dans le parler vulgaire qu'au nominatif sin- gulier, nous avons essayé plus haut de déterminer pour quelles raisons. Il se produisit aussi, lors de la réaction qui s'opéra dans le Latium en faveur de -.v final, c'est-à-dire à l'époque d'Ennius à peu près, des restaurations indues et de véritables excès de zèle. On prononçait conueniant patrè ei patres conue- niant ou môme plus tard, par extension, /jrt/re conueniant ; on s'efforça de rétablir uniformément patres, patreis, et on eut raison. Mais, comme on disait aussi conueniant idr'i ou iiiri conueniant, on crut bien faire d'ajouter également un -s à nirï, iiirei et on prononça uirls, uireis, uirês, ce qui était à la vérité bien inattendu. On explique ces formes par un emprunt à la déclinaison en i: mais, comme l'a déjà fait remarquer Solm- sen, Indocj. ForscJi., IV, 246 sq., cette théorie est en tous points insoutenable; cf. aussi Ritschl, Opusc, II, p. 646 sq. ; IV, p. 135 sq., 317 sq., Mommsen, Rltein. Mus., IX, p. 453 sq. Tout démontre au contraire que ces nominatifs en -eis, -îs pour -ei, -l sont en relation avec l'histoire du rétablissement d^ -s final en latin. D'abord, ils ne sont point très anciens dans la langue ; car c'est décidément à tort, semble-t-il, que, mal- gré l'autorité de Priscien et de Nonius, Lucien Millier, Liui Andr. et Cn. Naeui fab. reliq., à propos de Névius, L]jc., fragm. 12, veut les attribuer déjà au vieil ennemi des Métel- \. Le cas est au moins chronologiquement différent de celui de uldus, Irit'ëmis, cf. thuîesmis, col. rostrale. i; 86. — 210 — lus, quand il écrit Ignoteis iteris sumu ; Ribbeck et plus récemment Spengel, Jahresb. Klass. Altert., LXVIII, 2, p. 199, ont rétabli la lecture ignôtl. Ces nominatifs en -eis, -ïs, -es n'apparaissent pas davantage sur les inscriptions les plus archaïques ; les plus anciens exemples sont du if siècle avant notre ère. Tel est le riptes du poisson de bronze de Fundi, chez les Volsques, CIL. 1, 532 et X, 6231, s'il est vrai qu'il faille compléter^o>wcR[PTES = cô^wcrZ/j^z, au nominatif pluriel, cf. Schneider, Dial. ital. exemp., 1, i, p. 17, n° 135. Ces formes se rencontrent aussi chez Plante et parmi les inscrip- tions presque exclusivement à l'origine dans les textes officiels. Tels sont vireis de la Lexrepetundarum, fragm. B, lign. 14; GNATEis-CEiVEis, ibid., fragm. E, :)3; facteis-ervnt de la Lex agrariaB, 28, etc., cf. Bûcheler, Latoin. Beldinr, p- 37. La langue officielle conserve cette flexion jusqu'au commen- cement de l'Empire ; dii07nuirès, magistrès, minktru ou miimtrè>i, le plus souvent avec -es k partir de César, sont des formes pour ainsi dire consacrées dont les exemples abondent relativement jusqu'à une basse époque. Ces nominatifs en -eis, -ïs ne sauraient donc passer pour des vulgarismes ; ce sont tout au contraire des formes d'ori- gine savante qui tout d'abord ont peut-être été purement or- thographiques, comme le français Irgs où le g, quoique repo- sant sur une fausse étymologie, a néanmoins fini par s'introduire dans la prononciation courante. De même, les nominatifs latins en -îs ont fini par pénétrer dans le parler vulgaire du Latium et des régions voisines. La dedicatio Vertuleioruni, de Sora, chez les Volsques, CIL. 1, 1175, dont la langue porte des caractères de vulgarité assez marquée, en offre deux exemples, notamment leibereis-lvbe | tes-donv-danvntV Ce texte est du début du vu* siècle de Rome, c'est-à-dire de la seconde moitié du if siècle avant notre ère. Enfin, un autre caractère de la flexion -îs, c'est d'être à l'origine très nettement limitée au Latium et aux contrées limitrophes ; si la formuje heisce-magistreis, cil. I, 563, 565, 566, heisce-maglstris, ibid., I, 1478, se rencontre aussi sur les inscriptions de Capoue vers la fin du ii" siècle, à côté de heisce-magistrei, 1. L'autre exein})le, vep.tvi.eieis, en sa (|ualité d(^ thème en -;"o-, contient peut-être directement l'ancienne llexion italique, cf. sarde -eri : plur. -cris. — -217 — § 86. ibid., X, 3778, etc., si le nominatif magis/rris apparaît anssi chez les Falisques, Deecke n" G2 ù, et môme en Espagne, notamment CIL. II, 3433, et quelques autres, cola ne pré- juge absolument rien quant au latin parlé par le peuple de ces contrées. De mémo la sententia Minuciorum, où ces formes abondent, quoique rédigée pour les Génois et décou- verte effectivement à Gènes, a été formulée à Rome aux ides de décembre de 637, cf. lign. 4. A notre connaissance, on ne rencontre cà l'époque républicaine aucun exemple concluant d'un nominatif vulgaire en -eis, -ts de la deuxième déclinai- son ni dans la Sabine, ni en Ombrie, ni dans aucune des régions où dominaient les nominatifs italiques en -ôs. Les nominatifs du type factls, llbcru, sont donc à l'origine un produit artificiel de la langue spécialement romaine. Une fois que ces formes eurent pénétré, vers le milieu du ii" siècle, dans le parler vulgaire du Latium, elles préparèrent d'une part la fusion des types domnt ou doinnls, domnëa et patrïs y patres, première étape vers les pluriels italiens biioni: forti; d'autre part, une fois pourvus de -y, les anciens nomi- natifs en -ï(.s-) ou -ci[^) tendaient à fonctionner également comme accusatifs, sur le modèle des noms de la troisième déclinaison ; patres ou patrts nominatif-accusatif entraîne magistrïs nominatif-accusatif. C'est ainsi que la Lex repetun- darum, CIL. I, 198, 1. 14, écrit à l'accusatif scriptes pour .«?ry7/>/fw; autrement dit, dans le parler spécialement rustique du Latium, domnl ou domnts n'est plus exclusivement compris ni senti comme nominatif et commence à faire la concurrence à l'ancien accusatif domnôs qui perd insensiblement du ter- rain. Si en effet, comme on l'admet d'ordinaire, donmîs ou domnl était constamment resté en Italie cantonné dans les fonctions de nominatif en regard de domnôs fonctionnant comme accusatif, il serait impossible, à notre avis, d'expli- quer dans le latin vulgaire impérial de l'Italie des rections telles que, à partir du m" siècle de notre ère environ, ad amïcl, de boni, par libri, etc., et d'une façon générale le pluriel italien serait inexplicable ; car jamais, dans aucune langue indo-européenne, le nominatif ne succède directement aux cas obliques. Vers l'époque de SjUa et de César, le datif commence à disparaître peu à peu de la grammaire vulgaire, excepté dans certaines formes pronominales. Déjà la Lex Furfensis écrit § 87. — -JIS — AD-EAMAEDEMDONVM-DATVM, lign. 7 ; AD-ID-TEMPLVM-DATA, lign. 13. Dans le Latium, ridentité de domm{s) nominatif- accusatif avec donnns datif-ablatif favorise à la fois l'aban- don du datif et l'introduction de (/om)n\s) comme cas indirect; donmls datif devient tout naturellement ad donnûs. De son côté pali'ihus ou patribo{s) ne tarde pas à s'éteindre ; déjà à Pompéi une inscription souvent citée donne cvM-DiscENrES. Ajoutons-y astante-civibvs, CIL. V, 895, compromis entre asfanfîs (luis vulgaire et adstautilius cluihus classique. On peut comparer aussi Nobiscum non noscum, App. Probi, cf. portug. comnosco, etc. 11 faut remarquer en effet que la flexion -bus, dans les pays osco-ombriens, ne trouve aucun écho dans les dialectes indigènes; patri/jo[s) passe de lui-môme à *patns, cf. osque Hgis <( legibus )), ombr, homonus « hominibus » etc., où -s pour -fs sorti de -fos ne rappelait en aucune façon la parenté primitive avec -bus latin. Dans le Latium, où l'on prononce depuis quelque temps patrïs plutôt que patres au nominatif-accusatif pluriel, l'identité avec dommi^s) suggère tout naturellement le da.tiî ad patrls, lequel cadre exactement avec ad doninïs et pousse à la fusion d(jm7il[s) : patn[s) '. § 87. — La langue vulgaire du Latium, une fois en possession du nominatif domnls, amtcls, bonis, ne pouvait manquer de soumettre à un traitement analogue les seuls nominatifs plu- riels génériques encore dépourvus de -s, c'est-à-dire les fémi- nins domnae, anilcae, bonae. D'après domnï : dormvts, on inaugura le type domnae : domnacs. Celte formation toutefois n'est pas fort ancienne ; du moins les inscriptions républi- caines ne nous en ont guère laissé d'exemples. 11 semble même que -aes ait d'abord fonctionné comme génitif singulier au lieu de -ae : tel est pesceniaes-o-l-lavdicaes-ossa-heic- siTA-svNT, CIL. I, 1212, Capoue, i'"'" siècle avant J.-C. On peut y voir un compromis entre -ae désinence latine et -as désinence itali(|ue, ce qui supi)(,)se également un génitif masculin -is pour -^ d'après Tosco-ombrien -els, -es, non attesté, il est vrai, par l'épigraphie républicaine. Les génitifs grecs en -■/;; peuvent de leur côté, mais postérieurement, c'est-à-dire lors des premières inlluences du grec littéraire 1. Lors de la colonisation de la Sardaigne et de l'Espagne, -es seul était en usage ; -u s'est donc généralisé plus tard dans l'idiome parlé. — -210 — S; 87. de l'Attique, avoir favorisé la forme -acx dans une certaine mesure ; on remarquera en effet que la flexion -acs. se ren- contre fréquemment dans les noms ^recs, cf. helenaes CIL. VIII, 9347, mais pourtant point d'une manière exclusive, cf. ALAES « alae » CIL. VIII, 6707. Quoi qu'il en soit, comme nominatif pluriel tout au moins, la désinence -«e.v ne saurait passer pour une imitation hellénique : elle est effec- tivement attestée dans cette fonction, non seulement en Italie, mais aussi dans les colonies. Sur une inscription d'un carac- tère nettement vulgaire, provenant d'Auzia, en Mauritanie, on a le nominatif pluriel sportvlaes à côté de sportvlae CIL. VIII, 9052. A notre avis, ces formes ne peuvent être interprétées que comme une imitation analogique du mas- culin -ï : -is et leur patrie première ne peut avoir été que le Latium. On a déjà beaucoup écrit sur ces formes bizarres, sur lesquelles on trouvera chez Planta, II, 88, des remarques précieuses et nouvelles. Néanmoins pour le nominatif pluriel, nous ne croyons pas à une influence italique dont il est im- possible du reste de donner des preuves, et nous maintenons absolument notre explication, à savoir que l'analogie seule de -l : -Js a engendré -ae : -aes. Ainsi, tandis que dans la plus grande partie de l'Italie proprement dite, le système donmùs : domnâs : patres usur- pait de bonne heure les fonctions de casus generalis du plu- riel, il se formait dans le Latium un type de flexion d'un caractère très différent quant à la provenance et à l'histoire, mais qui réalisait l'unification fonctionnelle d'une manière plus intime encore que dans le système spécialement italique : domms : domnaes : patrïs. Au point de vue chronologique, le système italique est assurément plus ancien ; il a dû com- mencer à s'établir dans les régions osco-ombriennes dès les premiers temps de la colonisation romaine ; car, je le répète, il nous paraît difficile d'imaginer quelesitaliotes aient jamais pu, tant qu'ils continuèrent à parler leurs dialectes indigènes, se représenter des nominatifs pluriels terminés en -l ou en -ae. C'est, comme nous l'avons vu, lé système -os : -as : -es qu'emportèrent avec eux les colons qui, de toutes les régions de la péninsule, commencèrent la latinisation des pays conquis avant le if siècle ou dans le courant de ce siècle. Vers le milieu de ce même siècle, la rusticitas du Latium, jusque-là plus fidèle, semble-t-il, à la distinction du nominatif domnl, § 88. — •2'2{) — domnae et de l'accusatif domnùs, domnâs, est troublée à son tour dans sa conception de la déclinaison et inaugure peu à peu, pour les raisons que nous avons dites, le compromis flexionnel donmîs : do)iniacs. A l'époque de César, ce système . doit être déjà assez solidement établi dans le parler vulgaire du Latiuni ; néanmoins, il est probable qu'avec le temps il eût fini par succomber, comme tant d'autres formes de la rusticitas exclusivement latine, devant la concurrence redou- table du parler italique et du latin provincial, si une circons- tance imprévue n'était venue déranger toute l'harmonie du système jusque-là en vigueur dans la péninsule. En Orabrie, -s final, miraculeusement sauvé dans le Latium, était devenu définitivement caduc et sa chute, désormais irréparable, ruina du même coup tout l'édifice des pluriels en -os, -as, -es. § 88. — Ce phénomène est naturellement lié d'une façon étroite à l'histoire de -s en latin et il y a tout lieu de croire que l'accident survenu à -s final en latin vers la fin du iv^ siècle ou dans le cours du m" n'est qu'un épisode du grand procès do paralysie progressive que traversa à cette époque la sifflante dans toute l'Italie du Nord. Seulement, en Ombrie, où le mal paraît avoir pris naissance, le phénomène fut plus compliqué que dans le Latium. La sifflante finale y obéit à ■ toutes les lois imposées par la phonétique syntactique, c'est- à-dire qu'elle tomba en finale absolue, suivant l'hypothèse de Louis Havet pour le latin, et peut-être devant consonne douce ; elle se maintint d'abord devant forte et passa à -r entre voyelles, étape dont il y a, semble-t-il, quelques traces en latin, par exemple le fameux ueter arbos, de iietës gr. * Ft-r,:, suivi de quirqinr est, Varr., Ling. lat., VII, 8, proprement * quisquir est, cf. en élidien optip pour *oc7T'.p, grec classique o;t'.ç, Osthoff, Litt. Centr. Blatt., 1879, p. 1096, Krsek, Listij filoL, XIX, 5, ;549 sq. ; cf. aussi G. Meyer, Gnecli. Gramm., p. 227. On disait donc à cette époque en ombrien totâs furent, furent tôtâ, « ciuitates erunt », totdr essâ « eiuitates istae ». Ces phénomènes s'étendent sur une immense étendue de ter- ritoire ; car, sans parler des faits observés en latin, ils em- brassaient sûrement d'un côté le sud de l'F.trurie, l'Ager faliscus en particulier, cf. Deecke, Falish., p. 25G sq., de l'autre les diff'érentes régions du Picénum, cf. Planta, I, — ->-2I — § 88. § 256, p. 588. La chute de -s tinal a ég'alement gagné le niarse et le pélignien, mais, à ce que nous croyons, aune époque plus récente; le génitif /o/'/e pour /br/zs de l'épitaphe de C. Annaes de Corfinium, qui ne nous paraît pas pouvoir être reculée au delà de l'époque de César', montre simplement comment la chute de -s final commence à la fin de la Répu- blique à se propager en Italie. Dès le temps de la Guerre Sociale, nous avons vu les nominatifs singuliers sans -s péné- trer dans le Samnium et nous les trouvons, sous Auguste, installés parmi les briquetiers de Pompéi, voir plus haut, p. 179. Mais rOmbrie resta toujours le centre de ces phénomènes, le grand foyer d'où raj'onna sur toute la latinité italique l'ex- tinction générale de la sifïïante. Durant plusieurs siècles semble-t-il, les différents dialectes ombriens se débattirent constamment entre les doublets syntactiques tôtâs, lôtûr, tôtà et cherchèrent, sans jamais y arriver pleinement, à en tirer un système uniforme. Au moment où commencent les monuments historiques de l'ombrien, nous voyons que le dia- lecte d'Amérie s'est généralement décidé pour le rétablisse- ment de -s, Tuder au contraire favorise visiblement les formes sans sifflante, tandis que Fulginium et Assisium optent en faveur de -r, cf. Planta, I, § 256, p. 581 sq. A Iguvium, il faut croire que la mode fut d'abord, dans l'ancienne langue du rituel, de conserver -s au moins dans l'écriture ; les tables \ a ei\ b par exemple, contre 39 exemples de -s final conservé, n'en ont que trois sans sifflante ; la table II a au contraire favorise la graphie sans -s. A la partie de la table V, c'est -r qui devient la forme dominante. Ce qui prouve bien en tout cas qu'il ne faut point chercher de distinction chronolo- gique entre les formes avec -s et celles avec -r, c'est que celles- ci apparaissent déjà sur les tables les plus anciennes ; on en a du moins un exemple sùriadiper arves, Irt27,adeper arves, \b 30 et 33, à côté de adepes arves \a 6, etc., et adepe arves, I^ 26, etc. Dans la suite, lorsque la finale -r tendit à se généraliser, certaines formes morphologiques échappèrent sans doute, par une sorte de sélection naturelle analogue aux 1. C'est ce qui ressort à nos yeux tant des caractères épigraphiques de l'inscription que de l'incontestable mélange de mots et de formes latines dont ce court texte abonde. § 89. — '2-2-2 — faits connexes qu'on observe en latin lors du rétablissement de -5, à la réintroduction systématique de la finale. C'est ainsi que, d'après la remarque de Planta, I, p. 583, la deuxième personne du singulier se montre sans -s ou -r tînal avec une persistance marquée. D'après l'ombrien hen « tu veux », an peut supposer que le latin vulgaire de l'Ombrie prononçait de même, dès l'époque la plus ancienne, * midi ou * ôdi pour audls, * pdvfi \>Ç)m: parfis et par analogie */?mof7 ou * fiinnl pour fundis, * cantï ou * ((nidi pour cantës : c'est l'origine des deuxièmes personnes en -i de l'italien moderne. Il y a, à nos yeux, un lien direct entre l'ombrien si « sis » et l'ancien ita- lien si, aujourd'hui sii forme analogique, cf. Mohl, Le Couple roman lui : lei, § 11 . Les anciennes finales ombriennes en -s n'étaient point, tant s'en faut, au bout de leurs vicissitudes et de nouveaux déboires les attendaient. Il était, semble-t-il, dans leur destinée d'être contrecarrées toujours par le mauvais sort dans leurs efforts séculaires pour se maintenir et se fixer définitivement dans la langue. A peine -s final était-il en voie de se rétablir en ombrien sous forme de -r, qu'un nouveau péril vint menacer la tentative nouvelle : une loi, partie probablement du pays des Falisques, où on en trouve les plus anciens exemples, mate, iixo, etc., ébranla à son tour -r final, primitif ou secon- daire. Au moment où furent gravées les Tables Eugubines, cette loi avait déjà pénétré en Ombrie et déjà l'orthographe commençait à en tenir compte; on écrit emantu, Y a, 10, à côté de emantur, V a, 8. Dès lors, -r final issu de -s primitif devait à brève échéance succomber à son tour et il est plus que probable que, dès le temps de Sylla ou de César, l'ombrien parlé — sans doute bien différent de l'idiome littéraire des Tables, voir plus haut, p. 112. —n'en offrait déjà plus nulle part de traces. La tentative si laborieusement poursuivie en vue de rétablir -s sous sa forme rhotacisée avortait donc, elle aussi; on se trouvait ramené au type lôtâ, au matrona- PISAVRESE, CIL. I, 173, du latin provincial du Pisaurum, et désormais l'ancien -s était à jamais condamné dans tout le nord de l'Italie proprement dite. § 89. — Or, c'était à peu près l'époque où, après les tem- pêtes de la Guerre Sociale, toutes les populations de la pénin- sule, remuées jusrjuc dans leurs nuisses profondes, ])oulever- — 22:î — !^ 89. sées et confondues, dispersées et mêlées, voyaient, avec la ruine de leurs libertés anciennes, s'écrouler les derniers ves- tiges de leur originalité, de leurs institutions, de leurs mœurs, de leurs langues. Des nations entières sont transportées, arrachées à leurs patries primitives, et des peuples de colons, ramassés par toute l'Italie, viennent repeupler ces déserts artificiels créés par la guerre et la politique implacable de Rome victorieuse. Désormais, il n'y a plus d'Italiotes, il n'y a plus que des Romains par toute l'Italie. Nous avons essayé de montrer comment, dans cette chute au néant de toutes les petites nationalités itali(iues, un peuple pourtant resta debout, servit de pépinière d'hommes lorsiju'il s'agit, après qu'on eut dévasté l'Italie, do la repeupler et de l'unifier. Ce furent les populations du nord qui, concurremment avec les Latins proprement dits et les soldats des légions, reçurent de la poli- tique romaine et du hasard des circonstances la tâche de cette réédiflcation de l'Italie. L'osque fut expulsé du Samnium et de la Lucanie et bientôt le latin, avec tous les traits carac- téristiques de la prononciation du nord, envahit 'tout le sud de la péninsule jusqu'aux villes grecques de la côte. Désormais la lutte linguistique n'existe plus qu'entre le latin provincial originaire de l'Ombrie et du Picéuum et le latin des colons du Latium et des légions. Jamais le contact de ces deux langages n'avait été aussi intime ni aussi constant; jamais aussi la pénétration de l'un par l'autre ne fut ni plus rapide ni plus complète. C'est proprement à ce moment là que la 7.:'.v^ ita- lique, la langue vulgaire générale de l'Italie, s'alilrma d'une façon définitive. Or, entre le latin du nord qui avait réduit domfiôs à domnô, domnâs à domnâ, et le latin du Latium (|ui tendait à sub- stituer à l'accusatif doninôs do))inâs le nominatif dotnnl domnac, après l'avoir fait passer par le stade domnls dom- naes, la victoire ne pouvait être douteuse : elle resta sur ce point à \'à rustlcitas GoxiivQ. \di perrgriidtas italique. Seulement, ce ne furent point les formes éphémères dom/iîs, doninacs qui triomphèrent comme casus generalis. D'une part la chute de la sifflante finale était trop profondément entrée dans les habitudes italiques de cette époque pour tolérer cette excep- tion, d'autre part la langue littéraire, alors dans toute la gloire de son âge d'or, imposait trop bien aux populations latines la norme de ses nominatifs doitiini doiiiinac puur que, des deux |< 80. — -i-ii — côtés à la fuis, le pluriel dornnï doinmic ne s'imposât, et du même coup patrl, flDn au lieu de patr'is, florïs. 11 n'en est pas moins vrai que, si les anciens nominatifs domnî{s) dumnae[s) n'avaient déjà commencé dans le Latium à fonctionner, dès l'époque républicaine, en qualité d'accu- satifs, jamais ils n'eussent pu s'imposer à l'Italie comme casus generalis et l'italien ne nous offrirait point aujourd'hui ses pluriels en -i et en -e. La chute de la sifflante dans do7n- nO{s) domnâ[s) n'eût jamais été un motif assez puissant pour violer toutes les lois de la logique grammaticale et imposer un nominatif en qualité de cas oblique. La langue, comme l'a si bien remarqué BréaP, ne s'embarrasse pas pour si peu; elle se fût probablement tirée de la difficulté en sauvant la sifflante par l'addition d'une voyelle éphelcystique, comme elle l'a fait pour amano = amun[l), comme le fait le campidanien dans fagene = * facen[t), amanta = amâbant, le logudorien dans battoro pour v. sarde batlor = quattuor, comme l'a fait le germanique primitif dans * pan-o * paf-o, lorsqu'il s'est agi de sauver les finales de "pan, * pat, cf. Mohl, Mrm. Soc. Ling., VI, 267. Sous Auguste, on peut considérer les pluriels domni, dom- nae comme dominants dans l'Italie centrale. Désormais, la propagation de ces flexions dans la péninsule entière n'est plus qu'une question de temps. La Campanie, l'Apulie, la Sicile ont été sans doute les derniers refuges des vieux types dotnnôs, domnàs. Si nous avions de ces régions des textes d'un caractère nettement vulgaire et d'une date suffisamment ancienne, si par exemple Oiullo d'Alcarao avait vécu quatre ou cinq siècles plus tôt, il est })Ossible que nous pourrions encore atteindre dans ces régions des pluriels en -os et en -«s. Dans le nord, la propagation a dû s'effectuer plus rapidement parmi les populations si mêlées et déjà si protVmdément lati- nisées de la Cisalpine. Toutefois, encore aujourd'hui, -s final 1. . -l'M) — nos, devenu nû, va après la chute de la sifflante, puis pourvu de V-î des nouveaux pluriels : de là l'italien noi, voP . Ces formes étaient constituées dès le if siècle, puisque nous les retrouvons dans le roumain noî, vol. § 92. — 11 est donc clair, comme nous l'avons dit, que le nominatif domnî du latin des Gaules ne saurait en aucune façon être directement rattaché au casus generalis domnï du latin impérial en Italie. Dans le latin des Gaules, domni pas plus que le singulier do7nmis, ne relève directement du parler vulgaire général de l'Empire romain. Sur ce point, domnus est encore plus significatif que domm. De ce que dans les Gaules le nominatif singulier en -us se conserve conformé- ment à l'usage classique, on conclut sans hésiter que cette forme doit être attribuée d'une manière uniforme au latin vulgaire de toutes les provinces ; la déclinaison aurait existé dans l'Empire tout entier et n'aurait été abolie dans la plupart des régions qu'à l'époque romane. Franchement, c'est aller bien vite en besogne et, dans ce désir quelque peu chimérique de reconstruire à tout prix un latin vulgaire unique, rendant théoriquement compte de toutes les formes romanes, même des plus contradictoires, on néglige un peu trop de consulter l'histoire. Comment admettre par exemple que, si la décli- naison doînnus : domnu ; — domiû : domnôs avait réellement fonctionné dans le latin vulgaire de l'Espagne, de la Sardaigne, de ritalie ou do la Dacie, elle eût, avec un accord aussi par- fait et aussi absolu, disparu partout sans laisser après elle le moindre vestige ? En Italie notamment, le nommdiixî dojmio est attesté par les inscriptions républicaines avec une persistance qui ne permet point de douter que telle était effectivement la véritable forme vulgaire. D'un autre côté, on reconnaît que -s final tombe d'une façon générale en Italie à partir de la mort de César et que les formes sans -s sont prépondérantes dès le \f siècle de notre 1. En principe, nous n'admettons point le passage direct de -s final à -i en italien, tel qu'on l'enseigne universellement aujourd'hui. Nous croyons à une chute pure et simple de -s, telle qu'elle est attestée par l'épigraphie ; ami, canii, etc., est une extension purement analogique de -î de sentl(s), parlï(x), etc., probablement d'abord par l'intermé- diaire du subjonctif, ca7in(s) pour caiili'(s). Très donne trc et r\on* /rei, bien qu'on dise sci ; crai, à côté de più, doit sans doute son -i à otjgi, ieri ; tous ces cas sont analogiques. ère, cf. W. Meyer-Lûbko, Lafein. S/jr., § 22, môme en mono- syllabe, cf. PLv, inscription du m' siècle dans Schuchardt, Vok., II, 389. Il faudrait' donc admettre que l'ancien doi/uio n'aurait été remplacé par domnus dans le parler d'Italie que pour repasser immédiatement après à domnu, d'où presque aussitôt vQiowv k domno . Voilà certes des croisements phonéti- ques bien compliqués et d'autant plus extraordinaires qu'on ne peut citer, pour étayer un peu la théorie, pas même le plus insi- gnifiant docnment historique. N'est-il pas, à tout prendre, infi- niment plus probable que le domino des inscriptions républi- caines n'a on réalité jamais cessé d'être, en Italie, la forme dominante ai ([lie doniùms ne s'y est jamais réintroduit dans le parler vraiment populaire? Si domnus, tel qu'il apparaît en Gaule, était réellement quelque chose d'ancien, si le nominatif en -i(s avait réellement existé de fondation dans le latin vul- gaire, comment l'Espagne, colonisée avant la Gaule, n'en aurait-elle conservé aucun souvenir? Comment le sarde sur- tout, qui garde avec une si étonnante fidélité toutes les formes anciennes du latin, aurait-il abandonné si complètement la déclinaison, au moins sous la forme si simple et si commode qu'elle a prise en Gaule ? Les nominatifs en -us pourtant n'étaient point faits pour l'effrayer, puisqu'aujourd'hui encore le logudorion conserve le type tempus sing. : tempos plur. Qu'il y ait eu partout, et de tout temps, de sérieuses tenta- tives de la part de la langue classique pour réintroduire les llexions nominales dans le latin parlé des campagnes et des classes illettrées, nous n'aurons garde de le nier, bien au contraire. Nous croyons même fermement que l'influence du langage officiel n'a jamais cessé de combattre la scission an- cienne entre les pluriels en-ï, -ae ei-ôs, -as dans les différentes régions de la Romania ; domni domnae en Italie faisait aux lettrés l'effet d'un nominatif, domnôs domnàs en Espagne, en Sardaigne, dans l'Italie du Sud, passait pour l'accusatif clas- sique. Il y avait certainement, dans les légions, les villes mari- times, les grandes places de commerce, les centres coloniaux importants, des individus qui employaient promiscue les formes en-I, -ae et les formes en -ôs, -as. Mais de là à rétablir ces for- mes dans leurs fonctions primitives, il y avait loin ; c'était une tâche d'autant plus impossible qu'il eût fallu bouleverser com- plètement les habitudes S3iitactiques de la langue vulgaire, transformer complètement son génie grammatical, lui faire re- 5; 92. — 23-2 — noncer, puur un système passablement compliqué, au système assurément plus simple et plus commode qu'elle s'était créé elle-même. En Espagne par exemple, un mot qui avait d'abord été introduit, au in" siècle avant J.-C, probablement sons sa forme archaïque et italique * homonës, cî. osque humuns, ombr. homonus, pouvait très aisément par la suite, grâce aux relations de plus en plus étroites du pays avec la métropole et les grands centres romains, être rajeuni en hominés ou homnès; mais il y avait peu d'espoir de réintroduire jamais en Espagne domim à côté de domnâs. C'est ainsi qu'aujour- d'hui on pourra bien apprendre aux paysans picards à pro- noncer, quand ils parlent français, ce chat et non che cat, mais il y a peu d'espoir qu'ils adoptent jamais l'imparfait du subjonctif de la langue académique. Ce sont des retours en arrière trop compliqués auxquels la langue parlée ne se plie jamais. En Gaule, la situation était sensiblement différente de ce qu'elle était dans les autres provinces déjà conquises. César et Auguste se trouvaient ici en face d'une terre vierge d'italismes, où le latin officiel de Rome n'avait point à déraciner, avant s'implanter, d'anciennes habitudes linguistiques contractées avant la constitution définitive de l'idiome classique, à une époque où l'influence des dialectes italiques était encore toute- puissante dans le parler vulgaire des légions et des colons. La langue officielle des proconsuls, des préteurs, des fonction- naires civils et militaires pouvait ici lutter avec beaucoup plus de succès qu'ailleurs contre les usages du parler italique. C'était d'ailleurs l'époque où, en Italie, la flexion -1, -ae com- mençait à se substituer, pour des raisons phonétiques, à l'an- cienne flexion -ùs, -as des pays osco-ombriens ; une certaine hésitation devait donc régner à l'égard de ces formes parmi les colons amenés d'Italie. Enfin, on voudra bien ne pas oublier ce que nous avons fait remarquer déjà à propos du langage des émigrants qui, même parmi les classes illettrées, est for- cément beaucoup plus voisin de l'idiome officiel et infiniment moins dialectal que celui des populations rurales qui restent confinées dans leurs villages et leurs hameaux. C'étaient là assurément des circonstances favorables pour une résurrection des formes classiques dans les Gaules: mais encore fallait-il que ces formes ne contrariassent pas trop les habitudes syntactiques des dialectes indigènes que l'idiome — ^2'^'^ — § 93. nouveau était appelé à remplacer insensiblement. Si le celtique n'avait pas possédé le nominatif *e/;7 à côté de l'accusatif *e;?Ô5, jamais la déclinaison domnî : domnôs ne serait parvenue à reprendre pied dans la Gaule, pas plus que donmâs n'aurait probablement jamais fonctionné comme nominatif en latin vul- gaire, si précisément cette forme n'avait répondu, par sa désinence, au nominatif dans les vieux dialectes italiques aussi bien que dans les parlers celtiques. De même, si le type domnae n'est point parvenu à s'introduire dans le latin de la Transal- pine, c'est uniquement parce que les dialectes celtiques n'of- raient rien de comparable à cette désinence. Si enfin le nomi- natif do)nniis, inconnu au monde romain tout entier, est ressuscité sur terre gauloise et, après une léthargie de trois ou quatre cents ans, rappelé à la vie de la langue parlée, c'est parce que le gaulois avait conservé intact le nominatif en -os et que -s final est constamment demeuré valide dans le domaine celtique. § 93. — Lorsque le latin littéraire a voulu aller plus loin et imposer ses autres flexions au parler gallo-romain, il a échoué, car la complicité de la langue indigène lui faisait ici défaut pour contrecarrer l'invasion du système vulgaire. Le latin populaire, comme le vieux latin provincial d'Italie, a toujours ignoré, dans les noms tout au moins, le génitif pluriel en -ôrum, dont la propagation d'ailleurs est récente en latin classique. Le peuple s'en tenait partout à la flexion * -om ou -o(m), cf. ROMANOM, CIL. I, 1 ; ROMANO. ib., I, L3c, sur les monnaies romaines du iif siècle avant J.-C, ; PAISTANO, CIL. I, 17, SVESANO, ib., I, 16; socivm, Sénatus-Consulte des Bacchanales, lign. 7, Lex agraria, fragm. B, 21, etc.; deVm, Gruter, 29, 2; dvvmviratvm, Insc. regn. Neap., 2096 [ûm = dm, -ûm) ; dvvm pour duôrum, sur une inscription assez récente de Césarée, Ephem. Epigr., V, 1030, autres exemples chez Biicheler, Lalein. Deklin.^, 84 sq. L'osque et l'ombrien n'ont jamais connu d'autre flexion: osq. Abellanùm, Nùvla- ni'im, \zj/.y.'iz\j., zkolom; ombr. pihaklu, pihaclo, etc. 11 ne saurait donc y avoir de doute sur ce point : le latin provincial d'Italie, c'est-à-dire l'ancien latin vulgaire, disait au génitif ^\\xv\q\* domnô . L'érudition maladroite des demi-lettrés s'ef- force parfois de rétablir la désinence classique -urum ; le gra- veur sait par exemple que -o vulgaire, au génitif pluriel, est ij 93. — •2.'^4 — -orum en latin littéraire : sans hésiter il écrit omniorym, cf. Schuchardt, Vok., I, 35, de même que d'autres disent boiiprum pour boum, nucerum pour nucimn, lapiderwn pour lapidum, d'après generum, etc., Bùchelor, Lat. Deklin., § 193, cf. aussi CIL. III, 2602 meservm, gén. plur. de mênsis. En Gaule, il }■ eut, de la part de la langue otïîcielle, une ten- tative en faveur de -ôriim, -ôrw, elle réussit fort mal, parce que le celtique ne connaissait à ce cas que la désinence -on, et elle ne transmit à l'époque romane que de maigres vestiges : Francor, ancienor, chrktianor ; la ley 'payanor chez Raimon Feraiit, Vida de Sant Honorât, etc. Il en fut en somme du génit. plur. comme du comparatif on -ior qui, lui aussi et probablement à la même époque et dans les mêmes conditions, essaya de reprendre sa place dans la langue vulgaire. Une forme telle que v. fr. hauçor, prov. ausso?', lat. aitiôre, peut à la rigueur passer, suivant l'expression aujourd'hui consacrée, pour un « mot savant ». Mais la formation même d'un adjec- tif tel que * beilâtus, qu'il faut absolument reconnaître à la base du v. fr. beliezour, prov. belazor a.cc., be/airenomm., n'est-elle point une preuve éclatante du caractère essentielle- ment vulgaire que gardaient, malgré tout, ces formes ? S'il s'agissait réellement d'un emprunt savant, point de doute qu'on n'eût beliio?% de bel/us, au lieu d'un dérivé aussi résolu- ment barbare que * beilâtus: * bellâtior. 'Il n'en est pas moins vi'ai qu'entre les génitifs en -or du provençal et du français et les autres cas de la déclinaison gallo-romane, il n'y a point la différence essentielle qu'on se plaît à établir entre ces formes. Un génitif tel que payanor est bien moins une pédanterie de la langue ecclésiastique du moyen âge qu'une épave sauvée par elle d'une formation savante plus ancienne mais mal venue dans l'idiome vulgaire. On ne peut logiquement voir la raison d'être de ces formes que si le peuple avait tout au moins le sentiment de leur valeur. Nous ne prétendons point assurément que l'introduc- tion des génitifs en -Orum dans le latin vulgaire des Gaules soit exactement contemporaine de la réintroduction des nomi- natifs en -us par exemple ; nous constatons simplement ({ue l'influence de l'idiome littéraire est aussi indiscutable dans un cas que dans l'autre. C'est ainsi, et en tenant compte des réserves que nous avons faites, que la théorie d'Eyssonhardl touchant le rôle de la langue littéraire dans la constitution du latin vulgaire nous paraît correspondre à la réalité des faits, sans que les objec- tions de Sittl soient de nature à l'infirmer. V LA LATINITK DES PROVINCES SoAiMAiRE : SS 94-95. Caractères et origines du lalin des provinces. — 2f, 9G-99. Formules chronologiques ; le lalin d'Afrique ; le lalin d'Espagne ; appau- vrissement progressif du système verbal. — ;^^1 100-101. Archaïsmes dans le lalin des Gaules. — g;^ 102-103. Survivances dialectales en Italie. — SS 104-108. Situation particulière de la Dacie ; importations provinciales et échanges réciproques. § 94. — Pour bien comprendre comment le latin littéraire a constamment servi de norme et de correctif à la langue vul- gaire, comment la phonétique, le vocabulaire, les formes même sont toujours restés soumis à l'influence du langage officiel, comment enfin celui-ci s'efl'orce sans cesse de détruire dans tous les parlers de l'Empire les anciens germes dialec- taux, tout en prévenant autant que possible la création d'un nouveau morcellement dialectal, il est nécessaire de jeter un coup d'œil sur l'histoire externe de la latinité dans les diverses provinces de l'Empire. Le latin, en effet, non seulement ne s'est pas développé parallèlement et simultanément dans toutes les parties de la Romania, mais encore il a été apporté dans les diff'érentes colonies de Rome dans des conditions et souvent par des voies et des moyens sensiblement opposés. Jusqu'à présent, nous nous sommes appliqué à montrer que les origines du latin vulgaire doivent être cherchées principa- lement dans le vieux latin et les anciens dialectes italiques; le latin officiel de Rome est ensuite intervenu dans une très large mesure et s'est eff"orcé, pendant toute la durée de 'la période impériale principalement, d'unifier les dialectes vul- gaires primitifs, de leur imposer ses formes et son vocabu- laire, exactement comme dans l'Europe moderne les grands idiomes littéraires combattent et détruisent peu à pou partout les patois vulgaires et rustiques. Dans cent ans, il est plus que probable qu'il n'existera plus, sur toute l'étendue du territoire — TM — ^ 95. français, aucun patois l(3cal vivant; seulement, il est douteux que cette future •/.z'M■^^ de, la France arrive jamais à rejoindre d'une manière absolument adéquate l'idiome littéraire et offi- ciel. Elle tendra de plus en plus à s'identifier avec lui, elle pourra même s'en rapprocher le plus possible, mais néan- moins les survivances patoises persisteront dans des propor- tions d'autant plus considérables que les divergences dialec- tales seront plus anciennes et établies par de plus longues habitudes linguistiques. Quant aux régions soumises à l'inlluence d'idiomes étran- gers, par exemple en France les parties romanisées de la Flandre ou de la Bretagne ou les districts limitrophes des pays basques, il faut, sans aucun doute, tenir compte de l'action exercée par le voisinage de la langue étrangère; mais, pour peu que la romanisation de ces régions soit rapide et méthodi- quement conduite, les traces des idiomes indigènes primitifs seront d'autant moins nombreuses et moins persistantes que la langue originelle était plus éloignée par ses formes et sa syntaxe de l'idiome importé. Si les comparaisons empruntées aux scien- ces naturelles étaient encore en usage en philologie, nous rap- pellerions que de même en bactériologie on constate que des raicroorganismes de nature différente et nettement hétérogènes ne peuvent vivre dans un môme tissu en simple symbiose ; des microbes non-apparentés aboutissent généralement à un pro- cès guerrier et finissent par la destruction radicale de l'une des deux colonies ; au contraire, des bacilles de même espèce, des staphylocoques et des streptocoques par exemple, s'unis- sent dans leur évolution commune. C'est ce que nous avons constaté également dans l'évolution du latin dans des milieux linguistiques non apparentés, chez les Ibères ou les Etrusques par exemple. § 95. — Si donc le latin développé dans les provinces n'a le plus souvent subi l'inlluence des idiomes indigènes que dans une mesure assez restreinte, nous devons nous demander si les phénomènes linguistiques qui caractérisent chacune des langues romanes — bien entendu en tant que ces phénomènes sont assez anciens pour pouvoir être attribués au latin vulgaire de la province — ont été importés d'Italie ou s'ils se sont développés séparément dans chaque région après la conquête. En d'autres termes, nous avons à distinguer, dans chaque § 95. — -238 — province, entre les faits importés d'Italie par les colons et les relations mutuelles (car les échanges sont parfois réci- proques et le latin d'Italie contient sûrement, à partir d'une certaine époque, des provincialismes apportés d'Afrique, de Gaule ou d'Espagne) — et les faits éclos dans la latinité pro- vinciale elle-même. Les premiers appartiennent pour la plupart à l'ancien fond du latin d'Italie, les seconds marquent le début du nouveau morcellement dialectal de la Romania. Le départ entre ces deux ordres de faits est malheureuse- ment presque toujours fort difficile à établir. En outre, il y a des phénomènes qui, sans appartenir au latin primitif apporté dans le pays au moment de la conquête romaine, ont été importés d'Italie à une époque beaucoup plus récente et in- troduits après coup dans la latinité provinciale; ils relèvent dès lors plutôt de la y.i'.vY] italique ou impériale que des dia- lectes primitifs de la langue vulgaire. C'est ainsi, comme l'a déjà remarqué Guarnerio, Arrh. GlottoL, Suppl. IV (1897), p. 45, que c,ç{p) espagnol pourra a a, selon toute vraisem- blance, été apporté d'Italie longtemps après la conquête, ce qui montre que la théorie chronologique de Grôber ne saurait être prise rigoureusement à la lettre. Il en est de même des restaurations opérées en latin vulgaire par la langue officielle de l'Empire. On peut se demander par exemple si le premier latin qu'on a parlé en Sardaigne, au m° siècle avant notre ère, articulait déjà tempits ou si une première couche de latinité avec le vocalisme tempos n'a point précédé. D'autres fois, des formes appartenant à l'origine aux vieux parlers locaux d'Italie n'arrivent point directement dans les provinces, mais y sont introduites par l'intermédiaire de la v.zvrr^, quand elle les a adoptées. En Afrique, autant que nous en pouvons juger aujourd'hui, -s final généralement ne tombe point : ce qui n'empêche les inscriptions de ce pays de confondre quisquis avec quisque. Il est vrai que quisque paraît avoir en Italie et même dans la langue classique des racines profondes ; d'après Sonny, A^'cJi. Lat. Les., XI, 98, c'est quisque qu'il faudrait lire dans Catulle, LXVIII, 28, Cic, Episl. VI, I, I. La préposition prô est représentée régulièrement en osque par la forme /;n< et en ombrien peut-être dans ie-pru, Tab. Eug., II «, 32, cf. Planta, ll,§;)44, p. 45:3; mais elle n'a jamais en osco-ombrien la valeur attributive qui lui est ordinaire en latin. L'ombrien emploie dans cette fonction la particule /ye/- - 23, cf. Car am me ész « nam apud me estis », Ev. Saint Jean, Paul Meyer, Recueil anc. textes, I, chap. xv, 27 (x[° siècle), ou encore aujourd'hui amb « avec », dans le catalan de Majorque amb so cap « avec la tète », etc., cf. Morel-Fatio, Mélanges Renier, p. 9 sq., n'a, comme nous l'avons déjà constaté ailleurs, cf. Mohl, Mer//. Soc. lÀ/ig., VI, 447 sq., rien de commun à l'origine avec ab = latin apud; c'est la préposition italique am[b), grec à.[}.d, dont les grammai- riens nous ont conservé des exemples en latin : ajn segetês, am terndnum, etc. On peut se demander si cet am[b) itali- ^ 96. — -240 — que avait pénétré dans le langage ordinaire des populations romanes ou s'il a été apporté directement en Provence par certains colons italiotes. Cette dernière hypothèse nous parait cependant plus plausible, étant donné le peu d'extension de am[b) en roman ; la date ancienne des premiers établisse- ments romains en Provence (^125 av. J.-C.) rend ici admis- sible la possibilité d'un apport dialectal direct. § 9G. — En somme, rien n'est plus complexe ni plus diffi- cile à établir, quoi qu'on en dise, que la chronologie des lan- gues romanes dans leur période prélittéraire, et la théorie de Grôber se montre décidément sur ce point des plus insuffi- santes. Pour rendre plus claires les différentes données du problème, on peut en représenter les éléments fondamentaux au moyen d'une formule générale qui permette d'embrasser d'un coup d'oeil tout le champ chronologique de la question. En appelant .4ZIC etc. les idiomes des diverses contrées de la Romania, on pourra reconnaitre dans chacun d'eux d'abord des mots et des formes importés dans le pays dès les premiers développements de la latinité dans la région ; on pourra représenter ce premier fond de la langue par «, ab, abc... etc., suivant le plus ou moins d'extension de ces formes dans les autres régions ; dans la langue A par exem- ple, a désignera une forme de la couche de latinité la plus ancienne mais qui n'apparaît que dans la langue A ; ab repré- sentera une forme ancienne de la langue A, mais qui se retrouve dans la langue B et ainsi de suite. — On pourra même, si l'on veut, désigner spécialement par abc... etc. les formes appartenant originairement à la vieille rusticitas proprement latine, et dénommer d'autre part a^v--- etc. les formes plus particulièrement italiques importées à la même époque que abc... L'ordre alphabétique des lettres corres- pondra toujours naturellement aux dates de la colonisation des provinces; ainsi on désignera par Aay. l'Italie, par H etc., la Sardaigne, par C l'Espagne, par D la Cisalpine, par E l'Afrique, par F l'illyrie, par G et par H la Provence et la Gaule du Nord, par 1 la Rhétic, par K la Dacic et ainsi de suite. — On distinguera ensuite à l'intérieur de chaque lan- gue des formes et des vocables à\ a-b'~, a^b'C'.... etc. importés d'Italie à une date plus récente ; à une date plus récente encore, on établira la série a\ a''b\ a^b'^c^.... etc., et ainsi de suite. — -'il — § 9(). Los termes iiidigènus ou iiiènie les formes (hi l'idiome antérieur conser'vés après la latinisation du pays seront figurés par un sigle invariable, par exemple il pourvu d'un indice marquant l'extension de la survivance indigène dans le domaine roman ; ainsi Q"", Q''*^", Q'''»'' signifiera qu'une formation celtique par exemple se trouve en Gaule seule- ment, en Gaule et dans l'Italie du Nord, finalement en Gaule, en Italie et en Espagne. De même pour les emprunts à une langue étrangère, au grec par exemple, on peut les représenter par 3, soit E% S"'' etc. On arrive ensuite aux restaurations dues au latin littéraire et qui, pour peu qu'elles soient nettement caractérisées comme telles, seront désignées par la lettre L, avec indice suivant l'extension de la restaura- tion dans les divers pays, soit Z." L"'' L''''^.., etc. Il faut également tenir compte des formes d'origine an- cienne, rustiques ou italiques, communiquées indirectement à telle ou telle province, ce qu'on pourra noter en inscrivant les indices entre parenthèses ; par exemple c{g/i) désigne une forme du vieux latin d'Espagne passée ensuite d'Espagne en Gaule. Il y a d'autre part des formations dialectales écloses, après la romanisation, dans le latin de chaque contrée et non importées d'Italie; on les appellera B, C, D.... etc., d'après la contrée où elles se produisent et, si elles sont ensuite trans- portées dans d'autres provinces, on les pourvoira d'un indice; une formation née dans la langue C , dans le latin d'Espagne par exemple, et communiquée au latin des Gaules, soit GH, s'appellera C"'' et ainsi de suite. Il y a enfin à distinguer nettement des catégories précé- dentes, lesquelles se rapportent toutes à la période du latin vulgaire, c'est-à-dire à l'époque antérieure à la chute de l'Em- pire, les forraaùons inaugurées postérieurement au démem- brement du domaine romain et antérieurement à l'avènement dos idiomes historiques, c'est-à-dire à l'époque romane. Quand ce départ pourra être rigoureusement établi, ce qui n'est mal- heureusement pas toujours possible, on marquera les forma- tions d'origine romane par /? ; l'indice, soit /?% /?■''',.. etc., montrera, s'il y a lieu, l'extension géographique de la forma- tion. En cas de besoin, le mode de propagation pourra être déterminé par la disposition des indices : T?'""'' par exeiuple est une formation d'origine romane née dans la région D, propagée ensuite en A et qui apparait enfin en // sans attein- MoiiL. — ChroïKj/of/ie du lnUn oïdf/aire. 16 § 97. — 2iL> — (ire G. Ces formules sont plus compliquées sans doute que celles de Grober, mais nous croyons qu'elles répondent mieux à la réalité des faits, i^ 97. — La base de la chronologie romane reste, il est vrai, dans notre théorie comme dans celle de l'éminent romaniste de Strasbourg, la date de la colonisation romaine. Il est en effet de toute évidence que le noyau fondamental de la latinité d'une province est le latin apporté par les premiers colons et parlé tout d'abord dans les établissements romains. C'est de là avant tout que la langue se propage peu à peu dans toute la province. Le latin qu'apprirent tout d'abord les Gaulois par exemple, c'est celui qu'on parlait dans les grands centres romains du pays, à Narbonne, à Aix, à Lyon, et nullement le latin de Rome ou de l'Italie en général'. Celui-ci ne pénètre dans les masses de la population indigène qu'autant que les grandes villes romaines de la province ont préalablement subi l'intiuence de la latinité romaine ou italienne et obéi aux modi- fications apportées par le temps dans la latinité de la métropole ou des régions plus centrales de l'Empire. Or, ce renouvel- lement de la langue provinciale ne suit que très imparfaite- ment et avec beaucoup de lenteur et de retard les innovations et les perfectionnements inaugurés dans les grands centres de la latinité. 11 reste malgré tout au fond du langage des provinces un noyau d'archaïsmes d'autant plus accentués (|ue la province a été plus anciennement colonisée et d'autant plus irréductibles que les relations avec Rome et les régions cen- trales ont été moins suivies, plus lentes, plus difficiles ou plus rapidement interrompues. C'est ainsi qu'au Canada, comme nous l'avons déjà fait remarquer, les colons français conti- nuent de parler l'idiome de Jacques Cartier et de ses compa- gnons, modifié naturellement par son évolution indépendante sur le sol de l'Amérique, mais sans guère participer aux chan- gements survenus depuis deux cents ans dans le français de France. Ceux-ci ne sont qu'en partie et indirectement com- muniqués à l'idiome canadien par la langue des livres et des journaux. Il en est de même en Turquie où les Juifs, chassés d'Espagne au xvi" siècle, continuent de parler le vieil espa- gnol. Les mêmes faits ont dû sûrement se produire dans les diffé- rentes provinces de l'Empire romain et il est parfaitement juste (le reconnaître à la base des langues romanes un latin d'autant plus archaïque que la province a été plus anciennement colonisée. Un savant latiniste, Gœtz, Verhandl. K. Sdchs. Gesellsch. Wissensch., 189(), 1, kM, a émis sur les archaïs- mes affectionnés, comme on sait, par les écrivains africains cette théorie ingénieuse que ces archaïsmes littéraires trou- vaient précisément leur source et leur écho dans le caractère du latin parlé en Afrique. « Uebrigens, dit-il, ist es wohl kein Zufall, dass es gerade Afrikaner sind, bei denen sich eine solche Yorliebe fiu- alterthumliche Worter und Wendungen nachweisen lasst : es ist vielmehr dièse Neigung eine der wenigen klar erkennbaren Eigenthiinilichkeiten des so viel umstrittenon afrikanischen Lateins n. Il ajoute même cette remarque nouvelle et précieuse que les auteurs de glossaires, les compilateurs d'archaïsmes, etc. , tels que Nonius, Fulgence, Placide, dont les gloses effectivement n'ont pu être écrites (ju'en Afrique ou, pour ce dernier peut-être, en Espagne ; ou encore Charisius, dont Usener, Rhcui. Mus., XXIII, 492 sq., a démontré l'origine africaine, et bien d'autres encore, sont presque tous nés dans la province d'Afrique ou y ont tout au moins longtemps vécu. D'après Gœtz, leurs glossaires ont spécialement en vue le latin d'Afrique et, s'ils écrivent sur ces matières, c'est uniquement pour obéir à des préoccupa- tions purement pratiques. Dans un article considérable et qui fit justement sensation, Sittl, Archamnus, dans les Comment. Wœlffliii., p. 403 sq., a nié, il est vrai, que Farchaïsme fût au II'' siècle la tendance générale de la littérature latine et il explique que, si les écrivains africains de cette époque paraissent rechercher l'archaïsme, c'est uniquement qu'ils cherchent à imiter Apulée, le créateur du genre. Mais du moins on peut remarquer qu'Apulée était précisément un pro- vincial, né à Madaure en Afrique, et que, si les écrivains afri- cains l'imitent avec tant de zèle, c'est sans doute que sa lan- gue et son style répondent le mieux du monde aux habitudes du latin d'Afrique. § 98. — Quoi qu'il en soit, la conservation de l'espagnol nous permet d'apprécier d'une manière plus complète et plus sûre qu'en Afrifjue les destinées du latin dans les provinces colonisées sous la République. Nous avons déjà fait observer qu'en Espagne la masse des colons amenés après la conquête § 98. — 2i4 — furent en grande partie des Italiotes ; les auxiliaires péli- gniens, niarrucins, campaniens, saninites durent être particu- lièrement nombreux dans les légions laissées en Espagne. Le nom de certaines colonies, Osca, par exemple, indique claire- ment la nature de la colonisation du pays à l'époque républi- caine. C'est en Espagne tout d'abord que le sentiment de la nationalité italique et la conscience des origines com- munes de la race s'éveillèrent avec le plus d'intensité, long- temps avant que les Marses et les Samnites eussent poussé, au nom d'Itrdia, le cri de révolte contre la tyrannie romaine. Le plan politique de Sertorius était probablement de faire de l'Espagne une nouvelle Italie, où toutes les nationalités itali- ques auraient indistinctement les 'mêmes droits ; on sait que, dans son sénat de trois cents membres, créé après la jonction de Perpenna, en 77, il reçut des Italiotes aussi bien que des Romains. On peut donc croire que les vaincus de la Guerre Sociale cherchèrent plus d'une fois à passer en Espagne pour y jouir de ces libertés éphémères. Déjà Scipion l'Africain, en fondant la grande place d'italica (en 204 avant J.-C, Appien, Iber., 38, Ptolem. Il, iv, 13) avait semblé vouloir favo- riser la colonisation italique en Espagne, et cette ville, plus tard patrie de Trajan et d'Hadrien, ne cessa de jouer un rôle important dans le monde romain. Les habitants d'italica, colo/ii italice?ises iVa.T^rès les inscriptions, faisaient partie de la tribu Sergia, cf. CIL. II, 1129. Une inscription, précieuse pour la question qui nous occupe, CIL. V, 932, signale un certain l • rvtivs • l • f • serg( ta )italica • sabinvs • ex • hispania. Ce sont là des mots bien clairs et bien nets, qui placent la situation des colons italiens d'italica et sans doute des autres colonies de l'Espagne sous son véritable jour ; ils étaient Romains par la dépendance politique, mais ils se sentaient Italiotes et, en Espagne, restaient Sabins, Ealisques, Marses ou Osques. Il n'est donc pas étonnant que l'espagnol garde, de cette première implantation du latin d'Italie dans le pays au ii" et au f'*" siècle avant notre ère, un nombre considérable de formes qu'expliquent seuls la vieille rusticitas du Latium ou les dia- lectes des, territoires italiques ; covo pour canos, cf. plus haut, p. 24, nûdo pour nùdiis, cf. û pour latin en osque, en péli- gnien, en sabin et sans doute en volsque, ne peuvent raisonna- blement s'expliquer que comme des restes vénérables de cette — "215 — ;< 1>8. première occupation de l'Espagne par les anciens parlers pro- vinciaux de l'Italie. On peut hésiter pour quelques mots tels que l'espagnol zahorra « lest d'un navire », latin saburra, qui se retrouve, avec la même particularité phonétique, dans l'italien zavorra à côté de savorra. C'est un terme technique emprunté, croyons-nous, à la marine étrusque, au temps oîi les Rasènes étaient, avec les Phéniciens, les maîtres souverains des mers de l'Occident; car saburra n'est sûrement pas latin et ne fait point davantage l'effet d'un emprunt osque. Le z- initial de la forme vulgaire nous paraît parler résolument en faveur de l'étrusque, cf. Pauli, Elrusk. Forsch., III, 18 sq. ; le b de l'orthographe classique représente le ^ (v) fricatif bilabial, dont des doublets tels que Menrva avec "2 et Menrfa avec 8, cf. étr. Fvflunu : ombr. Fo/io, Bréal, Divinités ital., p. 8, dans les actes du Congrès des Orientalistes de Genève, 1894, ne devraient plus permettre de mettre encore en doute la valeur phonétique. Ajoutons de notre côté et simplement pour illustrer la prononciation de v étrusque, le fleuve Safo ou Sauo en Campanie, dans une région anciennement soumise à l'influence de la colonisation tyrrhénienne'. On sait que l'alphabet de la patère de Noie porte d à la place du F grec et répète ce signe sous la forme =1 pour correspondre à © étrusque ; c'est, dans notre pensée, l'origine de F latin en regard de 8 italique. Quant au d (y) de Claude, auteur, comme on sait, d'une histoire des Etrusques, c'est, non point comme on l'enseigne, F grec retourné, mais un emprunt direct du H ou zl italique, attestant pour le i'"' siècle l'introduction dans le latin officiel de la prononciation italique du u, soit il [h), de même que l'antisigma D et le H [û, y) de l'alphabet claudien ne sont autre chose que D volsque et h osque avec des valeurs, il est vrai, un peu différentes, cf. plus loin, § 112. Ce son V de la langue étrusque était d'ailleurs rendu par b dans les emprunts latins, comme l'atteste par exemple sûbulô a joueur de flûte », donné expressément comme étrusque par Festus, fuser tibicoi ; 101. put espérer une implantation bien homogène de la latinité de Rome sur le sol ibérique. C'est seulement avec le temps que le latin d'Espagne s'est peu à peu purifié, qu'il a rejoint tant bien que mal le latin classique. En Gaule au contraire, la part des patois itali(|ues a été dès l'origine assez faible, à moins qu'il ne s'agisse de formes et de mots déjà introduits dans le latin généralement parlé par les classes populaires et que nous dénommons, faute d'une meilleure expression, la v.î'.vr, impé- riale. Mais, dans ce cas, l'emprunt dialectal est purement indirect et ne caractérise en aucune façon le parler particulier de la Gaule. Sans doute, on pourrait à la rigueur mettre sur le compte de la prononciation lucanienne ou osque la iovmo, * domnârc ou peut-être * dumnâre au lieu de damnâre dans les Gaules, cf. français dommage ; il est incontestable que la table latine de Bantia écrit condvmnari, 1. 10, et \e jwae fucus de la table osque nous parait bien couvrir une particularité phonétique de même nature et de même origine. 11 reste néanmoins, à notre sens, extrêmement douteux que le français dommage ait des ancêtres directs aussi anciens et de lignée aussi illustre ; il demeure tout au moins possible que damnâre ait fusionné dans les Gaules, par suite de quelque rapport sémantique bizarre, avec dominâre, domnâre^. Du moins dans le catulus : cate/lus des Gloses de Rei- chenau, Karls. 115, f° 22'" B, il est difficile de ne pas reconnaître une influence au moins indirecte de l'ombrien katel, Tab. Eug., II a, 43 pass., qui, avec les autres noms en -oio-, lat. -ulus, -u/u?n, a prédominé dans le latin général de l'Empire en étendant -el du nominatif aux autres cas : catei, accusatif catello (ombrien katlu), avec con- fusion de suffixes. De même le latin uifulus d'après l'ombrien *v^7e/ (accusatif vitlu, Tab. Eug., 11 b, 21) passe [witello, français veel, veau -. L'explication que nous proposons ici de -ello vulgaire pour -ulu classique dans les noms en ques- tion vaut pour le moins, crojons-nous, celles qui ont été don- nées jusqu'ici. Déjà les comiques, Plante notamment, préfè- 1. De toute façon, dom- atone devait, semble-t-il, passer régulière- ment à dam-, cf. danfjier, etc. 2. A côté de * uilfl. on avait aussi nillo. uiclo au nomin., App. Prob., 197, 20: Vilnius non uic/.us. d'où ital. vecchio « veau marin », logud. hiju. Cf. VITLVS, CIL. Vin, 9't:]2: X, 8059, etc., Bici.vs, CIL. X, 1589. ?< 101. — 2,V2 — rent catellus, vitellus kcaf.uhis, uitulus. Le nominatif /«////<'/ d'Ennius et de Lucrèce est en réalité famel, attesté comme osque par Festus Thew., 62, cf. famclo, Tab. Bant., voir plus haut, p. 201, n. 1. Chez Pétrone, Trimalchion et ses amis . ne disent jamais autrement que catellus, jamais catuliis : Valde te rogo, ut secundum pedes statuae meae catellam fjmjas, Petr., éd. Biich., p. 84. On connaît les gloses de TApp. Probi: Masadus 7io?i mascel, 197, 29; Figuliis non figel, 197, 29. Cf. aussi hislit. art., 102, 12 et 130, 11. UUmann, /?ow. Forsch., VII, 150, a déjà reconnu dans ces nominatifs en -cl une influence italique* mais il a eu le tort de ne point montrer le lien qui existe entre -e/de -ulus et le suffixe -ello tel qu'en usent les langues romanes. Avec le français plusor, pluisor, plusieurs, les choses sont plus compliquées et il est déjà plus difficile d'écarter l'hypo- thèse d'un héritage italique ancien ; car l'explication ordi- naire, à savoir que plusor, plusiews a été formé à l'époque romane la plus récente surplus avec addition du suffixe com- paratif, nous apparaît comme des plus débiles, précisément parce que le suffixe -ior était, comme on sait, déjà inactif on latin vulgaire. Dans mâior, pèior, minor, il s'était maintenu exceptionnellement, mais c'était un suffixe mort; dans le français graignor, hauçor, gencor et autres semblables, il faut reconnaître les restes d'une restauration éphémère du comparatif classique dans le latin de la Gaule, voir plus haut p. 234. L'extension et la persistance de plusor démentent cette origine, d'autant plus que le modèle classique manque ici totalement. Si donc *pliisôrês est une forme d'origine populaire, elle ne saurait dater que d'une époque où le suffixe -ôr, -iôr, était encore vivant en latin, ce qui nous reporte nécessairement dans un temps reculé. Que le comparatif plùriôrês au lieu de plûrès a existé en latin vulgaire, c'est ce qu'a démontré, avec des exemples à l'appui, Wolfflin dans son bel article sur les lettres canines, A?-ch. lat. Le.i:., IV, 6; cf. aussi plCiriôra Fulgent., Mi/th., I, 16. D'autre part Festus, s. v., cite le vieux latin pUsiinl 1. Au contraire Cor.ssen, Ausspr., II, 593, considérait encore ces formes comme très récentes. Dans mascvl, CIL. IV. 1870. ntivi,, ibid., IV. 3134, également cités par Ullmann, le cas est très différent. Si ce ne sont pas de simples abréviations, ces nominatifs peuvent elïective- ment reposer sur une analogie récente. — 253 — ^10-2. T^ouv p lui' uni ; il faut lire i^rohahlemeni plûsùnl, cai* l'existence de * pllsiml = grec ttaeîit-s'. est vraiment une supposition gra- tuite bien improbable. Varron, Lùig. lat., VII, 26-27, cite d'ailleurs de sou côté plmlml. Si Varron et Festus citent précisément /J/M5//7î^ parmi tant d'autres formes qu'ils eussent pu choisir dans le matériel de la vieille langue antérieure au rhotacismo, j'imagine que ce n'est pas sans intention ; il faut que plûsimï pour plimml ait persisté plus longtemps que telle ou telle autre forme avec -s- intervocalique. Or, au super- latif plûsimï correspond le comparatif * plûsiOrès comme à prlmiis correspond />nor, ou * plûsôrés comme on a minor en regard de minimus^ ou comme /?;7/?/z« engendre bientôt /jn- mrjrês « optumates ». Pourquoi le rhotacisme est-il incomplet dans * plûsôrcs ? C'est que * plûrôrès, avec ses deux r, faisait difficulté; une dissimilation *plidôrés entraînant de son côté *prûlûrès était naturellement exclue. Il n'y avait donc qu'à s'en tenir à * piâsorés et par analogie à plû- simï. Plus tard l'analogie des autres comparatifs en -ior, -rior, l'emporta ; la langue connut à la fois * plûsôrës etplû- ridrés, mais le latin des Gaules resta fidèle aux formes avec -s- et nous n'hésitons pas à reconnaître dans le français piu- sor, plusieurs une des plus vieilles survivances du latin vul- gaire archaïque, un témoin plus de deux fois millénaire de l'époque de Papirius Crassus, cf. Cicéron, Ad famil., IX, xxi, 2. La glose meliosa: meliora, relevée par Lôwe, Lat. Gloss., dans Arc/t. lat. Lexik., I, 28, quoique portant également sur un comparatif, ne nous paraît pas directement liée à la ques- tion. Quoi qu'il en soit, le français fondèfle, avec le suffixe italique -flo pour le latin classique -hulum, atteste du moins très clairement la survivance de formes archaïques italiques même dans le parler relativement récent de la Gaule. § 102. — En Gaule et en général dans les provinces, les exemples do ce genre sont exceptionnels en vertu même des conditions de la colonisation impériale. En Italie au contraire, le philologue qui veut bien se donner la peine de creuser assez profondément à travers les couches successives de latinité 1 . L'existence de plùrès n'empêche nullement la création de plRr-ôres parallèle k plilr-iml, d'après min-ôrès: miii-iml\ plûrCirês tend de son côté vers pliiriôrcs, d'après les autres comparatifs en -iorès, de même que plnra devient plnria attesté par Charisius. § 102, — -254 — qui se sont succédé dans le pays ne peut manquer d'en recueil- lir un grand nombre. Il y a là plusieurs étages différents de langues et de dialectes, enfouis sous l'édifice du latin impé- rial et du roman, et qu'il s'agit de mettre au jour. On ne retrouvera jamais, sous les patois italiens pas plus que sous le vernis plus ou moins classique de l'épigraphie d'Italie, tous les caractères et toutes les particularités de ces vieux parlers latino-italiques ; mais du moins ils ont laissé, en s'é- croulant, des décombres et des débris nombreux qui doivent exister encore à la base des patois modernes, dans les régions mêmes où ces dialectes se sont développés jadis et où ils sont tombés sous les coups du latin de Rome et de la -/.y.^n^ impé- riale ; ou bien ces débris dialectaux ont été emportés dans le grand courant de la langue commune et flottent encore aujour- d'hui dans la masse mouvante de l'idiome moderne. Ces débris pour ainsi dire nécrotiques des vieux dialectes latins sont précisément restés plus tenaces en Italie parce que c'est le pays même où ces dialectes s'étaient formés, où on les a parlés durant des siècles. C'est à proprement parler en Italie seulement que l'on peut se figurer de véritables dialectes rus- tiques du latin ; ailleurs, c'est toujours le latin plus ou moins officiel des villes et des établissements romains qui constitue le foyer central de la romanisation et qui irradie peu à peu sur toute la province. De plus, dans les provinces, le latin officiel arrive en somme assez aisément à combattre et à détruire les formes dialectales apportées par les colons ita- liotes et qui, dans ces terrains encore vierges de latinité, ne sauraient guère pousser des racines bien profondes. En Italie, la tâche de la langue classique est infiniment plus ardue, puisqu'il s'agit d'écraser des dialectes et des patois vivaces, naturellement constitués et protégés par un passé séculaire et des habitudes persistantes. C'est ainsi que le latin de Rome n'est jamais parvenu, en Italie, à rétablir la diphtongue au en syllabe atone ni à restaurer les consonnes finales -s, -/, qui sont encore aujourd'hui vivantes dans les provinces. L'administration romaine d'ailleurs ne paraît point s'être entêtée dans une tâche qu'elle estimait avec raison devoir rester assez stérile et qu'elle préféra sagement laisser au temps et à l'évolution naturelle des choses. Sous l'Empire, presque tous les peuples d'Italie parlaient le latin ; c'était en général un latin dialectal, fort éloigné du latin de Rome — 255 — § lOli. assurément, mais qui sulilsait aux besoins de la politique romaine. On demandait aux sujets de l'Empire de parler le latin, bien ou mal, peu importait; avec le temps, les dialectes s'unifieraient d'eux-mêmes. On n'exigeait rien de plus. Aussi voyons-nous le gouvernement impérial fonder des écoles en Espagne, en Provence, dans la Cisalpine, en I>retagne ; mais on ne nous parle pointd'écoles romaines ni en Ombrie, ni dans la Sabine, ni chez les Marses, ni dans le Samnium. Dans ces régions, l'instruction publi([ue, ne répondant point à un but politique, paraît avoir été singulièrement négligée. Le voisi- nage de Rome, le contact constant et plus intime avec les éléments romains, les incessants mouvements et les remanie- ments opérés parmi les populations italiques finirent, il est vrai, par corriger assez bien ce que négligeait l'indifférence de l'Etat. Mais ce ne fut qu'assez tard que cette unité relative se réalisa en Italie, puisqu'à la fin de l'Empire, il était reconnu, comme nous l'avons déjà constaté, qu'on parlait mieux et plus purement le latin en Espagne et en Gaule que dans la péninsule. Encore cette unité du latin d'Italie resta-t-elle toujours extrêmement incomplète et faut-il la considérer aujourd'hui encore comme un idéal purement théorique beaucoup plus que comme une réalité de l'histoire. C'est là une diflférence essentielle et profonde qui sépare très nettement l'Italie des provinces. Dans les provinces, c'est le latin officiel, plus ou moins mêlé de vulgarismes, qui constitue la base principale de la langue parlée ; les formes dialectales s'y noient peu à peu et s'y perdent, à moins qu'elles n'aient depuis longtemps réussi à se généraliser et à s'implanter fortement dans les habitudes des masses déjà latinisées. En Italie au contraire, c'est le vieux latin dialectal de la République qui achève, malgré toutes les entraves apportées par l'histoire et la poli- tique, de se développer et de vivre; tout se borne ici à une lutte entre les dialectes, à un englobement lent des petits patois locaux dans une forme dialectale plus large, à des empiétements successifs d'un parler provincial sur un autre, à la formation naturelle d'une forme linguistique plus générale et prépondérante, évoluant en même temps et d'une façon insensible vers le latin officiel de la capitale. § 103. — Dans ces conditions, on comprend combien doivent i; 103. — :256 — être nombreuses en Italie les survivances dialeclales et com- bien les patois particulièrement en doivent fournir de riches moissons d'exemples. Nous avons déjà cité incidemment l'im- parfait /e« en Toscane et dans l'ancienne Ombrie, p. 112, les parfaits en -atte de l'Italie du Sud, cf. p. 117, et quantité d'autres exemples sur lesquels nous n'avons pas à revenir ici. En napolitain et en général dans tout le sud de la péninsule, le verbe potere fait pozzu, pozza := * potio, * potia, qui jure avec l'italien posso =^ possiim, comme en latin classique. Si l'on se souvient de Tosque pùtiad « possit », pûtians « possint » de la table de plomb de Capoue, l'existence d'une conjugaison * poteo ou * potio dans le latin vulgaire de l'Italie du Sud s'explique aussitôt de la manière du monde la plus naturelle. Le sarde confirme d'ailleurs cette manière de voir'. Le prétérit italien ebbi représente une forme vulgaire * hêbin ou plutôt, croyons-nous, * hcbî, supposant un présent * habio à côté de * habeô, cf. faciô : fécl. A côté de habeo habêre, rad. habè- en latin et en ombrien, cf habetu, Tab. Eug., II b, 23, etc., haburent, ib.. Vil a, 52. la conjugaison * habiô ou * hafio, rad. hab- haf- paraît plus développée en osque : hafiest, parf. hipid = * hêp- pour *héb-, Planta, I, § 98, p. 192sq.^ De toute façon, malgré les doutes que paraît éprouver maintenant à cet égard W. Meyer-Liibke, Gramm. rom. Spr., II, 325, l'italien ebbi ne saurait raison- nablement être séparé de l'osque hipid, rapprochement que proposait déjà J. Schmidt, Zcitscli. vargl. Sprac/if., XXVl, 1. L'opposition du sarde pothat. napol. po::a, et de l'italien joossa se retrouve entre l'espagnol piwda et le portugais poxsa. 11 y a peu d'exem- ples aussi frappants de l'action exercée par le latin littéraire sur l'i- diome vulgaire proprement dit ; passa en portugais répond parfai- tement aux conditions chronologiques de la colonisation de la Lusi- tanie qui fut, comme on sait, relativement tardive. 2. Nous ne pensons point que p dans l'osque hipid représente, comme l'admet Planta, bu primitif. 11 s'agit, avons-nous dit, d'un para- digme * hafio ou * hnhij) : parf. * hf'hit ou * hcpil d'après faciu : fOcit. Le durcissement de la douce intervocalique est sans doute une pai-ticu- larité de la prononciation osque, cf. fifikus « fixeris ». lUicheler, Rhein. Mus., XXXlll, 27 sq., 539 sq. ; les douces avaient peut-être une ten- dance à se durcir comme les fortes à s'aspirer, cf. phim, ekliad, etc. De toute façon, l'opposition osque hab- : hip- nous parait intimement liée aux faits analogues observés en sarde : v. sarde appit, logudor. hapisit « ebbe, liabuit » ; v. sarde dejipial, appial ou iippal. logudoi-. depat. hapal « dcbeat, liabeat )),cf aussi cretlitu, /no/fllu, lat. (■/■rditiis, * mouitus. ?û i S(i. On rcniarquoi'a que rhbi iroxisto gôiiôraloiuoiit pas ou ()inl)rio non plus que dans los ancioiiues régions du lîi-uitiutii ei do la Sicile, où les dialectes connaissent seulement abhi = lat. habul. Dans cbln on peut donc reconnaître une propaga- tion niorpliologi(iue issue de quehiuos parties du domaine osquo ou sabellique. Nous parlions tout à l'heure de certaines survivances de formes antérieures au rhotacisme latin. Dans la Sabine, à l'époque de César, la forme flûsûrc pour flTtrâlis, nom sabin du mois de Quintilis, est encore attestée par l'inscription du temple de Furfo ; c'est aussi la forme donnée par la pierre de Scoppito. Nous savons d'ailleurs d'une manière tout à fait sfire que le sabin ignorait le rhotacisme, cf. Festus, Thew., G: (Sabini) ausum dicebant; Vell. Longus, Orth., VII, ()i) Keil : (barona) a Saltinis faseiui dicitur ; Valcsius pour Valerius dans la Sabine et vingt autres témoignages. Il serait intéressant de rechercher, dans les patois actuels de la Sabine, des traces de formes avec -s- intervocalique. Nous ne doutons point qu'une étude systématique et sûre de ces patois en mette au jour un grand nomlire. Si, dans les environs de Naples, on conserve encore aujourd'hui le nom osque du mois d'octobre, attntff, Storm, Mrm. Soc. Lim/., II, 115, il ne serait guère plus extraordinaire de retrouv(>r par exemple le nom du mois flus.are dans telle ou telle bourgade i)erdue des montagnes de la Sabine. Une autre région où le rhotacisme paraît inconnu à l'origine, c'est l'Étrurie, à en juger par des mots tels que uesar, usil, etc. L'itinéraire maritime d'Antonin, p. 501, cite un port étrusque du nom de Falcsla (jui devient naturellement Falè- ria chez les écrivains romains, par exemple chez Rutilius Namatianus, Ilin., I, 371 : Lasmlion coJnbat uicina Falcna cursnm, cité par Deecko, Falisk., p. 120. Or, aujourd'hui encore, l'endroit s'aj)pelle Purlo de Fnliesi. § 104. — Une seule province marche généralement de front avec l'Italie: c'est la Dacie. Elle doit aux conditions toutes spéciales de sa colonisation cette situation exceptionnelle au sein des pays romans. Nous avons déjà fait observer que, lors de la con([uéte, le latin n'eut point ici à combattre et à expulser un idiome étranger comme en Afrique, en Oaule, en Espagne. Des témoignages dont rien ne nous permet de mettre en doute la véracité, nous montrent le pays entier abambmné Moiii.. — ('/irviiuloi/ie du lai in l'iilgaire. 17 .^ lOi. — -25^ — par les Daces au momont de l'invasion romaine. La langue latine se trouva donc ici en face d'une terre vierge où aucune influence étrangère ne pouvait arrêter son développement ou détourner ses destinées. L'idiome apporté en Dacie parTrajan et qui s'y implanta sous ses successeurs fut donc le latin géiié- ralement parlé dans l'Empire au ii" et au iii"^ siècles de notre ère. Les colons provenaient, nous dit-on, de toutes les parties de l'Empire, e.r toio orbe romano, Eutrope, Vlll, G. Pourtant, il faut observer que, d'après le témoignage formel des inscrip- tions, la colonisation de la Dacie fut principalement confiée à l'élément militaire. Sept légions furent employées par Tra- jan à la conquête du pays ; notamment la Legio XIII Gemina y resta constamment cantonnée autour d'Apulum, aujourd'hui Carlsburg. Sous Septime Sévère, la Legio \ Macedonica vint l'y rejoindre à Potaissa. Il y eut également d'importantes garnisons militaires à Tsierna, à Napoca, à Sarmizegetusa, tous lieux que le Di(/estp, L, xv, 8, 9, cite expressément comme jouissant du droit italique. Gooss, dans une magistrale étude sur la colonisation de la Dacie, Arch. Vercins fur sieheîib. Landpsk., 1871, neuoF. Xll, 1, 107-160, fixe à 25,000 hommes le contingent de rélément militaire dans cette province. Dans les desseins de la politique romaine, les pays daces étaient destinés à jouer un rôle analogue à celui (juc rempliront plus tard les marches de Charlemagne ou, dans l'Autriche moderne, les Confins Militaires. Le latin des armées, ficrmo iniUlaris, fut l'élément essentiel et le noyau constitutif de la langue apportée en Dacie. Les colonies civiles et agricoles, les grandes exploitations foncières comme dans la Cisalpine, les établissements miniers comme en Espagne, les vilk'S maritimes comme en Provence, en Ligurie, en Vénétie et sur les côtes illyriennes, les grands centres commerciaux et les places de transit comme en Gaule, n'ont ici qu'une importance tout à fait secondaire. Quant aux centres littéraires tels (pie Cordoue, Bordeaux, Narbonne, Lyon, Mantoue ou Milan, ils manquent complètement. Pen- dant toute la durée de la domination romaine en Dacie, pas une seule école n'y fut fondée ; comme le remarque Pudinszky, Ansbre/t. latchi. Spr., \). 220, les illettrés sont nond)reux en Dacie et il y a des textes qui signalent expressément cet état de choses. On comprend de reste pourquoi Rome jugea inutile d'établir des écoles dans sa nouvelle colonie : c'est, comme — 2r)9 — ^ loi. nous le croyons, pour la mémo raison qui les rendait superliues dans ritalic centrale, parce ({u'il n'y avait point en réalité dans le pays de Barbares à latiniser, parce que la population entière était constituée par les colons et les légionnaires venus des autres parties de l'Empire et qui tous parlaient le latin. Ce latin n'était point, tant s'en faut, le latin classique : mais il suffisait aux besoins de la politique romaine. D'un autre côté, la domination romaine en Dacie fut trop éphémère et trop instable, le pays était d'ailleurs trop éloigné, trop reculé aux confins extrêmes de l'Empire, trop isolé du reste du monde, trop peu en contact avec les parties centrales où battait le cŒîur de Home, pour que le latin de la métropole put, comme en Italie, se répandre à la longue comme un vernis d'urbanité sur l'idiome vulgaire. Ainsi, les restaurations dues cà la langue littéraire, les formes, les suffixes, les mots du latin classique qui, même en Italie, finirent avec le temps par se greffer sur les canevas des vieux parlers populaires, font presque entièrement défaut au latin de la Dacie, ou du moins se bornent aux rénovations déjà introduites dans le parler général de l'Empire avant la fin du ii' siècle. Quant aux formes qui obtinrent droit de cité dans l'idiome vulgaire pen- dant la première moitié du iii% il est douteux qu'elles aient pu s'acclimater d'une manière bien durable et bien effective au milieu des difficultés de jour en jour grandissantes qui déta- chaient peu à peu la province trajane de tout lien avec Rome. Le latin vulgaire de la Dacie et ses représentants modernes, les dialectes roumains dépouillés de tous les éléments étran- gers, slaves, albanais et ougriens qui les ont déformés dans la suite, nous off'rent ainsi l'image la plus pure et la plus exacte do ce qu'était au ii'' siècle de notre ère l'idiome géné- ralement parlé par les légionnaires de l'Empire romain. La conservation de la langue roumaine est en ce sens le plus grand bienfait dont la philologie romane soit redevable au hasard des événements politiques. C'est ce qu'a déjà montré Jarnik dans son beau travail sur l'importance de la langue roumaine, dans la revue Oslen, 1878. Ce sermo militark, ce latin général des soldats romains, reposait, comme il est naturel de le supposer, dans ses parties essentielles, sur le latin vulgaire tel qu'on le parlait sous l'Empire dans la majorité des districts italiens. L'Italie en effet restait toujours le centre de l'Empire, le pays privilégié, ,:< 105. — -i*')!» — l'annexo iuiméiliate do Rome, le cœur gigantesque d'où le sang et la vie romaine refluaient constamment vers les pro- vinces. Elle était, dans l'organisation militaire des Romains, le camp central et permanent des légions, le quartier général où elles se constituaient et se disloquaient incessamment. Si les contingents fournis par les provinces sous l'administration impériale étaient considérables, les Romains et les Italiotes continuaient néanmoins à y occuper les postes importants ; ils gardaient leurs privilèges et leur autorité de conquérants, restaient malgré tout les maîtres, et c'était, par la force môme des choses, leur latin qui s'imposait plus ou moins à la lésion entière. Tous les traits communs an roumain etàl'ita- lien, les pluriels en -/ et en -<^, les secondes personnes en -?". la chute des consonnes finales, la voyelle o, a comme repré- sentant de au atone, le traitement des gutturales, doivent s'expliquer de cette manière : ce sont autant de caractères parti- culiers qui appartenaient dès la fin du ii^ siècle au latin vulgaire d'Italie et qui furent directement importés en Dacie par les lé- gions. Au point de vue de la chronologie du latin vulgaire, ce sont là des données d'une portée immense; car, sans cet accord, il serait extrêmement difficile, sinon impossible, de dater la plupart des faits caractéristiques de la phonétique italienne. § 105. — La Dacie nous apparaît ainsi comme une simple annexe de l'Italie et du même coup s'oppose nettement avec elle, partiellement avec la Rhétie, à toutes les autres provinces de l'Empire. Cette opposition, si marquée et si frappante, n'a point été jusqu'ici, semble-t-il, interprétée comme il convenait. Car il no suffit point de distinguer un groupe oriental (italien et roumain) et un groupe occidental (espagnol et portugais) avec, comme une sorte d'intermédiaire, un groupe septentrional (provençal, franrais, rhétique) parmi les langues romanes his- toriquement connues; ce n'est pas assez d'indiquer par exemple que l'Italie et la Dacie suivent tel ou tel développement phoné- tique ou morphologique et que ces deux régions s'opposent par là aux autres provinces, lesquelles présentent des solutions différentes. 11 faut aussi chercher la cause de cette opposition, montrcH' comment le latin vulgaire d'Italie a toujours ét('' très difleronl du latin parlé dans les provinces, indiquer d'oi'i pro- viennent ces divergences et comme quoi elles ne s'expliquent ni jiar la répartition géograjibiiiue des pays romans, ni par — -Jl)! — i; IO()-i07. (les différences cbrunulugiques duiis leur latinité, mais bien par les conditions historiques d(i la latinisation. Dn même coup, l'utopie d'un latin vulgaire uiiifoi-me dans lequel chacuno des langues romanes se serait taillé après coup sa petite gram- maire particulière, rentre décidément dans le domaine des théories insoutenables. Il n'y pas plus eii dans l'Enipiro romain de latin vulgaire uniforme qu'on ne parle unifornuMuent l'anglais sur toute la surface de la terre; car faut distinguer entre l'anglais que le peuple parle dans la (irande-lirctagne et dont les patois multiples et anciens s'égalisent peu à peu sous la pénétration do la langue écrite et de l'idiomo des villes, et l'anglais que parlent, dans les colonies, les colons et les indigènes déjà anglicisés et qui dérive de la langue littéraire: de même, il faut distinguer à toutes les époques entre le latin de l'Italie, avec son annexe la Dacie, et le latin des autres provinces de l'Empire romain. § 106. — Indépendamment de cette distinction fondamen- tale, il convient bien entendu d'établir parallèlement dans chaque pays, ainsi que nous l'avons fait, des différences chro- nologiques notables. Le latin d'Espagne est cà la fois plus archaïque et plus perfectionné par un plus long usage de l'idiome officiel que par exemple le latin de la Rhétie. De même en Italie le latin qu'on parlait dans la péninsule au temps des Gracques était, à n'en point douter, infiniment plus divisé, plus morcelé en une infinité de patois et de parlers locaux, que celui qui s'établit peu à peu après les événements de la Guerre Sociale et aboutit sous l'Empire à une sorte de y.:'.v/^ déjà passablement unifiée dans ses grandes lignes. Il faut également tenir compte des influences exercées par le voisi- nage géographique ; en Rhétie, l'élément italique fut nalurel- lement prépondérant lors de la colonisation romaine : de là une quantité de traits particuliers au latin d'Italie communi- qués aux provinces rhétiques ; la Gaule du Nord subit l'in- fluence immédiate du latin de Provence, et ainsi de suite. § 107. — Ce qui complique encore cet état de choses déjà passablement embrouillé par la lutte de tant d'éléments com- plexes, ce sont les actions et les réactions incessantes des divers parlers provinciaux les uns sur les autres. Les échanges entre les différentes colonies, les translocations, les relations commerciales entraînent forcément des perturbations à l'inté- ^ 107. — 262 — rieur de la latinité spéciale à chaque province, en même temps qu'ils préparent ou maintiennent l'unité générale de la langue. Il arrive par exemple que des faits particuliers au latin d'Afrique ou d'Espagne reviennent de là en Italie, s'y généralisent et parfois même refluent ensuite de nouveau sur les provinces. En roumain, patru « quatre » présente dans son p- initial au lieu de c- la même anomalie que le v. sarde battor, latin vulgaire de Sardaigne * patlor au lieu de * caltor ^ quatlor. Il faut y voir, croyons-nous, moins une forme issue des numératifs composés, avec -j)-, -h- normalement pour -qu- intervocalique, W. Meyer-Lûbke, Gramm., I, sj 420, qu'une inlluence directe de Tosque^j^^o/', petora sur le latin quatlor. Quoi qu'il en soit, le compromis latino-osque * pattor est admissible directement pour la Sardaigne comme le sarde cinnoiie (voir plus haut, § 76), est un compromis entre le latin commûnis et l'osque comono, comenei, dialectalement peut être *cwmo?r, Hrnnrs, VI, 302, alors que p,3 a3 pour ru In apparaissent, comme on sait, beaucoup plus tôt. Sur les échanges entre h:u en latin vulgaire, cf. Parodi, Roman., XXVII, 177-240. § 113. — La plupart des phénomènes qui caractérisent chacune des langues romanes existent, avec plus ou moins d'extension, dans le latin vulgaire, et on en retrouve presque toujonrs les premiers germes dans les vieux parlers latins ou I. Sur le témoignai;-e de liréal, .Vriii. Soc. /.in;/.. 1\', 4U0, (|ui Irans;- crit l'inscription votive de Faléries, Gari'., Si/lL. 559 : A=lfl3M3VA Mcnerva avec Z] à C(M.é de VAV~'"OOV t^oolum avec y, nous avions cru atteindre un exemple éclatant du passage de ru à r\o dans l'ancieiuie Italie provinciale. .Malheun^uscnient, il a fallu quelque peu en rabattre. Mon vénéré et savant ami, le D'' Vysoky, professeur agrégé d'archéo- logie clas.sique à l'Université de Prague, a, sur ma prière, vérifié la Icu'ture sur l'inscription même, aujourd'hui déposée à Home, au Musée KircJKM'. sous le n" 18S. \'oici ce qu'il m'écrit, à la date du "io no- veuihi'e 1897: « .Jest zcela ])atrnè ps<âno V; p(> néjakém ;] neni ani stopy : 3Vfl3M3WV ^'- I^'^ lecture de Deecke qui, d'une façon généi'ale, n'admet pas même le signe "2 ou :| pour le falisqu(>, se trouve ainsi être la bonne et il n'y a qu'à })asser condanmalion sur notre propre hyitolhèse. Cf. aussi lîu^giero. (Inlal. dd Miixcu Kirclirriiuio. I. 5(j, U" 18e. — 273 — § 113 sabelliques de l'Italie ; mais, jusqu'à la période romauo, ils restent constamment dominés et comprimés dans leur évolu- tion et leur généralisation par l'intlexible loi du latin écrit. A quelle époque a-t-on commencé de prononcer dnblo pour duplex, cf. dublicius dans les Dicta ahb. Priminii, 17, Caspari, KirchenJi. Anecd., I, padre pour paire ou subra pour supra, *abrire pour aprire, aperire ? Évidemment lors des premiers établissements de la langue latine au milieu de ceux des dialectes italiques qui connaissaient de fondation l'affaiblissement des fortes devant r, en ombrien subra : latin supra ; kabru à côté de kapru, mandraclo, podrulipei, etc., osque embratur' : latin imperâtôr, pélignien empratois, Zy etâiew, Jnsc. Inf., 13, peut-être aussi d'après Planta, I, § 246, p. 548, 551, osque Sadiriis, ^tèVigmen Sadries ; \a,iin S a trias, osque Aderl(ii): latin Atelia; omhnen adro , adrer : latin âter, cf. triquedra à côté de triquetra, Quintil. I, vi, 44, Seelmann, Aussjjrac/ic, p. 309, où nous croyons toutefois plutôt avec Wliarton, Et. latina, s. v. Citer, et Thurneysen, Zeitscli. vergl. Sprachf., XXXIl, 554 sq. 4", que l'altération est du côté du latin". Il a pu y avoir, dès une époque très reculée, des dialectes ita- liques où l'adoucissement devant r était général et constant et même tout porte à croire que -br- pour -pr- dans l'ombrien littéraire d'Iguvium n'est qu'un épisode d'une loi moins res- treinte dans d'autres dialectes de l'Ombrie. Dans le latin im- périal de l'Italie, l'affaiblissement des muettes devant r n'est jamais parvenu à se généraliser : l'italien pietra à côté de padre, ladro ; capra à côté de cavriulo montrent qu'en Toscane tout au moins il a fini par se combiner avec certaines condi- tions toniques et même avec la nature de la voyelle précé- dente. Mais la différence entre pietra et padre par exemple nous paraît de toute façon une utilisation postérieure de dou- blets constamment en usage dans le latin général de l'Italie. L'affaiblissement des fortes intervocaliques a peut-être com- 1. Il faut dire toutefois que l'osque embratur n'est très probablement qu'un emprunt au latin et qui paraît de date assez récente. On ne trouve ce mot, coniine on sait, que sur les monnaies de Papis M util, sur deux types différents de la Guerre Sociale, les n"' 6 et 9 de Fried- lânder, Os'k. Mimzen, p. 80-81. 2. Dans l'ombrien (h/.pla. nous sommes disposé à reconnaître une influence de l'orthographe latine plutôt qu'un témoignage en faveur du maintien de pi contre br pour pr en ombrien, ainsi que l'admet Bronisch, Die osk. i- imd e- Vok., p. 19. MoHL. — Chronologie du lalin vulgaire. 18 mencé dans la Cisalpine et les pays celtiques : ainsi s'expli- querait labuscom lalmscer à coté de lapuscom lapuscer, qui est le nom des Celtes sur les Tables Eugubines. L'extension du phénomène dans la Cisalpine, en Espagne et en Gaule s'éclaircirait du même coup. Une forme telle que iradam, Orelli, 2541, MVDAViT, CIL. II, 462, du if siècle, ou encore Capedidum : uestimentum capilis, Corp. Gloss. lat. , Y, L3, 26, exemple assez ancien, semble-t-il, peut être à l'origine direc- tement liée à la prononciation celtique. D'un autre coté, il ne faut pas oublier que le passage essentiellement latin de /non initial à è puis à b ressemble déjà beaucoup à la grande loi romane de raffaiblissement des fortes non initiales. En latin, dans -/«r/ô pour * -tntô, cf. Tliurneysen, Zeitsch. vfirgl. Spr., XXVI, 305 sq., le phénomène est lié à des conditions spé- ciales ; remarquons seulement en passant que le suffixe -tnte devient exceptionnellement -tade en toscan et que la phonéti- que italienne est impuissante à expliquer cette forme ; il faut donc, croyons-nous, attribuer *-tâdc pour -tûle déjà au latin vulgaire d'Italie, exactement d'après l'analogie de ■iCidn pour *-tûtô. Il y aurait encore à citer ici en osque le rapport de degetasis à deketasiiii, nuiis cette forme est encore obscure. De même pour l'histoire des finales. Nous avons vu plus haut, §§ 65 sq., ce qu'il faut penser des destinées de -ven latin vulgaire; -f de son côté tombe d'assez bonne heure sur les inscriptions provinciales où l'iniluence italique agit directe- ment contre lui. A Rome au contraire et dans le Latium en général, -t est beaucoup plus persistant. De là de longs siècles d'hésitation entre les formes avec -t et celles sans cette finale ; à Pompéi, au i'"" siècle de notre ère, d'après pedikayd, liciid et autres, on en est encore le plus généralement au stade -d, comme en osque, puis les formes sans dentale, très anciennes dans le nord, se généralisent peu à peu dans toute la pénin- sule. Au lY'' et au v" siècles, la dentale ne se maintient plus guère à ce qu'il semble, que devant voyelle. Une inscription récemment découverte et non utilisée encore par les philo- logues, nous donne des exemples d'autant plus j)r('cioux qa(; le texte peut être exactenu^nt daté. La pierre a été découverte près de R(mie, non loin du cimetière de Ponziano, et publiée en ISiK) dans la Rom. (Ju/u'lalschrift, X, p. o79. Elle counnence par CCS mots : locvs ■ rKTRi • (,)Vi • vixkt- ;VNVS -xxv et finit par 8 114. coNss-MAXiM[-iTERVM-E-PATER[. Le secoiid consulat (le Pétro- nias Maximus et de Flavius Paternus correspond à l'année 443 après J.-C; vixet anvs. Usez visset âmios, à côté de e(/) PATER..., montre comment fonctionnaient dès cette époque en Italie les doublets avec et sans dentale. § 114. — Aucun exemple ne montre mieux que l'histoire de la diphtongue au l'incertilud*; chronologique du latin vulgaire en tant qu'on y veut reconnaître une langue spéciale évoluant en vertu de lois fixes et absolues. Nous avons essayé de démontrer, p. 160 sq., qu'cà l'origine ati atone seul passe à (1 dans le latin d'Italie : mais dès les temps les plus anciens 6 apparaît même, sporadiquement et dialectalement, il est vrai, pour au tonique. En ombrien, o est de règle en toute situation. Dans le sud de l'Italie au contraire, c'est au qui subsiste, même en syllabe atone, d'oii o ou cl dans les dialectes mo- dernes. Mais les exceptions sont à ce point nombreuses qu'il est impossible de nier cet état pour ainsi dire chaotique où s'est débattu le latin vulgaire depuis l'époque archaïque jusqu'à la constitution des langues romanes. On a par exemple en Calabre 7wru, trisuoru à côté de taguru, lat. taurus ; en Apulie oru, trisoru à côté de tauru, lauru ; en Sicile oru, Iresoru à côté de taiiru\ La forme oru a même pénétré en Sardaigne, à côté, il est vrai, de auni dans les statuts de Sassari, lequel existe aussi en vieux sicilien, chez CiuUo d'Alcamo par exemple. Or, ôriim pour aurum est expressé- ment signalé par Festus : Rustici orum (llcebant, s. v. orata\ c'était donc primitivement une forme archaïque de la rustici- tas, restaurée depuis en aurum, mais qui persiste sporadique- ment jusque dans les dialectes modernes dans d'autres régions de l'Italie. De môme tresorus, thesorus est attesté par les ins- 1. Ce qui, pour TApulie et la Calabre, complique beaucoup la ques- tion, c'est rhibtoire de au en messapien. Les plus anciennes inscrip- tions ont AO régulièrement contracté en O dans les textes récents, par exemple KAAÔHI n:i(^) sur l'inscr. de Brindes, KAOHIXR sur l'inscr. de Vaste. De même les monnaies archaïques d'L'î:entuni (Ug- sento) portent A"X EN. les plus récentes OX AN d'après Mommsen, Unleril. Dial.. p. 51. 11 faut donc, pour ces régions, compter avec quatre facteurs au moins : l'osque qui conserve fidèlement ««, le grec qui de bonne heure le fait passer à aii, cf. \0\' et non AT dans les trans- criptions latines, le messapien où la réduction à o est certainement récente, enfin le latin général d'Italie où la réduction est condition- nelle. § 114. — 270 — criptions : tesorys, CIL. X, 7197, etc. W. Meyer-Llibke, Gramm., I, § 288, a donc tort de considérer oru, trcmni dans les dialectes de l'Italie du Sud comme des emprunts récents à l'italien littéraire. En Vénétie, la réduction de au tonique à o est si ancienne que la voyelle a pu encore participer le plus souvent aux destinées de à primitif et se diplitonguer en uo. On est, comme on voit, assez loin des formules aujourd'hui courantes dans la philologie romane. Rien n'est plus faux qu'un raisonnement tel que celui-ci: les différents traitements de la diphtongue au dans les langues romanes ne peuvent se concilier en un prototype unique qu'en partant directement de au ; donc le latin vulgaire de toutes les régions de l'Empire n'a jamais connu d'autre forme que au\ la réduction de la diphtongue est de date romane, et quant à o pour au dans le latin archaïque, il n'y a pas à s'en préoccuper. La plus élémentaire logique proteste contre une façon de raisonner aussi enfantine et aussi peu scientifique. Il est trop évident, à l'égard de la diphtongue au par exemple, qu'en dernière analyse c'est toujours et partout au que nous trouverons à la base de chacun des représentants romans : mais on n"a pas le droit d'en conclure que la réduction de au n'a commencé qu'à l'époque romane. Les monuments présentent o pour au à toutes les époques de la langue latine, mais non point unifor- mément ni dans toutes les régions ; en Afrique par exemple, si nos souvenirs sont exacts, il n'y a pas d'exemples de la réduction. Les langues romanes attestent de leur côté que la monophtongaison s'est produite indépendamment et dans des conditions particulières dans les diverses contrées romanes. Il n'y a donc qu'à rechercher dans chaque province en parti- culier l'accord qui peut exister entre les témoignages épigra- phiques et les dialectes modernes ; dès lors la réduction de la diphtongue peut être reportée, en certaines régions détermi- nées, jusqu'à l'époque du latin vulgaire même le plus anciim et le dogme do l'unité linguistique de l'Empire romain tombe aussitôt au profit d'une chronologie plus compliquée et moins jjrécise sans doute, mais aussi, croyons-nous, plus scientifique et plus exacte. Rien de plus frapjîant à cet égard que l'histoire du groupe al devant consonne, leipiel confond sur un grand nombre^ d(» jiuiiits ses destinées avec celles à^^ au. Tant qu'on s'obsliiiera à admettre (pic aller ow allas se jirounucail partout uniforme- — 211 — ^ lli. ment en latin vulgaire, ce que démentent déjà expressément les témoignages des grammairiens, cf. Diomède, Consentius chez Schuchardt, Vok., II, 487, il sera absolument impossible de débrouiller quoi que ce soit dans les phénomènes complexes et contradictoires qui concernent ce phonème, particulière- ment dans la péninsule ibérique et l'Italie du Sud. Si altus donne alto en espagnol et altcr : olro, c'est que, dès l'époque où s'est constitué le latin vulgaire d'Espagne, les colons d'Italie avaient apporté d'une part alto ou alto, d'autre part déjà * aliter, et de même pour une foule d'autres exemples. La cause de l'opposition alto : otro doit donc être en réalité transportée d'Espagne en Italie et l'explication de la diver- gence ne se trouvera que dans le polydialectisme du vieux, latin italique. En osque, les groupes avec /première avaient sans doute t pingue. A l'époque historique, aitro- tond déjà vers d"tro-; en Campanie et dans une partie du Samnium, i après av'oir coloré a en rt, entraine comme devant 2t, v, dupli- cation de la consonne : alttrei Tab. Agn., 1. 17, 46 ; alttram, Cipp. Abell., 1. 53; alttr- ibid., 1. 53. C'est la première étape vers la chute de f après â comme elle est réalisée en ombrien après 0, u, cf. motai^: osq. molta, à côté de ombr. alfer, alfir, pélign. Alafis. De toute façon, la doctrine de la gémination des consonnes devant r, exposée par Planta, I, § 243, 3, p. 542 et Danielsson, Altit. Stud., W, 141, est un mythe qui doit dis- paraître de la grammaire osque ' ; la cause de tt dans alttrei, alttram est /et non pas r. En Lucanie, il semble bien que l ait disparu devant u comme en latin vulgaire au passe à a devant ii : de là atriid à côté de altrei sur la Table de Bantia. Que * âtru ou * atru pour * altrum, alterum ait circulé dans l'Italie du Sud dès une époque très ancienne, c'est ce que montre le latin diès atcr, Varron, L/«y. Lat., VI, 4, 29 : Bies postridie Kalendaa Nouas Idas appellati atri, quod per eos dies noui inciperent. L'expression diês: ater signifie donc « un jour d'une nouvelle série, d'une autre division ». Le mot nous reporte sans doute à l'époque où les Campaniens étaient encore les éducateurs de Rome, peut-être même au temps où Numa y introduisait le calendrier sabin. Quoi qu'il en 1. Pùnttram ou h ûnttra m ou toute autre chose (caria lecture n'est pas mieux établie ({ue le sens) sur une inscription de F^ompéi, Planta, n" 28, est une graphie isolée incapable de prévaloir contre entrai, pùstrei, etc. §115. — -278 — soit, c'est cet atur ou aller pour (i"U'r, ailler des dialectes sabelliques du sud qui persiste dans le sarde ciller, alleru (Stat. Sass.) à côté de alciinu, ullra, salmi, etc., ainsi que dans le calabrais alrii, cf. aussi alu, face, etc., à côté de olaru en syllabe atone, etc. Les formes si hésitantes du génois, aolro et atro dans les vieux textes, fao80 et alo, celle du vénitien et du lombard, ollro, coJd, AV. Meyer-Liibke, Gramm., I, § 252, sont peut-être indirectement liées au mélange de formes qui embarrassait le latin d'Italie : aller ou aller originaire de rOmbrie, cf. ombr. alfir\ — aller dans la Cisalpine ; — ailler et a'Hlru, allru dans les diverses régions du domaine osque. Les Étrusques prononçaient aller, avec /' mouillé analogue à Ij serbe: Vuisial, Vuisine à côté de Vulsinc, cf. Voisiener sur la pierre d'Assisium, Planta, I, § 149, p. 300. De là dans le toscan moderne, à Montalese par exemple, cf. Nerucci, Parlari vernac. délia Tosc., p. 11, ailtro, eaidclo, coippo, etc. ; dans d'autres régions de la Toscane, d'après W. Meyer-Liibke, Grundr., I, 555, on trouve, tout à côté de aatro (Pise et Lucques), à Grosseto par exemple al'lro ou cdlro, aTlo ou ailo. Seulement ce dernier traitement est resté local et n'a guère voyagé dans le reste du monde romain par suite de la situation spéciale des Étrusques et de leurs habitudes linguis- tiques trop particulières'. Dans les Abruzzes, andra =z allro est certainement lié à Cidlellus non cunlellus, App. Probi, MVNTV, CIL. IV, 1593, Pompéi, pour mulla, et autres témoi- gnages anciens du passage de / à n devant dentale, cf. aussi le sarde ispnncellare « dépuceler », dont le c toutefois indique un mot récent. § 115. — C'est seulement lorsqu'on sera parvenu à identi- fier d'une manière précise et rigoureuse les phénomènes essentiels de la phonétique romane avec les faits correspon- dants des anciens patois latino-italiques qu'on pourra entre- 1. Le type *rnurto ou mieux * morio. cf. p. 193, n. 1, dans le latin populaire d'Espafinc, peut être mis sur le compte de la prononcialiou ibérique. Le son /' pour l devant occlusive a éiialement pénétré sporadi- quement en Provence. On trouve a///'t' pouv (dire. aiUrc dans le pocnio de Boéce ; dans ailanl « autant », il s'agit d'un fait moderne non im- putable au laiin vulgaire. Aux exemples italiens qui ont été cités ajoutons encore aicuni et sailare que nous avons jadis relevés nous- même dans des textes en vieux toscan, si je ne nie trompe dans les Jstorie pisane publiées par VAi'chivio slorico ilalicino. prendre avec quelque chance de succès l'établissenieni de la chronologie du latin vulgaire et des langues romanes. 11 s'agit là d'un édifice immense à construire et qu'il faudra élever, non point en bloc et d'une seule venue suivant les procédés actuels, mais aile par aile, morceau par morceau et pour ainsi dire pierre par pierre. L'aire à couvrir est si vaste qu'il est difficile d'en apercevoir et d'en déterminer dès maintenant les limites; à part quelques jalons fixés, à ce qu'il semble, d'une façon définitive, tout est à creuser et à construire. Les fonda- tions mêmes de l'édifice, c'est-à-dire la chronologie des sources épigraphiques, n'ont pas encore pu être établies avec certi- tude. Ce sera naturellement sur ce point que porteront tout d'abord les eff'orts de l'investigation scientifique ; car tant qu'on ne sera pas très exactement fixé sur la date des Tables Eugubines et de la Table de Bantia en particulier, il est évi- dent que toute spéculation sur la chronologie absolue des dia- lectes italiques, et par suite du latin d'Italie, ne pourra jamais être acceptée qu'à titre de conjecture provisoire. Les monuments épigraphiques des dialectes osco-om- briens une fois datés avec précision et d'une manière sûre, il s'agira de les classer et de les coordonner avec les témoi- gnages des grammairiens et des glossateurs, de façon à pou- voir fixer chronologiquement l'âge et le développement histo- rique des différents phénomènes linguistiques attestés par ces monuments. On déterminera par exemple à quelle époque et dans quelles régions de l'Ombrie ke ki était prononcé se si, dans quelles autres ce ci, puis comment et quand cette valeur s'est établie dans ces régions. On recherchera ensuite, tant au moyen des indications de l'épigraphie latine et des renseigne- ments fournis par les grammairiens qu'à l'aide de la compa- raison avec les dialectes et patois modernes, dans quelle mesure et à partir de quelle époque les dialectes locaux du latin d'Italie ont participé aux phénomènes linguistiques des dialectes indigènes. On s'eff"orcera en somme de refaire, autant qu'il sera possible, la carte linguistique des différents patois latino-italiques de l'Italie ancienne aux diverses époques de la propagation du latin dans la péninsule. On suivra ensuite, au moyen des données fournies tant par l'histoire que par l'épigraphie et la philologie romane, le développement et la propagation de ces différents phénomènes dialectaux à travers l'Italie; on tâchera de retracer l'histoire de leurs luttes, de §116. — -280 - leurs réactions mutuelles, de leurs mélanges, de leurs hésita- tions, de leur disparition ou de leur triomphe définitif. On examinera par exemple comment ce ci de l'Ombrie, du Picé- num, des pays volsques a peu à peu gagné l'Italie du centre, puis les régions du sud et vers quelle époque cette prononcia- tion s'est établie d'une façon définitive. Enfin on recherchera dans quelle mesure les différents dialectes de l'Italie ont pu être transportés dans les pro- vinces par les colons italiotes et dans quelle proportion leurs particularités ont survécu dans le latin spécial de chaque région de l'Empire. On pourra se demander par exemple et rechercher dans l'histoire qui étaient ces Falis- ques, établis en Sardaigne, et à qui nous devons l'ins- cription votive de Faléries, Deecke, n" 62 ; on s'enquerra des lieux où ils étaient cantonnés et on examinera s'il est pos- sible de leur attribuer li pour / dans quelques patois sardes (cf. falisq. haha cité par Terent. Scaurus Putsch, p. 2252, comme correspondant du lat. faba^ ou si au contraire h sarde est moderne comme il l'est par exemple en espagnol. On se souviendra aussi que les Falisques articulent, à une certaine époque, c latin initial comme g, cf. gonlegivm, gondeco- RANT, voLGANi sur la dodicatio des Cuisiniers de Faléries, rappr. gvmana, CIL. I, 965, VI, 8362, sur une poterie de la vigne de Saint-Césaire, et dès lors on examinera si cj- pour c- en Sardaigne dans quelques mots du v. sarde tels que gollire, auj. boddiri «. coUigere » ou rjorlcUii « cultellus » n'est pas purement et simplement une importation falisque. § 116. — Telles sont les données sur lesquelles on édifiera, lorsque les progrès des sciences auxiliaires le permettront, la chronologie de la linguistique romane. La difficulté principale sera naturellement de distinguer avec soin les faits réellement anciens des manifestations postérieures de l'individualité des dialectes romans. On se gardera d'attribuer au latin vulgaire provincial ou italique des phénomènes développés au moyen âge et sans aucune espèce de lien avec des faits souvent fort analogues constatés déjà dans les dialectes italiques. Enfin il conviendra d'étudier avec une attention toute spéciale la lut(o du latin littéraire contre les patois vulgaires et établir avec soin, non seulement le moment où tel ou tel fait vulgaire apparaît dans telle ou telle région, mais encore le moment où — -281 — ^117. il iriomphe de l'opposition rpi'il rencontre dans la forme litté- raire et où il s'(''tablit délinitiveiuent et d'une manière générale. En attendant qu'on entreprenne d'écrire enfin, av(;c des moyens et des capacités qui nous man((uent, cett(; monumen- tale histoire chronologique du latin vulgaire sans laquelh^ la philologie romane manquera toujours d'une assise vraiment scientifique, il nous sera peut-être permis de résumer ici les conclusi(jns auxquelles nous sommes arrivés dans cette esquisse préliminaire du problème. Nous n'avons point la prétention de donner ici, tant s'en faut, un plan détaillé et ])récis des recherches futures ; il nous suffira, pour le moment, d'indiquer à larges traits les cadres généraux où la question nous parait devoir se mouvoir et ce serait déjà beaucoup pour nous si ces grandes divisions que nous proposons avaient le bonheur d'être conservées définitivement corriger mal à pro{)Os ce (pii. dans cet immense et précieux matériel, parait au })remier ab(»rd — 2S;} — ^117 inutilisable ou même en contradiction avec d'autres données. Il est certain par exemple q,uc rosco-saboUique casno- « vieux » et ses dérivés, casnar en pélignien, etc., avait pénétré dans le latin de la Sabine ; Varron cite non seulement casnar, mais il ajoute Liug. Lat., VU, 28-29: Et nostri eliam mine casinum formmœtus appellant, cf. en latin littéraire cascus. Schlutter, Arch. Lat. Lex., X, 192, conteste la glose fréquente fuma : terra, Corp. Gloss. lat., IV, 240, 21 ; ib. 519, 64, etc. : nous ne voyons aucune raison sérieuse de révoquer en doute l'au- thenticité d'une forme dialectale fuma, cf. pour / Terent. Scaur., p. 2252, Putsch: Quam Falisci habam nos fabara appellamua; Varro, Ling. lat., V, 98: Ircus quod Sabini fir- cus, etc.; Vel. Long., p. 2230 et 2238, Putsch; Plin. Hisf. Nat., 111, V, 9; Quintil., 1, v, 20; Servius, Aen., VII, 695, etc. Le féminin fuma, huma a pu exister à côté du masculin humus comme on a le neutre osque teriim, teerùm à côté du féminin teras (ace. pi.), latin terra. Les gloses de Varron surtout sont intéressantes, parce qu'elles se rapportent sûre- ment au latino-sabin, particulièrement au latin de Réate, cf. Ling. Lat., V, 106-107, 123, 159; VI, 5, 13; VII, 46 ; Uellust., m, 1, 6, etc. L'onomatologie géographique de l'Italie moderne donnerait sûrement, si elle était systématiquement étudiée à ce point de vue spécial, des renseignements intéressants sur le vieux latin dialectal. Nous avons déjà cité Porto de' Faliesi, p. 257, comme exemple de la résistance au rhotacisme en Etrurie. Le fleuve Digentia chez les Eques s'appelle aujourd'hui la Licenza\ le rapport des gutturales Digent- Dicent- est exacte- ment le môme que dans l'osque degetasis sur une inscription de Noie, Planta, n. 125, à côté de deketasiûi sur le Cippe d'Abella. L'inscription de CoUemaggiore rend probable l'exis- tence de colonies osques sur le territoire èque. Aufulena, sur les contins des Marses et du Samnium, s'appelle aujourd'hui Alfidena: c'est une survivance directe de au sabellique, cf. ausum, Festus Thewr., 6, etc., lequel a échappé à la réduction de au latin atone à n ; dans la suite au atone étant absolu- ment anormal en latin italique vulgaire, a suivi tout naturel- lement les destinées de son proche parent physiologique at. Le nom moderne de Clusium est Chiusi qui peut reposer non seulement sur le locatif Chisil, ClusJ mais aussi sur le vieux nominatif italique C/uslm; de même Assisium est au- ^117. — 284 — jourd'liiii .^.s.si.s/, cf. Satiiiira « Samiiium » sur une inscription de Bovianum et sur une monnaie samnite de la Guerre Sociale, mcdicim, Tab. Bant., 1. 30, etc., Fisim, Fisi, tertim « ter- tium )) sur les Tables Eugubines, cf. Stroitberg, Bcilr. Paul Braune, XIV, 165-203, Hirt, Indogerm. Forsch. I, 13 sq. Ces nominatifs italiques en -is ou -Is, accus, -im ou -îm pour -ius, -imn du latin classique, avaient très sûrement pénétré dans le vieux latin d'Italie: mercvris, Cllt., suppl., I, 474, viBts, il)., suppl., I, 478, de Préncste ; anayis, CIL. I, 832, CAECiLis, il).] 1, 842, etc., sur des poteries de la vigne de Saint-Césaire. Comme nous Tavons dit p. 180, n. 1, nous ne croyons pas que, à part a lis dont nous allons parler, ces nomin. en -is, accus, -im de 2" décl. figurent réellement dans le vieux latin du Latium. Mais en Italie on les trouve presque à toutes les époques. Nous venons de citer quelques exemples des dia- lectes archaïques ; en voici quelques autres déjà imputables, selon nous, au latin général d'Italie. En Campanie, on a notam- ment SALLvsTis IRN., 6; lvcilis, ibid., 287; apeleis [Apcl- lius), CIL. IV, 2476, de Pompéi. Dans le nord: fvlvis, Gori, bise. Etr., 1, 135; brvtis, Vermiliolli, Insc. Pcrus., 27; ven- TiNARis, CIL. V, 428, de Padoue. 11 y a même des exemples dans la Gaule méridionale, ce qui confirme, croyons-nous, l'interprétation que nous proposerons à l'instant du provençal (jlazi ■= * gladï{m). On a par exemple evCtENIS, Boissieu, Insc. Lugd., 39, de Lyon, vf siècle, cf. aussi CIL. XII index. On trouvera d'autres exemples encorp chez Ritsclil, Opiisc, IV, 44i) sq., à qui nous avons pour la plupart emprunté ces der- niers. Une des plus lumineuses démonstrations de Ritschl, ibid. 469 sq., porte sur le nom célèbre de Verres où l'illustre épigraphiste a le premier reconnu un doublet de Verriiis; Cicéron dit au génit. Verri, cf. Prob., InsI . art., II, 1473, Putsch. II faut naturellement voir dans Verres le vocalisme sabellique de notre flexion, analogue à Annes, Pacues, etc. Ailleurs on a la flexion plus spécialement osque verris, exemple épigraphique. Quant à alis a.lid, qui est bien connu même en latin clas- sique, chez Lucrèce, Catulle, T. Live, II, 43, 10, d'après Alschefsky, Salluste alis alibi, fin du Catilina d'après le fragm. de Vienne, Keil, p. 561, 14, Ritschl, Opasc. IV, 452, cf. aussi Priscien, XIII, 959; XV, 1014, Putsch; Charisius, II, — 285 — î; 117. 133, Putsch ; Dioinèdo, I, 323, Putsch, — il est attesté à toutes les époques par l'épigraphie : alis, CIL. I, 003, Lcx Furfeiisis (i"' s.), ALIS, CIL. II, 2633, Astorga, 27 après J.-C, etc., et se retrouve sûrement dans le v. franc, al, cf. (Irober, Siihslvdte s. V. — De même la clé des ditîicultés présentées par le suf- fixe -ârius en roman pourrait bien se trouver dans les hésita- tions entre -Cu'lo : -ârïs (nomin. italique) ou -ârls, -are. Ritschl, Opusc, IV, 464, a montré que les nomin. en -ârius étaient plus anciens et plus foncièrement latins que ceux en -âris. Des formes telles que le provençal c/lazi = rjladium sont considérées, surtout à cause de leur isolement dans la langue à côté de dérivés phonétiques réguliers rai, bai, etc., comme des formes savantes et nous ne voudrions point, dans ces questions de détail, contester l'opinion de spécialistes émi- nents ; toutefois fjlazi peut aussi, croyons-nous, s'expliquer phonétiquement comme un dérivé direct de * f/la(ll[m) pour f/ladium classique ; gl- subsiste en prov. comme en français. De même, les emprunts byzantins et romaïques -yXx-.'., s-'t-., de palalium, Itofipilium. ' ; de même les noms gothiques en -areis = lat. -ârius, cf. Kluge, Zcifsc/i. lioni. VliiL, XVII, 559 sq. Les thèmes en -inj- avaieni sans doute à l'origine, paral- lèlement à ceux en -/o-, le nominatif en -us, accus, -um, cf. grec ~ziJhz\ rSiJ.yj-. Il y avait sans doute des régions od eruo?n se déclinait * ('ru{?n), ern'i, eriid, etc., primitif 1. Les nominatifs romaïques et byzantins en -;;, --. ont déjà été étudiés bien des l'ois. On trouve déjà sur des inscriptions relativement an- cieiuies ammomï: CIGr.. I, 4713 c-, AnoAvnMS, ibid.. 26 'iG, AiniHTi'ii:; à l'accusatif staaix, :\iAPTrpi.\, etc. Hœckh, ClÇr.. I, 475. y voit des formes récentes et déjà Letronne, In.trr. d'EyypU'. I, p. 111, les attribue à l'influence romaine. Pour notre part, ce qui nous frappe, c'est qu'effectivement ces désinences apparaissent le plus souvent dans des noms latins : iAXOïAi'lx ("IGr., I. 3857 7, cf. ianvahis, fréquent sur les terres cuites de l'Italie du Sud; lOVAli: CIGr. I, 7119: kaahopmï, ibid., 43(JG ir : KAATAIi!, ibid., olO'J, 5198: KADAli:, ibid., 5'i65: ORTAlili;, ibid., 5197; XONNEIS, ibid.. 2322 h, 84; rAEi:::, ibid., 397G ; l'ilTIAPI^, ibid.. 26G3 (rêtiârius). etc. Ce sont là. croyons-nous, autant de preuves en faveur des nomin. en is de 2^' décl. dans le latin d'Italie, '.Ta/,'././, YÀoj—a, tel qu'il circulait dans toute l'étendue du monde romain. — Sur le prétendu -iy., doublet de -iy. en romaïque pour -drio latin, voir \\'. Meycr-Liibke. Zcitschv. Ham. Phil.. XXll, 1 s(|. 2. Remarquons toutefwis que Ferdinand de Saussure compai'ait au- trefois à son cours de l'Kcole des Hautes-Études (1890) la déclinaison de -o),j; : 7:o)>àoj à celle du iiotbique /tnrdiis : hardjana qui suppose une flexion indoeur. -us: -io- et non pas -us : -ijo-. §118. — 286 — italique * erouo-, grec op:6o;, puis e)'(to- traité comme daus les noms avec -iws -nom primitif ou comme on a ecus equl: de là l'espagnol yero, it. /ero =z * eru « eruom «, car nous ne voyons vraiment pas comment les romanistes expliqueraient autrement la chute de v. D'après Parodi, Roman., XXVII, 240, l'esp. inllano suppose *m//;prac/ie, V, 44, Seelmann, Ausspi'acJie, p. 333 sq., soutenaient des opi- nions analogues; Schuchardt, Vok., 1, 150 sq., posait la fin du iv° ou le début du v° siècle, tandis que Stolz, Hist. Gramm., I, 257 sq., est revenu à la fin du v" siècle. D'autre part Grd- ber, Arch. Lai. Le.r., I, 225, place, conformément à sa théo- rie chronologique, les débuts de l'altération de ce ci, ge gi, après la conquête de la Sardaigne; W. Meyer-Lûbke est plus afïirmatif encore quand il déclare, Laie in. Spraclie, § 21 : « Die geographische Verteiiung von Guttural, Palatal, Sibi- lant trifft mit den Daten der Romanisierung so genau zusam- men, dass Zufall ausgeschlossen scheint ». Il est vrai que d'un ilOHL. — Chronologie du lutin vulgaire. 19 §119. — -290 — autre coté rillusirc professeur de Vienne rejette toute espèce (le relation entre le traitement roman des gutturales et le traitement ombrien, cf. Gramm., I, îi^O^O, ce qui, en scindant le problème, ne manque pas de le compliquer. Au contraire Bréal, Prononriation dfi C lai in, dans les Méin. Soc. IJng., VII, 129 sq., ne parait pas séparer les faits italiques des faits romans et conclut à une palatalisation ancienne des guttu- rales on latin vulgaire. Dans ces dernières années, la question a été reprise par un maître éminent, Gaston Paris, dans une étude extrêmement importante sur Les faits épigraphifjues en preuve d'une alté- ration ancienne du C latin, dans les Comptes rendus de l'Aca- démie des Inscr. et Belles-lettres (1893). Révisant avec soin les exemples épigraphiques connus, G. Paris n'en retient que quatre absolument sûrs : in-page, de l'an 383, paze sur une inscription postérieure, bincentce, inscription des cata- combes antérieure à 410, intcitamento du début du v° siècle. Encore le savant romaniste ne retient-il ces exemples que pour en faire justice comme des autres : les deux derniers ne lui paraissent pas signifier grand'chose et quant à page, paze pour pâco, il déclare tout ouvertement qu'en aucun cas il n'admettra une altération aussi avancée que z ou pour c dès le iv*" siècle. Il faut avouer que c'est là quelque peu nier l'évidence, car enfin si page, paze ne peuvent être révo- qués en doute quant à l'authenticité de la lecture, pourquoi repousser sans examen leur témoignage ? L'épigraphie ne nous a cependant pas gâtés en exemples significatifs, à ce point (|u'il nous soit permis de dédaigner ceux-ci. Encore que les témoignages épigi"aphiques soient, à notre avis, infini- ment plus sûrs ({ue ceux de la paléographie, (î. Paris préfère s'en tenir aux données fournies postérieurement par les manus- crits. Alors qu'il admettait autrefois que /•, ts dataient en Italie du v° siècle, en Gaule et en Espagne du vl^ il recule aujourd'hui ces dates et fixe le milieu du vi" siècle pour l'Ita- lie méridionale, la fin du même siècle pour la Cisalpine, et quant à la Transalpine et à la Rhétie, il déclare qu'il est impossible d'attester le phénomène avant les premiers exem- ples paléographiques surs, c'est-.à-dire les Gloses de Rei- chenau, au viu" siècle. Jamais on ne s'était encore» montré aussi sceptique — je dirais presque aussi liostile — ;i l'égard de riiypothèse d'un <'■ ancien en latin vulgaire. — -iOI — Ï5 I 19. Le dernier auteur ([ui, ;\ notre connaissance, se soit occupé de la question, est Guarnerio, L'intacco laL délia guttur. di Ce Ci, dans VArch. glottol., Suppl. IV, disp. 1897, p. 21 sq. Sans apporter dans la question rien de bien neuf, le romaniste italien a su du moins faire valoir, encore que bien timidement, quelques bons arguments contre les conclusions exagérées de G. Paris; il s'en tient quant à lui à une opinion plus mo- dérée: le stade /f serait ancien, puis vers le dél)ut du v" siècle interviendrait /', évoluant ensuite vers a d'un côté, ts de l'autre, conformément à rex[)lication phonologique de Lenz, Physiol. wid Gesch. der Palat., dans la Zeitsch. verijl. Spraclif., XXIX, 1 sq. et AV. Mejer-Liibke, Gramm., I, § 403, 1, explication qui est elle-même toute théorique et ne repose en somme que sur le puéril désir de ramener ici encore toutes les formes romanes à un même prototype vulgaire. Nous croyons au contraire, avec Schuchardt et Ascoli, que c est plus ancien et plus général que ts ; dans certains dialectes macédoniens, nous voyons très nettement ts sortir de 6 ou c roumain; en serbe cr passe à cr (= tsr, np), en bohémien à cr puis ctr d'où str, cf. sti-ep, v. slav. ère/pu ; ts est précisé- ment le représentant de c, c chez les peuples qui ne possèdent point cette articulation, comme le montre -Z grec pour c turc, italien ou slave. En somme, toutes les théories actuellement courantes à l'égard de c- roman pèchent par un point essentiel. Elles ne tiennent pas compte d'un indice chronologique dont cepen- dant la certitude est absolue et que les raisonnements les plus subtils des théoriciens ne parviendront jamais à ruiner dans notre conviction. Il s'agit de ce fait que ke ki germanique n'est jamais traité comme ce ci latin. Or, les mots gothiques notamment commencent sûrement àenvaliir, et en grand nom- bre, le latin vulgaire dès le milieu du iv" siècle environ. Il est donc tout à fait certain qu'à cette époque ce ci latin était déjà tellement différent de ke ki germanique que celui-ci ne pouvait plus en aucune façon être assimilé à celui-là, ce que la langue n'eût point manqué de faire, en vertu des tendances assimilatrices de l'analogie phonétique, si les deux pho- nèmes eussent été seulement tant soit pou semblables. Si ke A'/:' germanique reste distinct de f^ ci latin, c'est qu'au iv° siè- cle ke ki gothique était encore guttural, tandis que ce ci était déjà une palatale, soit v, de même que w germanique, qui § 119. — 292 — était encore ij au iv^ siècle, n'est jamais confondu avec v latin qui était déjà tout au moins fy ou tr bilabial. Il est donc évident pour nous qu'au iv" siècle ce ci latin était de'jà c, res- pectivement/5, et nous ne cesserons de défendre cette manière de voir de toute notre énergie et avec une inébranlable convic- tion, parce que notre raisonnement nous paraît inattaquable. C'est pourquoi nous ne voyons aucune espèce de raison de suspecter, pour le iv" siècle, la graphie paoe, paze : nous y reconnaissons tout au contraire une confirmai ion éclatante de nos déductions historiques. Le phonème c, secondairement ts, une fois constaté au iv*^ siècle dans le latin vulgaire de la plupart des provinces et de l'Italie, on peut rechercher de la même manière si, indirecte- ment, il ne s'atteste pas pour une époque encore plus ancienne. A partir de la hn du m" siècle, la Dacie se détache du monde romain et désormais tout lien, au moins direct, avec le reste de l'Empire est brisé pour l'ancienne province deTrajan. Sans doute, les légions sont rappelées, beaucoup de colons trans- portés en Mésie et en Pannonie, mais il est impossible de penser que la Dacie entière, où existaient, cf. Budinszky, Ausbrcit. lat. Spr., p. 212, des villes considérables, des éta- blissements riches et florissants, ait été abandonnée complè- tement par tous ses habitants. On comprendrait à la rigueur un retour des populations romanes d'Orient dans une partie de l'ancienne Dacie trajane, en Valachie par exemple, mais précisément ce fait que nous retrouvons aujourd'hui les Rou- mains des deux côtés des Carpathes, exactement dans tout leur domaine primitif, doit suggérer cette conclusion logique que le gros des colons romains n'a jamais quitté le pays'. On peut consulter pour les détails de cette importante question le bel ouvrage de Xénopol, Vnc énigme hialonque, et celui de Toci- lescu, Uacia Inninic de linninin. Dès lors il faul, ou bien (|ue 1. L'invasion slave en IJouinanie peut être assez exactement eoni- pai'ée aux invasions irerinani(iues dans les autres régions de la lîomania ; elle" n'eu a été d'ailleurs qu'un écho indirect. La population romane de la Dacie n'a pas plus été expulsée par les Slaves que les (iallo-Honiains ne l'ont été par les Francs. Les noms géographiques d'origine slave prouvent que le contingent fourni par l'invasion a été considérable, surtout en ])résence de la faible densité probable de l'élé- ment latin ; celui-ci a néanmoins fini }jar reprendre le dessns au point de vue linguistique, exactement comme les Grecs et les ikilgares après l'invasion 1ur(|ue en Jîoumélie e1 en Macédoine. — -293 — ^110. le è du roumain ait été a})i)orié directomt'nt d'itallo avant l'abandon de la province par l'administration impériale, c'est- à-dire tout au plus tard dans le courant du m" siècle, ou bien que ce (• ait été développé postérieurement et séparément de ce ci, soit ke là, en Italie et en Dacie. D'une pro})agation naturelle de c, c par ondes phonétiques irradiantes pour ainsi parler, il ne peut être question, puisque l'albanais et le latin d'Illyrie (végliote) interrompent la chaîne de continuité géo- graphique entre c italien, ts's) vénitien, c rhétique d'une part et c roumain de l'autre. Nous n'ignorons pas qu'on fait valoir contre l'hypothèse d'une dépendance directe de 6 roumain et c italien un argu- ment phonétique qu'on présente volontiers comme inatta- quable. On fait observer que c roumain continue non seule- ment ce ci latin, mais aussi que qui, ce qui n'a point lieu en italien: d'où l'on se hA te de conclure que c italien et c roumain ont des origines et une histoire différentes. C'est aller trop vite en besogne et l'on n'a pas le droit de déclarer « p'/c'r/ que dans le roumain cincl par exemple les deux c sont contempo- rains ; cinci peut fort bien reposer sur un plus ancien * cinki = ital. cinque. Des formes de ce genre prouvent purement et simplement que que qui, devenus ke ki, ont par la suite subi en Dacie le même traitement que ke ki ou ce ri primitifs, et l'on est mal venu d'en tirer d'autres conclusions. Dans les patois modernes de la Picardie maritime, quinze se prononce ci"z comme curé se prononce c-ïiré ou comme ke ki germanique donne en français ce ci parallèlement à ca pour ca latin. A Tarenle et généralement en Apulie noce et aquello se pronon- cent, parait-il, 7iuce et acedOu : en a-t-on jamais conclu que ce ci latin est resté guttural en Apulie jusqu'après la réduc- tion de que qui k ke ki? Le roumain cincî, cine, etc., prouve seulement que la palatalisation est intervenue une seconde fois dans la langue et qu'elle a frappé également les gutturales d'origine récente. S'il s'agissait d'une loi ancienne, le pluriel de apà = aqua ne serait pas ape mais * ace = aquae comme amie fait amicî. Rien ne s'oppose par conséquent à ce que c roumain pour ce ci soit venu directement d'Italie lors de la colonisation trajane, et les circonstances historiques de la romanisation des provinces danubiennes, telles que nous avons essayé de les esquisser, voir §§ 104 sq., militent puissamment en faveur de § 120. — 20i — cette hypothèse. Admettre, cumnie on le fait, un développe- ment parallèle et indépendant de ce ci en c ou en ts dans toutes les provinces de la Romania (car il y a des philologues qui n'épargnent même plus le che chi sarde et y reconnaissent, cf. Ascoli, Arch. f/lottoL, II, 143 sq., un retour de c- à k i)arrin- termédiaire de //') est vraiment une chose bien extraordinaire et, quelle que soit la part que l'on fasse au hasard, une ren- contre aussi universelle et aussi absolue est faite tout au moins pour inspirer le scepticisme. D'autre part, reporter l'origine de r, ts jusqu'au v"" siècle et au delà en admettant une propagation de proche en proche h. tous les pa}'s romans est plus invraisemblable encore ; car c'est étrangement mécon- naître les conditions linguistiques des provinces romaines que d'admettre, pour ces époques toutes modernes, un lien assez fort et des contacts assez intimes entre toutes les parties de l'Empire déjà détruit, pour qu'après des siècles de latinité et des habitudes de langue déjà si anciennes, une prononcia- tion aussi nouvelle et aussi spéciale ait pu encore s'implanter partout d'une façon aussi universelle. C'est là une manière de voir que nous n'accepterons jamais. § 120. — La clé de la question se trouve, croyons-nous, dans le traitement de f/. Tout le monde reconnaît que, déjà au \f siècle, cl se confond sur les inscriptions avec tl ; seulement d'une part W. Meyer-Liibke, Latcin. Sprachc, § 24, se trompe quand il déclare que « die Assibilation von cy ist wohl gleich- zeitig mit der von ce », puisque le vieux sarde rend c/ par -Z, tJi, par exemple oy.-':x-., chartes du ix*" siècle, liihl. Ecole des Chartes, XXXX, 255 sq., f((thfft, Stat. Sassar., alors que ce ci est toujours •/.£ y.i, che chi. D'autre part, Lindsay, Latiii hnvj., 88, n'est pas mieux inspiré lorsqu'il écarte toute assibilation originelle dans les groupes r/ // et prétend que c/ // se con- fondent exactement pour la même raison qui fait passer // à cl, par exemple ueclus pour îteflits; s'il s'agissait d'un passage de kl à tr, l'italien ne maintiendrait pas les deux phonèmes dis- 1. Gaston Paris, Allérat. du C lai., p. 30, a fait justicode cette tlioorio. S'appuyant sur les chartes sardes du \i'' siècle, publiées par Blaucard et Wercher, Bihl. Ec. Cliarlcs. \XXV, 255 sq., il a montré que //et ci sont figurés dans ces textes par t^, mais ce ci régidièrcnient par za •/.;. lî ne saurait doiu; èti'c (juestion en sarde d'une assil)ilation ancienne de ce ci latin parallèle à celle de // ci — 295 — .^ 120. tincts et articulerait piazza comme farxia, soit ' placcia. Enfin, il n'y a aucune raison de croire, comme on le fait d'or- dinaire, que ti s'est assibilé bien longtemps avant W ; les trans- criptions gothiques sur lesquelles on s'appuie n'ont (ju'uiu) valeur très relative, comme toutes les transcriptions emprun- tées au langage littéraire. La vérité est que le jour où on a prononcé / en regard de i du latin classique — et il y a des formes telUis que facial ou rncdlns nù le latin vulgaire d'Italie, aussi loin qu'on remonte dans le passé, n'a jamais connu d'autre son que i semi-voyelle — les consonnes précédentes ont affecté tout naturellement une prononciation mouillée: fa- k'iat, mocVlo, pret'lo, al' m ou mieux fak'k'lat, mùd'cllo, etc., cf. W. Meyer-Liibke, I.at. Spr., § 24, qui tendent de plus en plus vers les phonèmes composés k'I, d' i, t' [, /'/ en une seule émission de voix. Le latin p^ior -=. * pc\d'iôs \ l'italien mczzo = * mëd\dlo \ scr. madhja-, gr. [;.iacr, avec dd'i dd' i passant à ddz comme r// dans l'osque de Bantia, zicolom, etc. ; le latin vulgaire * l'ajju, ital. ra 24. Remarquons aussi Osslior: ■x::'/o'ko'j[xx'., c'est-à-dire Olior, Corp. ai. Lai., Il, 140, 16. Schlutter, Arch. Lat. Lex., X, 199, cite defcntio [tour defensio. Ajoutons de notre côté, sur des inscriptions chrétiennes de la Gaule, resvrrexio, CIL. XIL '-3185, 2310 ; indixione, lndexioni, CIL. Xll, 2187, 2191, 2310, etc. Une inscription d'Herculanum Orelli 3115, antérieure par conséquent à l'an 79 de notre ère, porte déjà, semble-t-il, conditio pour cotidiciô, Bréal, Méin. Soc. Limj., VII, 152; cf. pourtant CIL. X, 1401. Donc ci devait à cette époque avoir, soit une valeur identique à //, comme nous l'avons eu effet reconnu déjà antérieurement à l'assibi- lation de ci ce, dans le sud de l'Italie et en Sardaigne —soit un son silllant assez analogue pour pouvoir être confondu par le graveur, comme en vieux bohémien par exemple cz signifie à la fois c f^.s-) et a. Or, les grammairiens nous apprennent positivement ([ue r/ « habet pinguem sonuni » et // « sonuni gracilem » cf. Gramrn. lat., Keil V, 327, '2.^. C'est à quoi répond exactement l'italien faccia en regard de piazza. De cette simple constatation se dégage aussitôt cette con- clusion que, si f/ est en général prononcé cl et non Is'i au 11° siècle, c'est que tout c devant voycdle dentale est déjà devenu c et qu'on prononce non seul(un' de T/x/lassia? Corp. Gloss. Lat., V, 242, 11 : Salacia de j)aganorum quasi maritima, cor- rigé par Schlutter, Arch. Lat. Le.i., X, 2, en Thalassia dea paganorum maritima, cf. pourtant Bréal, Mém. Soc. lÂng., VI, 124. Guarnerio, Arch. glottoL, Suppl. IV, 1897, p. 40, s'appuie sur les graphies cinctivs, qves(^venti et autres semblables qui se rencontrent encore au iv* siècle et sans doute au delà, pour déclarer que c n'est pas assibilé avant le v'^ siècle ; c'est môme sur cet argument, qu'il considère comme irré- futable, qu'il édifie ses conclusions. Mais précisément il n'y a § 1-23. — .'ÎOi — pas d'argument plus décisif en faveur de l'assibilation dans la langue vulgaire : le graveur sait que, dans la prononciation urbaine et littéraire, c vaut en toute position la gutturale k ; aussi se juge-t-il extrêmement érudit et élégant d'écrire cinc- Tivs pour Quinctins. Il sait d'autre jiart qu'à Rome les ma- gistrats et les gens lettrés articulent quiesLfnli: il écrit donc QViESQVENTi. Daus l'uue et l'autre forme d'ailleurs, la confusion de c et de qu est un argument de plus en faveur du c vul- gaire ; car qui ne passe à ki qu'après l'assibilation de ci primitif. Le môme raisonnement s'applique naturellement à hirqui, huiusque pour Jiircl hûiusce et autres semblables déjà relevés par Schuchardt, Vok., II, 484 sq. Joignons-y de notre côté cis « quis », CdL. V, 6244 et nombre d'exemples de CES(^VET « quiescit ». ^ 123. — Comme l'a montré Bréal, les transcriptions étran- gères n'ont guère plus de valeur que ces graphies pédantes Elles reposent en général, comme il est naturel, sur l'usage littéraire et non pas sur les formes dédaignées des jargons plébéiens et rustiques. Si le contrat gothique d'Arezzo porte fidvur unkjane Inu/sis « quattuor unciarum lundi », c'est que les notaires romains persistaient à prononcer à peu près à la manière classique unliia pour uncia, de même qu'ils per- sistaient à articuler et à écrire -s, -m final depuis longtemps aboli dans le parler vulgaire. Il n'y a pas davantage à s'éton- ner que les grammairiens latins ne nous décrivent guère que la prononciation classique'; lequel d'entre eux se fut soucié de nous apprendre comment la populace des villes italiennes, les paysans, la soldatesque prononraient ceutum ou cicer? Il faut remarquer toutefois qu'ils nous décrivent tout au moins le le palatal. Terontianus Maurus, Keil VI, 3:51, nous dit (pTcn prononçant c la langue frotte des deux côtés contre les mo- laires, ce qui n'a pas lieu pour g: IJlnimqne laliis dcntihus applicare iimjuain C p/'cssi/ts uryet. Il ne peut s'agir que de ke jt'/ opposé à (je yi {-=z:zje,,jï) tout au moins, car une diffé- rence de ce genre n'existe sûrement pas entre | n'aurait été abandonné par l'orthographe étrusque que dans le courant du m'' siècle de Rome. Nous croyons pour notre part que q k c répond direc- tement à la tradition sémitique de l'ancien alphabet gréco- lihénicien ; seulement le grec, où cette distinction graphique ne répondait point à une distinction physiologique réelle, devait l'abandonner de bonne heure, alors que les peuples d'Italie y trouvèrent au contraire des représentants exacts de leurs gutturales. Constatons encore que l'usage de k pour c jusque sur des inscriptions relativement récentes, comme on a par exemple dekember même pendant l'époque impériale, cf. aussi DEtEM sur le columbarium de la Vinea Somaschi, pour- rait bien être en relation avec l'assibilation de c ; on écrit Dekember, nom officiel, avec A-, afin qu'on ne lise pas à la façon vulgaire Dccember. C'est un témoignage analogue que nous serions, pour notre part, disposé à tirer de la graphie pidcher pour pulcer ; ch, en dépit de la glose d'Hésychius, parfaitement obscure d'ailleurs, rSù.xypi'r xaAdv', ne représente nullement une aspirée ; comme Ta démontré Louis Havct, Mém. Soc. Ling., YI, 115 et 243, les aspirées grecques y c étaient rendues dans la prononcia- tion du vieux latin par ce pp tt\ la transcription ch équiva- lait ainsi à ec ou simplement à e. Dans pulclirr, le ch n'a d'autre valeur que celle de eh italien dans chiave, chi, vecchio ; il est destiné à représenter, devant e, la gutturale c non atteinte par la palatalisation. En d'autres termes, pulcra, pulcrum, pulcri, etc., ont ici préservé par analogie le c dans pulcer, comme en ombrien fratrexs préserve c au datif fra- treci ou comme on a en italien fuochi d'après fucjco. C'est cette prononciation dure, pulker (au lieu de pulk'er ou peut- 1. Rien ne prouve qu'il s'agisse d'un mot latin ou italique. JIoHL. — Chronologie (In htlin vulgaire. '20 ^ \-2i. — 300 — être même déjà quelque chose comme pulk^cr) que l'ortlio- graplie rend ^^av pulchei^ ; le cJi est plus tard étendu aux autres formes et on écrit pulchra, piilrJinnn, puis, par analogie orthographique, régulièrement scjiulchrum à partir de l'époque impériale. Or, PVl'CHER figure déjà sur les monnaies de l'an lOo avant J.-C, cf. CIL. I, 380. Le k palatal devant e i serait donc assuré en latin dès l'époque la plus ancienne de la langue ; son développement normal en c ne dépend plus dès lors que d'une question de temps et de lieux. ^ 124. — Dans le nord de l'Italie, les dialectes indigènes ont développé ce le beaucoup plus rapidement que dans le centre et le sud de la péninsule ; ils sont arrivés à c quelques siècles plus tôt que le latin du Latium. Nous avons dit que c ,s om- brien était relativement récent, puisque la répartition de /.' et .V dans les désinences n'est pas encore complètement achevée sur les tables en écriture nationale, ainsi qu'il ressort de Pupdi kos à côté de Pupdices. Comme il est a])solument im- possible de fixer la chronologie des originaux des anciennes tables d'Iguvium, les origines historiques du son c ne sauraient être précisées davantage. Toutefois, comme la littérature om- l)rienne commence vraisemblablement avant l'asservissement de l'Orabrie par les Romains, il n'est guère croyable que le signe d ait pu être introduit encore postérieurement à la conquête romaine. Le son r existait donc déjà en ombrien avant la fin du iv" siècle avant notre ère. Le latin de l'Ombrie a donc pu participer de très bonne heure, dès ses premiers empiétements dans le pays, à la prononciation <'- pour le. C'est peu à peu seulement que cette prononciation s'est éten- due sur toute la péninsule et de là dans presque tout le monde romain. En tout cas, tant que l'osque reste la langue du Samnium et de tout le sud de l'Italie, il est impossible d'at- tribuer le /• au latin vulgaire généralement parlé par les.Ita- liotes. La colonisation de la Sardaigne tombe encore, ainsi que celle de l'IUyrie (seconde moitié du ii'' siècle avant J.-C.) dans une période où A' était encore dominant dans la plu- part des contrées. C'est seulement après la (îuei-re Sociah% lorsque les populations du noi'd repeu})lent le Samnium, la Lucanie, le Ihaittinni dévastés /r/vo r/ it/in, (jU(> le r ombrien et volsque commence peu à peu à s'imi)oser jjartout. Il n'y a pas de doute que sous Auguste r pour A; était déjà la pronon- — 'MM — § 125. ciation la plus générale ; ainsi s'expliquo que l'Espagne, dont précisément Auguste comnienra la ronianisation systématique, ait pu encore recevoir le c et que ce son s'y soit implanté d'une façon aussi générale. On peut donc hardiment, croyons-nous, fixer au milieu du i"'' siècle de notre ère le triomphe définitif de c dans la pro- nonciation de la y.otvï] vulgaire ; effectivement, dès la fin du même siècle, les inscriptions nous attestent, par la confusion de c/: /^, que le phénomène est accompli et qu'il commence même à gagner les classes demi-lettrées de la population romaine. Lorsque le grec c/iojpo; devint, parmi le peuple d'Italie, l'appellation la plus usuelle de l'écureuil, ci latin était déjà trop éloigné de y.-, grec pour pouvoir lui succéder; sciûrus passa à * sctiiro qui sauvegardait la gutturale, provençal escid/'ol, fr. écureuil, ital. scojatlolo, etc. La métathèse de iii en ni ne doit être rapportée ni au phénomène purement fran- çais qui donne nd, ni de nu, tuile de tègula * tlula, ni à une prétendue aversion du latin vulgaire pour le groupe iu, comme l'admet W. Meyer-Lïibke, (rranun., L § 1~, Trad. p. 34, et comme le dément par exemple * apiuva de àtpû-/;. Il y a enfin un exemple dont le témoignage nous paraît tellement décisif et sur que nous l'avons réservé expressé- ment comme conclusion dernière et irréfutable à nos yeux. C'est le traitement de sûcidus a gras, suintant, sale » en latin vulgaire. Ce mot est absolument parallèle à fngiiUis, et effec- tivement l'un et l'autre syncopent de fort bonne heure la voyelle médiale tout en abrégeant l'un et l'autre, pour une raison inconnue, la voyelle tonique. Les inscriptions attestent ces faits comme accomplis dès l'époque d'Auguste pour le moins ; frida est donné par une inscription bien connue de Pompéi. Or, la syncope a eu lieu après la palatalisation des gutturales, ■&o\i* fr'ij ici o * frlJcln^iioX. fredilo, franc, froid, etc. d'un, coté, et * sûcido * sûcdo de l'autre. Ce *sàcdo, à cause de son caractère insolite, passe promptement à * siulco, d'où normalement en italien sozzo, dont l'étymologie est sûre ; c après consonne donne ts'z), comme dans calza, etc. Il faut donc forcément conclure que c existait en Italie avant la syn- cope dans frlgidus, sûcidus, c'est-à-dire pour le moins avant l'époque d'Auguste. § 125. — Celui qui entreprendra de retracer l'histoire défi- § 1:25. - 30S - nitive des origines et du développement de c en latin vul- o-aire devra replacer la question dans son milieu et embrasser dans une étude d'ensemble tous les phénomènes relatifs aux gutturales. C'est seulement en étudiant l'évolution et les diffé- rentes transformati(Mis de g parallèlement à celles de c qu'on pourra se persuader pleinement dos origines italiques des palatales vulgaires et en général de la plupart des phéno- mènes connexes. La gutturale g devient (.y = /) devant e i dès une époque ancienne du latin vulgaire : des exemples tels que YiNTi CIL. VIII, 8573; frida, iô., lY, 1291, inversement GEiVNA « ieiuna », iù., XII, 2193, etc., abondent sous l'Em- pire ; la lettre I lo7iga dans la graphie fréquente regIvs signifie, non pas un simple jod comme le croit Seelmann, mais bien * rëiius comme on écrit eiivs ou eIvs. La forme ivria sur une inscription d'Afrique relevée par Ihm, /brh. lat. Lr.r., IX, 245, montre que l'histoire de gl en latin vulgaire n'est nul- lement parallèle à celle de d'i comme le répètent tous les roma- nistes depuis Diez; après consonne, di donne, comme on sait, un autre résultat qu'après voyelle ; rd'i notamment passe à rz en italien, rj on français ; pour gl rien de semblable. L'exemple ivria pour iurgia classique prouve qu'en réalité c'est une hérésie d'attribuer * jurg'ia à la prononciation vul- gaire ; g devant i p passe à ./ avant la réduction de la plu- part des hiatus: donc * jurjui, jjuis * jtw'ia, sans quoi g après consonne eût sûrement été traité parallèlement à d dans rdi, etc., et ne fût en tout cas pas tombé d'aussi bonne heure. Martial, au i''' siècle, scande pûlëiiim: mais Titalien nulcggio prouve ë primitif, car on ne saurait, comme dans pcggio à côté de pëioi^ invoquer une analogie parallèle à * pèior d'après rnèlior. Le véritable nom du pouliot en latin est pûlëginm (jui se trouve encore au ii*" siècle dans le poème De Medicùia de Sévérus Sanimonicus, 620, (544, 919 oîi Fuchs, Arc/i. Lat. Le.r., XI, 53, scande aujourd'hui, il est vrai, pïdè'i « pro piileii ». Dans la prononciation vulgaire, on disait pûlcjinm, pidëjo. L'orthographe /;w/^'/7/m est exac- tement l'inverse de cbiirneis : iiiurgiis dans les (lloses de Reichenau, Karlsr., 115, f"' 24, v. B. Le sarde, qui ignore encore/- pour A', connaît déjà./ pour // : iettarc ou gcltare dans les statuts de Sassari ; Diorgiat, cesi-k-dire * 77'ior ici t, ' 7no)'jaf, aujourd'liui titorzal; logudor. miundi'L' « murmurer », latin iiifigintin dans Lucilius. Dans — ."ino — i; 1-25. le logiidorion elif/ïrc, campidanien plu/lrl, gallurien clifj}, il faut reconnaître un mot italien d'origine ; la vraie forme sarde, qui n'est pas relevée par Spano, était rlun' dans les Statuts de Sassari. Dans vtu/liri'c comme dans Jnny/irrr, chlng/wrc, à côté de la forme italianisée V('< legius » sur une monnaie de la Guerre Sociale. Il y a donc lieu de croire que j pour g avait en Italie, dès l'époque républicaine, une plus large extension dialectale que c pour k. La chronologie de ,/ pour g en osque nous paraît ressortir de la comparaison de Magiium génitif pluriel, sur une très ancienne inscription de Capoue (anté- rieure aux signes V et |-) Planta, n" 130, et de Maiiùf datif singulier sur le Gippe d'Abella, Mais nominatif singulier « Magius )), Planta, n" 126. Dans Mahii[s], n" 195, nous croyons contrairement à l'opinion de Planta, 1, § 218. p. 440, que II est purement orthographique. L'osque de la Table de liantia mais^ maimns s'expliquerait dès lors de la manière la plus simple du monde : ces formes, incontestablement parentes du latin niaç/is et de l'ombrien mestru, dateraient d'une épo- que où -//- intervocalique est devenu ,/ en osque comme dans les autres dialectes de l'Italie. Le seul exemple de -g- inter- vocalique sur la Table de IJantia est le datif-ablatif Ih/is a le- gibus » lign. 25, qui, eu égard à la situation do y devant désinence mobile, n'est pas capable d'intîrmer notre théorie. Après consonne, dans lanyinud, iD^ijcIuzct , etc., y devant <" / en est encore au stade //.• nous croyons précisément que l'hé- sitation du graveur entre ANGE-TVZET lign. 20 et ANGITV... lign. 2, se rapporte à une prononciation déjà très palatalisée : ngp, ng^r. ^ 126. — 310 — C'est pourquoi nous pensons pouvoir proposer cette théorie que, vers l'époque de la Guerre Sociale, l'osque, au moins en Lucanie, participe partiellement à la loi générale de la prononciation italique qui fait passer g à J : de là égale- ment ,/ pour fj en sarde, alors que c pour k' est aussi inconnu à la Sardaigne qu'à l'ancienne Italie du Sud. En tout cas, nous avouons que l'explication ordinairement proposée pour l'osque )))nis mai/nas et Mais Maliii[s], où l'on reconnaît un radical ))/nh- alternant avec niar/- dans Ma g ii uni et le latin ///agis, ne nous satisfait nullement. Malgré les savantes hypo- thèses de Brugmann, (irunJr., Il, 40::?, cf. aussi Planta, I, § 218, p. 446 sq., ces formes ne nous paraissent point devoir être séparées ; elles ne nous semblent pas avoir jamais con- tenu h à côté de g dans aucune langue italique. Nous n'admet- trons que très difficilement que le latin nmior soit pour *mahwx et non pour * magiOs, tout comme pëior est pour * pf'dw^s, avec i primitif. Le latin mfiior pour * magiôs représente la première manifestation de la loi qui transformera plus tard tout (j en j et cette forme prouve précisément que cette ten- dance est ancienne dans les langues italiques du nord et du centre. § 126. — S'il est vrai, comme nous avons cherché à l'éta- blir, que probablement dès la tin du ii*^ siècle avant notre ère, j pour g intervocalique commence à gagner l'osque et en général les dialectes de l'Italie du Sud, tandis que (j après consonne, notamment ng subsiste, on peut se demander si en sarde pinghrrr Jiinghrrr chingherc, etc., sont réellement, comme nous l'avons admis provisoirement pour ne pas com- ])liquer la question, des extensions analogi(|Uos d'après y>//?yo Jungo, etc., comme on a rcgifrc d'après rcgo^ — ou si j)inglif'rc, Juiighcrc ne sont pas les représentants phoné- tiques du latin j)}ngcvr iiingcre arrêtés au stade de l'osque de Bantia taiig'innd et tingclKzrl . Ce qui confirmerait cette manière de voir, c'est que la Sicile, l'Apulie et une grande partie do l'Italie méridionale représentent plngcrc, cingerv, fingcre, (uigelo, etc., \)-àv /)liir/ri, cl/itiri, /hicij-i, (iiicilii, etc., cf. W. Meyer-Lïibke, (iratinn., I, 5^ 49!), (irundr., I, p. 550. L'espagnol, comme on sait, offre un traitement identique pour Vf) qui passe à /v- comme normalement //// à nr: cs/anir de r.rfrrgrrr ; (irtUla de avg'illn ; vcmilhi do ringcrr (Haist. — 311 — ^ 127. Gnnu/r., I, p. 704); encla de i/'niiiliia, cf. franr. (/rncirc. Il y a également des traces sporadiques de rc pour r;} (l.nis l'Italie du Sud. Ou est amené presque naturellement à conclure puur la Sicile, l'Italie du Sud et l'Espagne, à une persistance plus longue de g après consonne que de y intervocalique : on disait déjà rëjc, lt>jri-t>, unit' alors qu'on prononçait encore kitKJrre, piiigorr, (nujilla, qui, lors de la palalalisation de k en (', confondent avec c le son.y (= dz) inconnu à la langue en toute autre situation; en d'autres termes, les survivants de g en sicilien et en espagnol ont été, à cause de leur caractère exceptionnel, assimilés à li, 6 lors de l'introduction de la palatale. Comme les provinces colonisées de bonne heure, c'est-à-dire précisément la Sardaigne, la Sicile, l'Espagne sont encore plus particulièrement soumises, comme nous l'avons fait remarquer à maintes reprises, à la prononciation des colons italiotes du sud, il est tout naturel de mettre ces faits en relation avec l'état que nous venons de constater dans l'osque de Bantia. Le Portugal, dont la colonisation est plus récente que celle de l'Espagne, n'offre plus trace de ces phé- nomènes. Une glose que nous avons relevée par hasard, To/yy. (iloss. Int., II, 304, 27: E;o'jp(o demeio, deminco, nous fournit un exemple indirect curieux de ne pour ng en latin vulgaire : dêmincO est analogique d'après l'infinitif c/^v«^"y#(v^/v' \)0\\v )nin- (jerp. On serait peut-être mal venu de rechercher la cause du durcissement de ny rg en ne rc dans l'influence étrusque et de rappeler par exemple orgonna « sacerdos » de l'étrusque crce ercem ercffak oii déjà Rugge, Bczz. Brltr., XI, 34, avait reconnu un terme désignant le prêtre. Dans le manuscrit d'Agram, V, 16, 17, on lit: erc[fi) supce que Lattes, Anh. Lat. Lex., X' 186, traduit par « sacerdos sepulcrarius », cf. aussi Heraeus, Arch. Lat. Li'.r., IX, 595, § 127. — Un traitement particulier de // intervocalique nous est fourni parle latin vulgaire *(''o pour cgi). Personne n'a encore donné l'explication de cette forme énigmatique où chacun se contente de constater la chute exceptionnelle du g. Cette forme a dû partir de l'Ombrie où nous voyons effective- ment que g tombe entre voyelle palatale et voyelle dure : loidnamn Iguuinam », Tab. Eug., Yl />, 12,àcôté de Ikuvina, ^ 1-28. - 31-2 — ib., I «, 5, etc., sur les anciennes tables. La graphie liouina, qui se trouve sur les tables en caractères latins sept fois contre huit foi*s louin-, ne signifie nullement, comme l'admettent Bréal, Tah. Eug., p. 28, Planta, I, § 182, p. 374 sq., et la plupart des italistes, ijori.n-, avec./ pour y primitif; le double // est ici simplement destiné â figurer / voyelle, soit ionin-, le groupe Ion-, surtout à cause de la concurrence de loue, lo/fi, lo/na, etc., étant d'une lecture ambiguë et pouvant signifier : ioit- aussi bien que ïon-. 11 s'agit en réalité d'une chute pure et simple de -g-. Entre voyelles dures, -//- a une tendance à prendre une valeur fricative, celle du f/ hollandais ou du y néo-grec; après voyelle palatale, ce g fricatif s'adoucit en une simple aspiration qui finit à son tour par disparaître. (.)n prononce donc succes- sivement Igovina, Jhori/in, lovina. Ces faits se retrouvent exactement dans les dialectes grecs : ca(o; pour o/J.-^:: et, encore qu'on les explique d'une manière quelque peu différente, cf. Gustav Meyer, Grlech. Granrm}, 218 sq., on n'a pas manqué de les comparer à l'ombrien des tables en lettres latines. En béotien b^L) se dit \w) ; si ce pronom nous avait été conservé par l'épigraphie ombrienne, il est certain qu'il aurait la forme * ro pour ego latin ^; et si * eo du latin vul- gaire n'est pas identique à * ro ombrien, on ne voit réellement pas d'où cet * po qui est à la base des formes romanes aurait bien pu venir. 11 faudra en tons cas beaucoup de parti pris pour nier l'identité des deux phénomènes et conséquemment leur parenté historique. i; 128. — Le pôlignien sacaraciriœ , pristafnlacirir de l'ins- cription Herentas, c'est-à-dire en latin quelque chose comme * sacrât rî.r, * prarslihulâtrl.r, cf. Bugge, Allit. StucL, 65 sq., Pauli, Altit. Stu(L, Parlign. Sjimchc, V, 92, 97, Planta, I, j:^ 189, p. 889, etc., peut être utilisé avec profit par la philo- logie romane. En effet, le passage de //• // à cr cl en pélignien et probablement dans les autrefe dialectes sabelli(jues, cf. sabin /ahiccr, Varron, Ijiiig. lai., V, 84, Mommsen, rnicril. Dial., p. ;551, Planta, 1, p. 290, montre que la loi panitaliijue 1. Le type co)te;/os, Tah. Eug., VI />, 5, IG,etc., en regard de k un i k a /,, il)id., IV, 1.'), etc., montre que -ego- avec <> non primitif ne participe ])()int à la loi. Nous croyons (pie o pour a ancien désigne en ombrien un son spécial, (juclquc chose coaune a. — .313 — S 120. qui a transformé régulièrement (ont // ancien on /./, par exemple dans le suffixe -llo-, latin -cliini, ombr. -r/o, osque -kli'im, -clo\ lat. urhklimi, onihr. piliadu, osq. j+akara- kli'im, etc., survit dans ces dialectes pour frapper ///yd'origine récente et en général dans des cas, comme pour //•, on le latin respecte la dentale : c'est ce qu'atteste également, croyons- nous, le pélignicn puclois s'il est vrai qu'il y faille reconnaître le sanscrit yy/z/m. Or, les inscriptions latines d'Afrique con- naissent également cr pour //•, Seelmann, Aussprachr, p. o\'.), et d'autre part tout le monde sait que urhilits, c'est-à-dire itelo- uetu- avec-le suffixe diminutif -/o-, donc iictliis avec // d'origine secondaire, est en latin vulgaire rpc/i/s. Il n'y a pas à séparer ces phénomènes : les formes sabelliques montrent que la tendance à transformer // //■ en our jx'ssi/iiffit, rapportés par W. Meyer-Liibke au même phénomène, les faits sont peut-être quelque peu différents: il peut s'agir simplement dans ces derniers exemples de l'insertion directe d'un /,- entre .s et / sans passer par le stade sfl, comme en franc. slave : psclavo. Mais ou peut admettre aussi, avec une vrai- semblance au moins égale, que assula classique, lequel est, comme on sait, régulièrement pour * astlâ, a subsisté dans la langue vulgaire sous cette dernière forme passée normale- ment à * ascla. Il n'est pas inutile de faire remarquer que les dialectes italiques, l'osque notamment, hésitent dans le trai- tement de -.s//-; c'est ainsi qu'on trouve peessli'im à Aufidena à côté de pesth'im à Ijovianum vêtus. Quoi qu'il en soit, les formes du latin vulgaire sont ici directement attestées. et portent tous les caractères de formes anciennes : Fistala niih/a fiscla flicilur, Corp. 01. Lat., V, 248, \-i; pcsclinn, ibid., \'i, 132, 24; 473, 34, à côté de pcshtliint, prsihiiu, ibid., VII, 205, S, jjcs/ali/s, ibid., III, 313, cf. aussi Heraeus, Arcli. Lat. Le./., XI, 67. § 120. — Quant au groupe c/, son histoire est aussi compli- quée dans les langues italiques que dans les langues romanes et il est aussi difficile pour les unes que pour les autres de § 129. — 314 — déterminer la chronologie exacte des différents phénomènes qui ont accompagné l'évolution postérieure de ce groupe. Le développement le plus général et le plus ancien est X/, ht, évolution toute naturelle de kl dans presque tous les idiomes qui ont développé les fricatives; le zend, le germanique, le néo-grec connaissent ce phénomène, qui a pour correspondant exact// de pt. De lu en osque Chtavis « Uctauius », scriffas « scriptae », en ombrien rehte « recto », uhtur i< auctor », screh/o « scriplum n de* srr/f/o, comme en néerlandais /./Y/r/// pour l'allemand /,raf/, rrrkoclU \)oi\v vcrkuufl , etc., en celtique scchlf pour scpiciii '. 11 n'est donc pas nécessaire de rapporter ht pour et dans le latin vulgaire de l'Italie du Nord, de la Gaule et de l'Espagne à la prononciation celtique ; il est pos- sible qu'un traitement analogue de /,/ ou * fniji}, l'ancien * fahto laissait tomber son h et passait à fiJo déjà attesté sur les Tables Eugubines, VI A, II, et déjà interprété avec raison, croyons-nous, par Bùcheler comme correspondant au latin faclum. La chute de A est d'ail- leurs attestée par des exemples sûrs, particulièrement sur les tables en lettres latines. Elle était donc sûrement accomplie vers l'époque d'Auguste, cf. pour les exemples Planta, I, p. 354. D'autre part, ficlu>i était, comme nous l'avons vu, représenté par fiklo, probablement avec gutturale vélaire, donc propre- ment //y/o, et il n'y avait point de raison pour que le factus de la prononciation latine officielle ne suivit point la même analogie. Outre faXto, faijo, on pouvait donc hésiter en Ombrie, vers l'é- poque d'Auguste, entre fâto ei faqto. Ce dernier, favorisé par la prononciation de l'Italie du Sud (osque faclud) et surtout par celle de Rome, dut devenir, dans les premiers siècles de l'Empire, assez général en Italie. C'est le roumain qui en donne une preuve décisive, car fapt, lapte, opt ne peuvent reposer que sur facto, lactc, octo ; la gutturale y avait effecti- § 130. _ 310 — vement pris un son tout spécial et exagéré, elle devait être vélaire comme dans aqua\ on prononçait donc au ii" siècle faqto, laqlr, nqlô : de là en roumain />/ comme jj pour q dans ajjâ : aqiia. Remarquons que la théorie do Planta à l'égard de l'om- brien fîktu = *fïqlO(/, racine /ic)-, s'éclaire ainsi d'une manière tout à fait lumineuse en même temps qu'elle jette, croyons-nous, un jour tout à fait nouveau sur l'histoire de la prononciation du latin vulgaire et sur la phonétique roumaine en particulier. En effet, si flcfo était prononcé fiqto dans l'Italie du Nord, fdrln, réintroduit sur son analogie, n'a pu être articulé que faqto : de là en roumain non seulement infipt, de fkliis, mais aussi fdpt de factu><. L'emprunt latin prae fucus, de prarfcclus, dans l'osque de Bantia, représente peut-être cette prononciation exagérée de la gutturale. Ce qui confirme enfin, à notre sens, de la façon la plus heureuse notre manière de voir à l'égard du groupe et, c'est que et palatal, par exemple dtcfus donne dilit'o, di^t'o à la fois avec gutturale et dentale mouillées en Espagne et dans la Cisalpine : espagn. die ho, lombard dié\ de même en Provence dich. L'ombrien d'iktôd, après la syncope, avec gutturale palatale, évolue donc en réalité vers *dîxt^n, * di.it' u, dans l'écriture dpitu, alors que " fiqtôd, avec vélaire, passe à * fiqtu, sans doute avec / dur ou même cérébral : kf jçt' Ut' if était donc nettement opposé à qt. Le latin officiel factus, une fois par- venu au stade * fud'o, ne pouvait plus, sous l'Empire, être restauré dans le parler vulgaire que sous la forme * fuqto: le roumain nous a heureusement conservé les réflexes de cette phase curieuse de la prononciation italique. ij 130. — Après la cidonisatioii de la Dacie, donc vraisem- blablement à une époque postérieure au uf siècle, qt [et] devient // dans toute l'Italie, excepté dans la Cisalpine où le stade ancien a'/' ;/' continue liljrement son évolution. L'assi- milation a, comme on sait, gagné même la Sardaigne, mais, semble-t-il, à une époque assez tardive. La question des ori- gines et de la chronologie de // pour et a été maintes fois étudiée par la philologie romane; cf. en particulier Zimnier- mann, Kunn intcfndcul. et sein c im Latcin. vrrliri'm? dans Hhriii. Mus., XLV, 49;> sq. On a voulu retrouver un exemple ancien du pbénomène déjà dans le fameux vitori.y d'une - ."^17 — Si 1:10. inscripiiou archaïque do Prénoste ; mais il est peu probable qu'il s'agisse ici d'autre chose que d'une faute de gravure. Dans le liito d'une inscri[>tion de Ponipéi, miximvs-in- LUTO, citée par Bréal, Mé/it. Soc Liin/., VI, 201, il est diffi- cile de dire s'il faut lire lOlô ou Iniô, c'est-à-dire s'il s';igit d'une continuation du traitement itali(|ué de d ancien, soit leclo Ifihto lêlo comme on a en osque ces tint pour t'Ji- sur la Table d'Agnone ou en ombrien /dht {)our [nhlo, — ou bien s'il faut déjà reconnaître dans * Ici 10 l'assimilation directe de cl à //. La première hypothèse nous parait phis vraisemblable, précisément parce que. liito est un exemple local et isolé. Il en est de même, croyons-nous, ])0ur le fatvm « factuni » relevé .4ffA. hil. Lr.r., III, 21 et 548. Le groupe />/ suit dialectalement des voies analogues : pf, puis //, proprement ot (osque), puis /// (ombr.), d'où / simple: scritys, CIL. IX, 2827, de l'année 19 de notre ère, cf. Stolz, Ilis/. (ii(utu)i. lat. Spr., I, § 332. Dans scidUmi, Corp. (Uoss. Lat., IV, 433, 31, et dans ohsorsio pour ohsorpiio, ibid., IV, 105, 49, le cas est différent par suite de la consonne (pii précède. Enfin, nous n'attacherons pas une grande importance, comme en général aux exemples paléographiques, à nrtura pour iicclmn de la Vulgate, EccL, VI, 31, ms. Amiatinus. D'un autre côté, la graphie teltome, Tab. Eug., VI «, 13, 14, nous paraît instructive. Le mot lellorn a été expliqué avec raison par <( tectum )? ; c'est en effet la seule signification qui convienne dans la phrase. On attend, d'après la phonétique ombrienne, * Ichloni et, après la chute de // : * lêloiii ; si le graveur écrit tcllotii, c'est, croyons- nous, que déjà dans la prononciafion latine de l'Ombrie leclitm * Irqto avait une tendance à assourdir la gutturale on une sorte de consonne quioscente, quelque chose comme * l<'\fto, ce qui s'accorde d'ailleurs fort bien avec l'articulation profonde du . Nous voulons parler d'un certain nombrt; de cas où la langue populaire, exagérant les lois et l'analogie du latin écrit, le dépasse et pousse à l'extrême des formes restées en arrière dans l'idiome urbain. La régularité grammaticale ou phoné- tique est dans ce cas du côté de la langue parlée. Il s'agit principalement do la loi d'aifaiblissement des syllabes non initiales, loi inconnue aux anciennes langues italiques et au vieux latin vulgaire d'Italie et propagée ensuite uniquement par l'influence du latin olficiel. Cette propagation d'origine récente resta toujours très incomplète dans la langue vulgaire : ce qu'on dénomme à tort la recomposition romane, perfacere pour pcrficerc par exemple, est en réalité un héritage direct du vieux latin d'Italie, cf. concaplum, inscr. votive de Paie- ries, coNSACRATVM, CIL. V, 5227; AU, 80, etc. En revanche, il y a des composés où l'analogie a introduit dans le langage populaire raffail)lissement inconnu ou inusité dans le latin classique : tels sont déjà en sarde holimiis pour uoh()}ius\ en outre comperàre Schuchardt, Vok., I, 195, cf. ital. comperai'f à côté de impnrarc, esp. comprar; reperdre, ibid., I, 106, cf. Segrrgat: scprrat, Gloss. Reich. K., 115, f" ir B, franc, sevrer. On dit en latin classique anas, anatis sans affaiblissement et les provinces colonisées sous la Répu- blique restent fidèles à ce vocalisme : sarde cuicide, espagnol dna(le\ en Italie au contraire, anitra fait concurrence à (UKitra; à Bergame, anedra seul est usité, cf. Grober, Areh. Lat . Lej-., I, 240. On peut comparer des cas tels que fâtlcanus à côté de fâli.cinus en latin classique. Nous avons relevé, sur une sébille du musée do Crefeld, cotée Dr, 24 et trouvée à Grimlingshausen, le nom de senicio où l'on peut voir un affaiblissement analogique de e médiat en / avec plus de vrai- semblance peut-être qu'une action phonétique de la gutturale sur la voyelle précédente. C'est dans le même ordre de faits qu'ils convient, d'après nous, de ranger des formes telles que 1. La même analogie s'étend bientôt même à aunnix que déjà Auguste prononçait simiis, mais cette forme ne se répand réellement en Italie (jue vers le temps de Vespasicn, cf. siMVS, CIL. IX, 3473, etc. De là est sortie, croyons-nous, la fusion partielle du subjonctif et de l'indicatif en Italie: sis ou sirs « tu es », puis * se H- 1 analogique, dial. se, sii ; vient ensuite la refonte de la première personne du pluriel, sinmo, sur le subjonctif sifiii conjugué analogiquement d'après le futur-optatif fiem.flas, fldmvs, soit * siamois). On connait la prodigieuse fortune de cette flexion dans le toscan classique. § 132. — •'^•-^0 — fauUor, fahisor pour faiitor, formes relevées dans les glos- saires par le regretté Liiwe, Airh. Lai. Lejc., I, 31; fiiulor fait l'effet d'une forme vulgaire au même titre que aiica en reo-ard de aiiha ; on croit bien faire en forgeant fauitor. On a refait de la même manière et dès une époque ancienne le participé mât us en moidlus, confirmé par le sarde moffihi. Une forme intéressante précisément par sa date relativement récente et son caractère presque savant, est la forme Eu lad i us pour Eulalius EjXaA-.c:, nom de deux évèques de Nevers, dont l'un vivait, paraît-il, dans le courant du VP siècle. Je dois cette intéressante observation à ro])ligeanco de M. Thomas, l'éminent professeur de la Sorbonne, qui ajoute que « -dius pour -lius dans les noms grecs parait être relativement ancien dans le latin des Gaules'. » Nous surprenons ici sur le fait, d'après notre opinion personnelle, Thésitation séculaire de la prononciation vulgaire entre le suffixe latin -ilius et le suffixe italique -idlus, comme par exemple dans l'ilalien Emidio pour Emilio. C'est, comme on sait, une particularité du sabin et des dialectes sabelliques en général de présenter d pour / latin, comme on a d'nujua signalé par Marins Victorinus à coté de Ungua, cf. gotb. luggo; Krrjii/odiu/jt, iVR\wès le même gram- mairien, est l'ancienne forme de ('(ipitoHum ; calamitas a été rattaché avec raison au radical de i(idf> ; calûcus: caduc us est expliqué comme un sabinisme par Seymour Conway, cf. aussi olcO: odor, espagn. olor ; Nouescdc sur l'inscription marse du hic Fncin, en latin uouc/isilès, etc. Les noms propres sabel- li(iues en -d/us abondent dans l'histoire et sur les inscriptions : Amcu'cdlus, Ajqxu'dius, Decunirdius, Novelledius, Numie- dius, Pappcdius, Piunpedius, etc., cf. Mommsen, Uulci-U. Dial., p. .'MT; Fabidius Modius, de Ivéate, fondateur de Cures d'après Denjs d'Halicarnasse, 11, 18. Les formes latines étaient Amarilius ou AtnariHius, Po)npiUus et plutôt encore (hiiulilius, Vilclliiis, nom sabin d'après Suétone, VitcL, 1, cf. Vrili'dius, etc. De même Acmcdlus était la forme italique, Acuiiiiusla forme latine,*et par analogie ii;//r/////.s' fut articulé Euiuf/ius. Le napolitain //r/xdo, vulgairement Icpulu pour li'piilus, présente également (|uel(pie chose de semblable. I. I)":ui1i'e ])art Gilius, Gilles pour Aegidins est, d'après une remar- que (le M. 'l'Iioinas, boauroup trop récent pour jjouvoir trouver place ici. — 321 — ^ 133. Ces exemples montrent d'une façon extrêmement nette à notre avis le caractère artificiel qui a préside aux restaura- tions littéraires dans l'idiome parlé de l'empire romain. Qua/i'ir/nr prrux/c : Décomposition du latin vulgaire im- périal. — A partir de la fin des Antonins environ et surtout à partir du iv' siècle jusqu'à la chute de l'Empire et au delà. § 133. — L'unité réalisée plus ou moins complètement dans les deux premiers siècles, ne se maintint que tant que le latin littéraire fut assez fort pour imposer et conserver lui- même sa propre tradition. Du jour où, avec la puissance romaine qui décline et chan- celle, le prestige de la langue fut atteint, du jour oii les pro- vinces commencèrent à s'éveiller peu à peu, en face du gou- vernement central affaibli, à une vie politique et administrative plus personnelle et plus autonome, l'unité du latin vulgaire fut de nouveau entamée et dissoute. Les peuples barbares, romanisés entre temps par la colonisation romaine, contri- buent largement de leur côté à cette ruine de l'unité linguis- tique de l'Empire ; car ils se sont à présent suffisamment assimilé la langue latine, ils en ont pris suffisamment cons- cience pour en faire leur idiome naturel, leur langage propre, et ils la développent librement et spontanément en dialectes de plus en plus caractérisés, de plus en plus éloignés de la langue officielle. Dès lors celle-ci, menacée et débordée de toutes parts, n'est plus capable de contenir cette immense fermentation de dialectes et de langues nouvelles qui germe et s'élève partout autour d'elle ; bientôt les digues de la tradi- tion classique sont rompues et le latin littéraire succombe enfin définitivement en tant que langue vivante. Lorsque Constantin, en 329, abandonne Rome pour Constantinople et transporte en Orient le siège de l'Empire, il semble qu'il y ait dans cette retraite vers la Grèce et l'Asie comme un premier aveu de cette impuissance à maintenir plus longtemps l'unité du monde latin ; il j a là en tout cas une rupture décisive avec la politique ancienne, un abandon avoué des traditions historiques de Rome, un consentement tiicite à livrer l'Occi- dent à ses propres destinées et à des civilisations nouvelles. Théodose, en 395, ne fera que confirmer l'irrévocable divi- sion de l'Empire. MOHL. — (lironolnijU' du lutin l'iilf/aire. 21 ^ 133. - ^■2-2 — Dès ce moment, les langues romanes sont en germe et s'ac- cusent par des traits de plus en plus nets ; enfin en 476, lors- qu'Odoacre détruit l'Empire d'Occident et fonde le Royaume d'Italie, on peut dire que la langue latine a vécu, et c'est le roman qui commence avec la rupture de l'unité politique, « von dem Zeitpunkt des Erloschens des Gefûlils fiir die Zusammengehorigkeit » d'après l'expression de Grciber, A/'c/i. lat. Lf'.r., I, 44. Les diplômes, qui remontent en France à l'année 528, en Italie à5I.'>, en Espagne k 747, nous offrent, avec le matériel épigraphique, les premières sources directes de l'histoire dos langues romanes après la chute de l'Empire romain '. 1. Grober, Arch. Lai. Lex., I, 45, s'est efforcé de préciser les dates où cessent, dans chaque pays, toutes relations avec le pouvoir central et la cour de Constaiitinople. C'est ainsi que la France est en- tièrement détacliée de tout lien avec l'Empire romain en 5;J8, l'Espagne entre les années 615-623, l'Italie en 650 lorsque l'Empereur abandonne les derniers îlots de population romaine qui, dans l'ancien Empire d'Occident, relevaient encore de son autorité. INDEX [Les formes épigrapliiques sont imprimées en petites capi- tales, excepté dans les langues qui ne nous sont connues que par les inscriptions ; — les mots de la langue ancienne sont en romain ordinaire, ceux de la langue nouvelle ainsi que les formes classiques et littéraires sont en italiques ; les formes exclusivement vulgaires sont précédées du signe f et celles d'entre elles qui ne sont attestées que par les grammairiens ou les glossaires sont de plus imprimées en caractères romains ; — les formes vulgaires non attestées et scientifiquement reconstruites sont indiquées par le signe * ; — enfin le signe \\ désigne les formes dialectales et le signe ? les formes dou- teuses. Les formes vulgaires attestées sont orthographiées suivant l'usage classique ; seules, les formes reconstruites sont en orthographe phonétique. Indépendamment des formes du latin vulgaire, les dérivés romans ne sont mentionnés que s'ils donnent lieu à des obser- vations spéciales. Les chiffres renvoient aux pages de l'ouvrage ; le signe = doit toujours se lire: « provenant de )>.] LANGUES ANCIENNES DE L'ITALIE Étrusque. Les lettres k et c, 305 ; valeur du v {f, 6), 245 ; le ;, 245 ; /, 278; -s- intervocalique, 257; groupe pi, 314. — Vocabu- laire: erce, 311 ; \'ulsine, Vuisine, 278. — 324 — Celtique. Inscription de Tnder, 212. Groupe pt, 314; -s final, 226. Nom. Voc. pkir. en -I et -ôs, 213. Grec. Emprunts latins et romans, 45, 285. Le grec d'Otrante, 45. Chute de -y- (dial.), 312. Nomin. sing. en -s-.ç, ->.:, --., 285. — Vocabulaire : -ipi, -ip'. (romaïq.), 285; H ttôv, 312; ■'; TSùry.ypif, 305. Messapien et Albanais. Diphtongue ao ; sa réduction à o, 275. — Albanais /îore, 25. LANGUES ITALIQUES Prononciation de r, 271 ; /cl, ci = tl, 313 ; nom. plur. et dat. abl. plur. en italique primitif, 205, 218. Latin. Indécisions de la chronologie, 265. Lexique et dialectes: Influences et emprunts étrusques, 108, 113, 162, 245, 311 ; / i' h dans les emprunts étrustiues, 245; — empr. grecs, 178, 187; — osco-ombr., 17, 49, 52, 117, 206, 223, 251, 256; — falisques, 280, 283 ; — celtiques, 6, 75, 211 ; ou et eu dans les mots celtiques, 78 ; — germaniques et slaves, 189, 191 ; /,«? là gerra., 291 ; ir germ., 291 ; au, ou germ., 168. — Influences littéraires, 167, ""168, 304, 318; les écoles, 169, 174, 176; l'Église, 166. Les dialectes, 261, 267; le latin des armées, 258. — '■ Latin d'Italie, 249, 255, 267; latin de Préneste. 181 ; latin de la Cisalpine, 176; latin des Gaules, 175, 247, 250, 251; latin d'Espagne, 243, 250; latin d'Afrique, 243, 288; latin de Rhétie, 175, 225; latin de Dacie, 175,^248, 257, 260, 292. — Échanges entre les dialectes, 261, 268; sardinismes, rhé- tismes, hispanisnies en Dacie, 262, 2()3; provincialismes à Rome, 2t)9. — :v.>:) — Inscriptions de Duenos et de Palestrina, 47 ; inscr. des Furii et des Scipions, 182; lex uicana Furfensis, 207. Phonétique : Chronologie des faits phonétiques, 273. Transcription des aspirées grecques, 305; valeur de o grec, 187. Les lettres claudiennes, 245. Gémination des consonnes, 303; gémin. des voyelles, 114; A longa, 308; i pingue, 114. Voyelles : n, y, 84 ; à = ë, o, 264 ; je- = y«-, 263 ; u et i en hiatus, 288 ; échanges entre o et ii: o o u, 184, 187, 188, 193 ; -uos, -uom (Gaule), 187 \l^ ë, 73; 78, 79, 1 17 ; ë ^ ei, ï, 120, 131 {ae, 15, 114, 115, 128; ^7. = ô, 118, 132; it z= oe, 159; ou vulg. : u class., 2^1; au, 4, 122, 159, 163, 164, 275; eu^=eo,au=zao, 195. — Syncope, 190, 307 ; affaiblissement des médiales, 188, 319 ; recomposition, 319 ; abrègement, 307, Semi-voyelles: /, 265, 288, 295; ", v, b, 271, 272; gémi- nation devant /, u, 295; ru rh, bi Ih, 269, 271 ; di, du, 295, 308; (7/, 308; c"/, //, 294. Consonnes: h =-. f, 274; l et /', 162, 276; h (Sard.), 42; (l : l, 320; douces = fortes, 273; résistance au rhotacisme, 257, 283. — Les finales : -.s-, 176 ; m, 176, 182; -r, 46, 239; d, 134 ; -t, 274. — Les gutturales : q A c, 304 ; c =z qu, 303 ; c, s, is, ^, s, z, 37, 289, 291, 293, 295, 299, 302, 306; né ré = 7ig rg (dial.), 310; g, y, j, 308, 311 ; et, lit' : qt, U, 82, 313, 314, 316 ;7y^, 317. — Groupes cl, cr = tl, tr, 294, 312, 313; cl- = cr-, 282; nt = It, 278; si, 313. Morphologie: Nom et pronom: Le genre, 200, 283; plur. neut. pour le sing., 177; disparition duneut., 198. — Nom. sing. en -o, 180; en -us (Transalp.), 232; on -er, -el, -ar, 201, 251; nom. sing. syncopés, 49, 201; nom. sing. refaits sur l'ace, 203, 204; nom. ace. sing. en As, -1m; -ûs, -ûm, 180, 191, 283, 285. — Gén. sing. en -û (Apulie), 80 ; en -us, 152; en -ôs, 50; en -uis, 50; en -as, -à, 206; en -aes, 218. — Dat. sing. en -ô (dial.), 282; en -ë, 131, 152. — Nom. plur. en -l : -ae, 80, 205, 223; en -ôs : -as, 206, 210; en -l : -as (Transalp.), 80, 212, 214, 232; en -î, -ôs : -ae, -as (Rhét.), 226 ; en -eis, -f(.s), 80, 215, 217 ; en -aes, 218 ; nom. -1: ace. -es (Transalp.), 208. — Dat. abl. plur., 39, 218. — Gén. plur. en -bm, 233 ; en -Oro (Gaule), 42, 234, 247. — Neutres en -us, 197 ; neut. plur. en -ae (Ital., Dac), 198; en -ora, 11. — Fusion des th. en u- et en 0-, 186. — Comparatif en -ior (Gaule), 234, 252 ; â régime du comp., 81. — Dat. gén. pronom, en -uî, -el : -ilius, -ëius, 12, 26, 40, 150. — :i-ns — Verhe : Désinences -cris: -ère, 178; -lis: -tr, 178; -rnl -ti)iL 150. — Imparf. en -èa, -la, 3. — Plus-que-parf. indic. imparf. et parf. subj., 247; impérat. négatif, 248. -j-acupatio, KiO. * aiuno, 264. rt/-,'27G. alis, alid, 25, 284. amb, am, 239. anale, * anlto, 319. * apiiira, 307. Ilarger, 246. 7 -cir%, -ârio, 285. âsa, 51. 7 ascla, 313. assit /a, 31;). ASTANTE-CIVIBVS, 218. ater (diês), 277. â/rr, 273. * nu ci do, 1()2. Y hchcr, 5. * bcrbahto, 271. ■\berhc.r, * bcrhicc, 160, 271 bitûtncn, 52. bas, 52. bûcéliim, 12U. cdlmllus, 76. calamilfis, 320. Y caluco, 320.' 7 capeduluni, 274. 7 carcl <' il l'aut )>, 156. 7 casinum, 283. llcasnar, 283. 7 catcl, 251. candd, 160. cclcbcr, 178. ccltis, 17. Ilcesna, 282. CESl^VET, ijOl. rZf7, 22. cicinus, 50. CLNCTIVS, 303. cis, 304. 7 clingo, 282. Ilchistrum, 282. ||coenâclum, 246. 7 colobra, 191. * colfello, \\* coricllo, 190. coiubennônès, 71. 7 ( oinpci'o, 319. CONDVMNARI, 251 . CONFLOVONT, 287. 7 coiiôsco, 318. CONSACRATVM, 'Mi). * cornacla, * cornicla, 161 cous, \\*c()co, 24, 244. CRASSIFES, 162. W" cuciUa, 22. cultcr, 77. 7 CLirnba, 282. 7 cuntellus, 278. DEKEMBER, 305. 7 deminco, 311. Dif/c/itia, 283. \\* dihu:i^o,2SS. 7 dingua, 320. W-dias, 320. DOLVS, 201. 7 diiinûs, 186. (h'aciima, 50. •; dubliciiis, 27)). * du un tare, 251. 7 rccitnt, 4. 7 oiiinat, 264. :i-_>7 Vo, 311. Y ergeniia, ol 1 . *rn(, 285. rsscdinn, 17. Y ludadu/s, 320. FACITVD, 133. Y falando, 162. falae, 162. \\Falêsia, 257. -;- famel, 252. /(Uicaniis, 319. FATVM, 317. faucës, 160. fawù, 161 . Y fauitor, ■; luuisor, 320. faxit, 246. vbevhaked, 47. ferur;, fenicô, 271. fibcr, 5. Y fiscla, 313. -*flo, 253. FLOVIO, FLVIO, 188, 287. flûidus, 288. Wflûsârix, 257. /o«/^^ '\ fiiiUc, 100. forceps, 162. /o/'/er, 162. /orym.r, 162, 194. fornix, 162. foi'pcr, 162. /o/'/r/,r, 162. foueô, 161 . FRIDA, 307. frondés, -'- ffinidcs, 190. frdrtiis, 12. Y fuma, 283, /«y/^^/S 162, 194. GEIVNA, 308. t G//«V.s 320. Il (jlficird, '.>\] . (irâliK/ma, -Jt). GVMANA, 280. Ijhaba, 280, 283. ||*hafio, *habio, 256. ||*hêbï, 256. hic, 27. HIMINIS, 50. HONG, 201. liOstls, 8. iâiiiiius, 264. lOiiKs, 186, 263. * -kr, 160. Y icnnârius, 26:5. iëiûnus, 264. IMPERACRIX, .')13. *-h,r', 262. intégra, 8. i.psr, 27, 156. Y isse. issu, 156. 2\/r, 27. Y iunio, 264, Y iiiorgiis, 308, iVRiÂ, :508, Kapitodiiim, 320. Y Iditucn, 318. Yleber, 120. LIITO, 317. Y loqtior aliciu, 80. */o;t^42. niÛKir, 310. ■\ imdedlcô ali<[tivin, 81. Y ineliosa, 253. MESERVM, 234, METIO, 181, -;-mila, 119, — 'A-2S — 7 ntouitiis, 020. ||*«?«/7o, 193, 278. * mnrlce, 160. MSIICTILIE, oO.'J. i\ê, ni, 118. 7 iiec, necdiDit, 119. 7 net lira, 317. 7 nôscum, 218. * t\iulo, 244. Il* Il II nia, 262. 7 oltaiidio, 161. obof'ilio, 159. 7 obsorsio, 317. o//a, 295. ||*o/o/r, 320. pône, 9. *;joy, 239. posimêriiim, 120. -\ post, * postcis, 8. ||*poteo, 256. pracscrîpta, 170. -/j^c^ 156. piilcher, 305. pille (pi un, pflèinni, 308. QVESQVENTI, 303. quirquir, 220. illlisqiK'^ 238. RIX, RIGNA, 77, 78, 120. /7^ô, 287. OMNIORYM, 234. -S 177. 7 o rie la, 4, 160. salturra, 245. '\ônim, 4, 37, 160, 164, 275. 7 Salacia, 303. -J- osstior, 298. * salvatctco, 270. * -on'io, 287. sanguen, 7 saïKjuc, 7 guinf, 203. PA0E, PAZE, 290. sapsa, 157. ■\ paupera, 202. Sauô, Safo, 245. IT/M/Yo/', 262. 7saures, 161. pëiur, * pejo, 295, 3 ;0s. •j-sauricaria, 161. ■;per, 239. SCALAS (nom. pi.), 207. -fpescla, pesclus, pesllum , * scuiro, 307. 313. SCRIPTES (acc. pi.), 217. jji'ssuliun, 313. SCRITVS, 317. petorritam, 76. 7scultam, 317. Pivc, 303. SENAtOVS, 78. \\* ploja, plnja, 288 SENICIO, 319. ■\ ploucrc, 287. '[•sèpern, 319. ■\- idûriôrêa, 252. si'j)t(lc/inuii, 306. plus miser, 8. jsi'stiiis, 303. 7 plusinii, 252. ■;-sicla, 313. \\* plasores, 253. si/iia, 270. ||*yy/?/iV'/r, 289. ■\- si//iiis (indic), 319. * jxjlus, 189. Il si/iâtiis, 119. .wy^ — :)-2u — sôdes, 160. soihts, 49. sôri.T, js(furl.r, 160. souo, -fsouo, *sû, 287. Wj-sfigmnn, --t'Hjmoji, 6. siiiiuis, 295. subtilis, 121. fsubulo, 245. * sucdo, * sudco, 307. suite, 178. * -tadc, 274. TASEN, 302. teccina, 50. tcmô, \\ t'imqne, 79. touo, -\touo, ■\*tu, 287. \ trique dr a, 273. TRIRESMIS, 215. Ti'ôiiujnia, 49. -tiido, 274. -fuebrinum, 6. 'f7(ec/tis, 313. VECOS, vEic(o), 131. iierêdus, 76. Fe/vûs 284. ne rt agi Ci, 76. *vidova, 287. 7 iiiclus, 251 . YIGSIT, YISSIT, 315. uiocfirus, 49. Il i^is- (nom. pi.), 282. 7 i/iVr/, 251. YITORIA, 316. ]'slica, 187. Falisque. Inscriptions de Falerii ueteres et de Falerii noui, 122. — Grammaire : h = f, 280, 283 ; g- = c-, 280 ; -r, 222 ; -.y, 179; nom. sing. en -o, 180. ■ — Vocabulaire: concaptum, 319 ; zenatuo, 246. Sabin. Diphtongue au, 283 ; /: d, 297 ; -5-, 257 ; .s- =i di, 297. 7 ausum, 257. 7 falacer, 312. 7 f as en a, 257. flusare, 257. hiretum, 121. 7Lebasium, 120, 121. Poimunie, 297. 'fCavy.o-, 297. Cerie, 300. cetur, 300. -ine, 262. Nouesede, 320. Marse et Marriicin. poleenis, 119. regen(a), 119. uenalinara, 130. 21' — 330 — Pèlignien. Inscription Herentas, 103; épitaphe de C. Annaes, 221 Influences latines, 129. — Chute de -s, 221 ; -o et -u, 192. aetate, 129. casnar, 283. -cirix, 312. eite, 178. erapratois, 130. incubât, 130. lexe, 178. Popdis, 297. puclois, 313. suois. 130. Osque. Inscription de Flore, 116; inscriptions de Pompéi, 116, 135 ; Table de Bantia, 140. Influences latines, 134, 316. Gémination, 277, 296. — Voyelles: ol-, 192; k = o, 194, 262; -o et -ii, 192, 193; -0, 191. — Consommes: Échanges entre douces et fortes, 256, 273 ; aspiration des fortes, 256 ; chute de h, 317; l, 277; -s,, 179. Les gutturales: j = {/, 309 ; ki, tl, cli, 295, 296 ; groupes kt et pt, 314. — Morpho- logie: Thèmes en -u, 187 ; nom. plur. en -as ; -ûs {-os), 205, 218. aidil, 135. alttrei, altrei, ai nid, 211 . ampnijid, 194. xixix/.zz, 45. (ingctuzet, angitii..., 309. degerasis, deketasiûi, 274, 283. '^. deiuatuns, 143. eestint, 317. embratur, 273. essuf, esuf, 156. faciis, 135, 143. fakiiad, 296. ffamel, 252. fifikus, 256. hipid, 256. -ine, 262. ligis, 309. mais, inaimas, 309. meddixud , 296 . neip, nep, 118. nepis, iiepon, 118. Niumeriis, 134. *ohtrnf[r)i-, 117. ?iuniveresîm, 135. ùltiumam, 194. peesslùm, pestlùm, 313. post, pustin, 9. prae fucus, 135, 251, 316. sipus, 135. tanginud, 309. terûm, teras, 283. Zs^Tcç, 246. zicolo-, 143. :{:}i - Aurunqiie et Volsque. Inscription de Vellétri, 105. Le son r, 298. — Vocabulaire Auninkad, 102; faaia, 298. Ombrien. Tables Eiigubines, lOG ; inscription d'Assisium, 124. In- lluonces celtiques, 76 ; influences sabines, 297 ; influences latines, 199, :301, :U7. Géniination, 301. — Voyelles: o{l)-, 192; o: : u, 194; -oim) = -uni, 187, 192; o = a, 187, 194 ; atone, 194. — Couronnes : Adoucissement des fortes, 273-, chute de h, 315; l et /^ /, 277; -.s- et -r, 46, 220, 222, 239. Les gutturales: c-, s, 297, 301, 302, 306; hésitations entre k: c\c,s:s, 297, 301, 302; kl, 298;./ = fj, 309; chute de -g-, 311 ; groupes kt et ^j/, 314. — Morphologie : Thèmes en -a, 187 ; nom. plur. en -as, -â{r) : -ûs, -û{r), -ô{r), 205, 218; phir. neut. en -or, -nf, 199; 2" sing. en -F, 222. adro, adrer, 273. rehefi, 301. \\cislerno, 298. conegos, 312. criïigatro, krenkalrum, 282. curnaco, 162. dupla, 273. esm, isoc, 156. fato, 315, 317. fîktu, 315. Fisc, 297. ïabuscom, lapuscom, 274. -ine, 262. louinam, Houina, 311. mofar, 192, 277. nincla, 315. per, 238. post, pustin, 9. Puemune, 297. Pupdikes, 297. \\pu pièce, 298. sereihtor, 210. sepse, 157. se sa, 157. lettome, 317. louer, tuer, 287. Vesuna, 76. Vofio, 245. Voisiener, 278. LANGUES ROMANES Foy<"/^'5 : u = o, m3\aa, 159, 163, 164; uo = au (dial.), — 332 — 275; al, ol ^= au, 162, 283; -u et -o (dial.), 196; û, b (dial.), 213; voyelles éphelcystiques, 224. — Conso7ines\ rv, rb, 270; / et V, 278; ti, ci, 296, 300; nli, 308. Adoucissement des fortes, 273; -.sr224, 230; z, 240 ;%^t' = ??^ (dial.), 310-; c — qu (dial.), 293. —Morphologie : Plur. neut., 198, 199; 2'' sing^. -/, 222, 229, 230; 1" plur. -iamo, 319; parf. en -attf (dial.), 117, 256; impératif négatif, 248. \\ahbi, 257. nuolarf^, 162. ||alcidere, ancidere, 162. Wolculcre, 162. Alfidena, 283. orecchio, 5, 163, 199. \\artro, aittro, 278. ||oregie, 5. anatra, anitra, 319. ostcria, 8. Wandrj, 278. IliJo::;^^ 256. Ass'm, 283. rovina, 287. \\attnife, 117, 257. rubarc, 163, \\aurcgla, 5. savorra, 245. ||auru, 275. .î>ez, ||.s^'^ s?'^ 319. bevero, 6. servir e, 270. CA?7/.s7', 283. .so::;o, 307. cornacchia, 161. .stetti, 117. ^rm/, 230. -tade, 274. ebbi, 2b6. \\fpjj a la, 320. Emidio, 320. //r, 230. |l/6'y«, /m, 112, 256. /^fr, \\ugello, 163. /•? (plur. neut.), 198. ' ||//o/"0;, 163. /^ro, 286. ll^^/'/yV/, 5. luogo, 200. vecchio, 251. wi^:;;o, 295. î'o/, 230. y*02, 230. zavorra, 245. Sarde. Influences italiennes, 309. — Vogrllcs: a = o, 190; -// et -o, 191, 196; voyelles éphelcystiques, 224. — Consonnes: Durcissement des douces, 256; h = f, 280; <, th, t = fi, ci, 294, 296 ; g- = c-, 280 ; che, chi, 294 ; ./ = //, 308 ; nge, 310; groupe et, 314. — Morphologie : Imparfait du sub- jonctif, 248. (fjiàde, 319. battor, battoro, 2(V2. atter, atlrru, 278. barvattu, 271. — :vx\ — Injii, 251. goUire, 280. holinnts, .'ÎIO. ' gortollu,j|//o/Y^Y/r^/^ 190,280. Wbofhl'n'i, 280. (h)appil, /tapisit, '2b(K cherbinu, 27U. ispunccUare, 278. co/on/, 101. niofJitK, ;^>20. " corhu, 270. inuuinri', WOS. cnmone, 196, 262. oricla, oi'ija, 4. dohi,20\. jjwz(/,2SS. (fomo, 191. Wproja, 288. olier, 30S). rejor, :5()9. -cri [pliir. -eris), 191. sera, 191. freargiu, 117. soddt(, 191. friittora, 12. .suppuHare, 190. Dalmate (Végliote). Vot/rl/rs : ua = p, 288; oi = it, 288. — Vocalndaire : ploif, 288; plaiija, 288; racle, 5. Espagnol. Vltonvtiquc : u ^= o, 278 ; -o et -i/ (dial.), 191 ; r/j, 270; rc = rf/, .')10. — Morphologie : Parfait du sul)joiictif, 217. dimdt', oli). IVol, /loi', 1()4. (U'crii, 246. Iioto, 161. ayiin, 264. inilnno, 286. barijrcho, 271. yvwrt, 239. bclro, 6. /^o/'^ 239. bihai'o, 6. //^'"f^ -^86. culebra, 191. zaliorra, 245. nitia, 311. Poi'iizg'ajs. (Irainmairc : rr = rb, 270; iulinitif pcr.suimel, 248; impé- ratif négatif, 248. a/oiilo, 161. ovrlha, 4. bibaro, (>. para, 239. /?//o, 286. poo, y>r>', 286. yo/'o, 286. /Jor, 239. yV;////^/, 261. — :vM — Catalan. Formes empruntées, 44; V° sing. -o, 44; imparf. en -rva, -iva (dial.), 44. — Vocabulaire : \\a)ii, "ioO ; [eya, \\fera, 112. aliauzir, 161. aitre, aitant, 278. amb, am, 239. aucire, 162. aurellia. 4. Provençal. glazi, 284, 285. ordi, 23,295. vezoa, 287. vibre, 6. Français. Mots savants, 166. - — Voijellcs: o ■=■. o, 195; am := om atone, 251 ; ai =z iu, 307 ; -u, 195; //, 83; o« = ei, c, 74; u -zzz au atone dial.), 163. — Cnnsonucs : rv, rb, 270; ti, cl, 6, 299; rdl, 308; n =^ ;jn, 318; 6 = qu (dial.), 293, 302, 303. — Morpholofjir: Nom. et ace. plur.. 209; plur. en -s, 202; impératif négatif, 248. ainz, 10. al, 25, 285. biècrc, 6. dommage, 251 falloir, 156. fond elle, 253. yencire, '.\\\ . laurier, 37. 4o, 196. ocire, 162. orleil, 6. plusor, plusieurs, 252. por, pour, 239. puis, 9. roveret, 247. s'entre-, 79. fi)uon, 79. Iru/fe, 117. relire^ 287. Rhétique. Grammaire: a = e, 264; au, 16:); -aus, 195; rc ^= rb, 270. — Nomin. sing. en -n, 227 ; pluriel, 227. — Vocabulaire : fjiïm, 264; muriscli, 160; arele, 5; /rrA/^ 5; Ipi'jin, 264. Vnip-ltrs : a = au, 159, 16:5 ; u = n, 163, 18'.), 194 ; o = a, 194; -II, 195. — CuiisoniK's: rh = ru, 270: //, c/, 299; c = qt(, 293 ; groupe f/ (f/f), 315. — Morp/iolof/ir : 2" sing. -t,'229, 230; parfait du subjonctif, 217; impératif négatif, 248. f/Jinid, 26'.]. popor, 248. brcbrnà, 271. i>{r)h\h'c, 239. toU), 189. urcchir, 5. -//?^', 262. ràf/urà, 287. /*o/; 230. roi, 230. palru, 262. TABLE DES MATIERES Pages. Préface vu LE I'R(tl5Li:.ME DU LATIN VULGAIRE Aperçu liistorique sur la question du latin vulgaire. — Les formules chronologiques de Grtiber ; la prisca lalinilas ; le latin des provinces. — Le vieux latin dialectal d'Italie. — Le principe de l'unité du latin vulgaire. — La mé- thode des reconstructions ; distinction entre le roman et le latin vulgaire proprement dit ; analyse de quelques exemples COUP D'ŒIL GENERAL SUR LES ORIGINES ET LE DEVELOP- PEMENT DU LATIN VULGAIRE Examen critique des théories modernes ; Pott et la lingna franca; Fuchs et le Volkslalein ; Jordan et le latin muni- cipal ; le latin des inscriptions ; la théorie de Max Bonnet et les rapports du latin vulgaire avec la langue littéraire. — Le vieux latin dialectal de l'Italie et les langues italiques; \'d perer/riniUis ilalica : influences des dialectes italiques sur le latin littéraire. — Le latin dans les provinces; les prétendues langues mixtes. — Persistance des idiomes barbares ; exemples de l'Espagne, de l'Etrurie, de la Mes- sapie. — La romanisation des provinces. — Influences des idiomes barbares non italiques sur le latin des pro- vinces ; influences celtiques : vocabulaire, morphologie, syntaxe. — Caractère artificiel de la latinisation des pro- vinces; l'unité linguistique de l'Empire 31 — 338 - III CONSTITUTION DU LATIN D'ITALIE L'unification de la langue vulgaire et la disparition des an- ciens patois latino-italiques ; les patois comI)attus par la langue officielle. — La Guerre Sociale, date critique dans riiistoire du latin d'Italie. — Les anciens dialectes du Latium.' — Etat des Italiotes avant la Guerre Sociale : la latinisation de Tltalie. — Le latin chez les peuples sabel- liques. — L'ombrien : les Tables Eugubines et leur chro- nologie. — Persistance des dialectes osques; survivances modernes. — Caractères du latin dialectal de l'Italie avant la Guerre Sociale ; l'Ombrie. le Picénum; le latin de l'Italie du Nord. — Les anciens patois locaux chez les Péligniens. les Marses, les Vestins, dans l'Italie du Sud: premières contaminations de l'osque par le latin. — La Guerre So- ciale et ses résultats en Campanie. dans le Samnium et la Lucanie ; chronologie de la Table de Bantia. — Repeu- plement de l'Italie du Sud et ses conséquences linguis- tiques. — Constitution de la nationalité italique et unifi- cation du latin vulgaire d'Italie 87 IV RESTAURATIONS ET INFLUENCES LITTÉRAIRES L'Italie et les provinces; unification progressive de l'Empire. - Caractères du latin d'Italie ; effacement des traits dialec- taux sous l'influence grandissante de la langue officielle; histoire de la diphtongue au en latin vulgaire. — Comment s'est réalisée l'unité du latin vulgaire et comment elle s'est rompue. — Propagation de l'idiome littéraire et offi- ciel; les armées, l'administration civile, le régime des colonies, lesécoles etleurinfluence; théorie d'Eyssenhardt. — Chute et rétablissement de -.*; final: les nomin. sing. en -us, -o()i). — Eusion des thèmes en -u et en -o ; hési- tations entre g et q n: les dialectes : les survivances ro- manes ; application aux nomin. sing. en -o(s). — Consé- quences morphologiques de ces phénomènes : fusion du nomin. et de l'accus., du neutre et du masculin. — Ana- logie dans les autres déclinaisons. — Nomin. plur. fém. en -as. — Histoire des nomin. plur. masc. en -m', en -/ et en -la chez les populations celtiques, en Ombrio et générale- ment en Italie ; les fémin. en -aex. — Examen des faits dans le latin vulgaire de la Rhétie ; résumé des données linguistiques. — Restauration des nomin. plur. en -/dans la Transalpine ; essai de restauration du génit. plur. et du comj)ai'atif 151 — 339 — V L\ LATIMTl': DKS PROVINCES Caractères et origines du latin des provinces. — Formules chronologiques : le latin d'Afrique ; le latin d'Espagne ; appauvrissement progressif du système verbal. — Ar- chaïsmes dans le latin des Gaules. — Survivances dialec- tales en Italie. ~ Situation particulière de la Dacic ; importations provinciales et échanges réciproques. . .' 230 \'I KTABIJSSE.MENT DUNE CHRONOLOGIE Caractère complexe du latin vulgaire ; difficultés et hésita- tions de la chronologie; essai d'une détermination chro- nologique et topographique du groupe ru ; le groupe ol-, etc. — Etablissement d'une méthode ; chonologie générale du latin vulgaire. — Première périofle : Formation des dialectes latino-italiques. — Deuxième période: Constitu- tion du latin général d'Italie. Triomphes du vocalisme Italique sur le vocalisme latin. Histoire des gutturales en latin vulgaire ;' origine et chronoloMie de r ; groupes //' et ri; témoignages historiques et épigraphiques. Histoire de g, I ; de ng : le pronom ef/o .• les groupes Ir II ri. — Troisième période : Unification du latin impérial. — Qua- trième période : Décomposition du latin vulgaire impérial. 20(1 Index. 523 Chartres. — Iinpriiucrio L)t rand, iuo Fiilhert. iA Mohl, Friedrich Georg 2619 Introduction à la chronolo- M65 gie du latin vulgaire PLEASE DO NOT REMOVE CARDS OR SLIPS FROM THIS POCKET UNIVERSITY OF TORONTO LIBRARY ^^f^: